Pourquoi le prix de l’électricité va exploser
D’après le Bureau du Plan, le prix de production d’électricité va augmenter de plus de 50 % d’ici 2020. La Belgique, toujours plus dépendante de l’étranger, va vivre une sortie du nucléaire compliquée. Les producteurs vont devoir investir des sommes colossales pour éviter la pénurie.
- Publié le 19-10-2014 à 16h14
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Sombres. Telles sont les perspectives pour la Belgique en matière d’Energie, si l’on en croit les prévisions du Bureau du Plan. Notre pays va être de plus en plus dépendant de ses voisins et va devoir consentir de gigantesques investissements s’il veut éviter des ruptures d’approvisionnement d’électricité. A politique inchangée, les prix risquent aussi d’exploser. En fait, la Belgique semble assez mal préparée à l’un des plus grands défis de ces dernières décennies : la sortie définitive du nucléaire prévue en 2025. Voici ce que le Bureau du Plan prévoit à l’horizon 2050.
1 La Belgique est en retard. Une directive européenne Climat Energie demandait de réduire la consommation d’énergie primaire d’environ 20 % pour 2020. Pour la Belgique, c’est raté. L’échéance approche et notre pays n’atteindra cet objectif qu’au mieux en 2025. A politique inchangée, cette consommation d’énergie primaire va même augmenter après 2030, avec une croissance d’1,1 % de la demande par an.
2 Notre pays va être de plus en plus dépendant des autres. Ce n’est un secret pour personne : la Belgique n’est pas l’Arabie Saoudite ou le Qatar. Le sous-sol belge n’est pas riche en énergie fossile. Nous sommes donc dépendants de l’extérieur. Plus de trois quarts de notre énergie est ainsi déjà importée de pays étrangers. Avec la sortie du nucléaire, cette dépendance va s’accroître pour atteindre un sommet de 88 % d’énergie importée en 2030. Alors, est-ce grave docteur ? Il y a quelques décennies, cela aurait été un vrai problème stratégique pour la Belgique d’être à ce point dépendant, mais cet impact négatif est désormais limité pour deux raisons. Tout d’abord, la Belgique a un portefeuille "de routes et de fournisseurs" très diversifié. Comprenez, la Belgique n’est pas dépendante d’un seul pays en matière d’énergie. Elle peut donc facilement se tourner vers d’autres pays fournisseurs en cas de boycott ou de tensions. Deuxièmement, il y a l’intégration européenne. "L’indépendance énergétique se mesure désormais davantage à la taille de l’Union qu’à celle d’un seul pays" , explique l’experte, Dominique Gusbin.
3 Il faudra des investissements électriques colossaux. En Belgique, c’est le tableau électrique qui est le moins rose. En fait, avec l’arrêt du nucléaire, la production d’électricité va vivre une véritable révolution. Imaginez, le nucléaire produisait encore la moitié de l’électricité en Belgique en 2010. En 2030, on arrivera à une situation "bipolaire", avec quasiment une moitié de sources d’énergie renouvelable (éolien, solaire, biomasse…) et l’autre de gaz naturel pour produire l’électricité belge. Pour éviter toute rupture d’approvisionnement dans le futur, les producteurs vont devoir investir massivement. Les chiffres donnent le vertige. Rien que jusqu’en 2030, 31 milliards d’euros d’investissements sont ainsi nécessaires pour la création de centrales électriques. Il faudra ajouter 31 autres milliards d’euros d’ici 2050. Soit 62 milliards d’euros en 35 ans. C’est énorme. "Or le climat actuel d’investissement n’est pas favorable" , souffle le Bureau du Plan.
4 Tripler la capacité actuelle. D’après le Bureau du Plan, ces 62 milliards d’euros doivent permettre de tripler la capacité actuelle de production d’électricité d’ici 2050. Pourquoi la tripler ? Il faudra d’abord remplacer la production du nucléaire actuelle, mais également prévoir des réserves beaucoup plus importantes en cas de pic de consommation. La raison est simple. L’énergie renouvelable, amenée à remplacer le nucléaire, est soumise à différents aléas de la nature. Un manque de vent ou de soleil peut ainsi réduire fortement la production. D’où la nécessité de prévoir une réserve beaucoup plus large. "Chaque année, la Belgique devra créer une capacité de production d’électricité supplémentaire de 1 250 MW", indique le Bureau du Plan, soit davantage que ce que produit actuellement le réacteur de Tihange 3.
