"Je regrette que Bruxelles soit bilingue la journée et francophone la nuit"
Doyen de la Vlerick Business School, Président du groupe de produits surgelés Dujardin-Unifrost et Directeur de Quest for Growth, Philippe Haspeslagh évoque le classement des business school belges, la participation de la N-VA dans le gouvernement fédéral, la situation économique et le manque d’intégration dont souffrent les jeunes d’origines étrangères. Philippe Haspeslagh est l’Invité du samedi de LaLibre.be.
- Publié le 28-02-2015 à 11h44
- Mis à jour le 02-03-2015 à 11h43
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Doyen de la Vlerick Business School, Président du groupe de produits surgelés Dujardin-