5 Les prix vont fortement augmenter . Ces importants investissements vont faire exploser le coût moyen de la production électrique dans les prochaines années. Celui-ci va grimper de plus de 50 % jusqu’en 2020 (par rapport aux chiffres de 2010) et connaîtra un pic en 2030 (+69 %) avant de légèrement redescendre. Il fallait 63 euros pour produire un MWh en 2010, il en faudra 108 en 2030. Il n’y aura pas de miracle. A moins d’énormes subsides des autorités publiques, les investisseurs privés vont répercuter cette hausse dans leurs prix. La facture finale du consommateur risque de gonfler très fortement jusqu’en 2030. Conclusion ? D’après le Bureau du Plan, la Belgique a impérativement besoin d’une "vision à long terme" et "d’autres politiques" pour sortir de cette impasse. Pour l’instant, notre pays navigue à vue.
Le gouvernement Michel pas au bout de ses peines
Pour Marie-Christine Marghem, la nouvelle ministre MR de l’Energie, la tâche ne s’annonce pas facile. En plus du délicat dossier "black-out", il lui faudra aussi mettre en œuvre la décision de la coalition suédoise de reporter la sortie du nucléaire.
Pour rappel, le Parlement devra voter avant la fin de l’année une loi qui prolonge Doel 1 et 2 de quelques mois avec la possibilité d’une prolongation de maximum 10 ans, jusqu’en 2025. Et cela sous condition de l’accord de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) et de l’exploitant (Electrabel).
Ces deux unités représentent environ 860 MW de capacité de production. Toutefois, il ne sera pas si évident de les prolonger, ne fût-ce que de quelques mois. Leur arrêt étant programmé pour 2015, Electrabel n’a pas le combustible suffisant pour tenir jusqu’en 2016. C’est ce qu’avait notamment expliqué l’ex-secrétaire d’Etat à l’Energie, Catherine Fonck, en Commission parlementaire. Une des solutions possibles serait donc de mettre momentanément à l’arrêt une ou deux centrales, afin d’économiser le combustible, pour pouvoir faire face à un pic de demande en cas d’hiver rigoureux. Mais, un tel scénario représente un risque pour Electrabel. Pourquoi ne ferait-elle pas tourner Doel 1 et 2 aujourd’hui si l’AFCN ne donne finalement pas son autorisation de la prolonger de quelques mois ?
Pour Damien Ernst, professeur en électromécanique à l’ULg, Electrabel n’acceptera une prolongation qu’avec un prix garanti compris entre 50 et 60 euros par MWh. Ce qui veut dire, compte tenu des cours actuels (au-dessous de 40 euros/MWh) "un subside direct" . Qu’il faudra sans doute soumettre à la Commission européenne. Si tel est le cas, ces discussions pourraient prendre du temps. "Cela doit être très bien fait et cela va coûter. Le gouvernement doit très bien négocier avec Electrabel et les convaincre de rester" , nous a expliqué le professeur.
Rente nucléaire
Dans les rangs gouvernementaux, on explique que cela ne se fera pas sous forme de subside mais de réévaluation de la rente nucléaire. Cette dernière devrait ainsi être revue à la baisse (pour tenir compte des investissements en cas de prolongation de Doel 1 et 2).
L’accord du gouvernement laisse aussi la porte ouverte à la prolongation des centrales les plus récentes (Doel 3 et 4, Tihange 2 et 3) au-delà de 2025. "Un mécanisme de monitoring et de correction est mis en œuvre pour garantir la sécurité d’approvisionnement, la sûreté, la durabilité et l’abordabilité à long terme", est-il écrit. Mais comme préalable, il faudrait que Tihange 2 et Doel 3, actuellement à l’arrêt pour cause de microfissures, puissent redémarrer. Il se dit qu’on y croit du côté d’Electrabel. Cela ne pourra de toute façon pas se faire sans le feu vert de l’AFCN. Pour cela, on devrait être fixé pour fin 2014 au plus tard.
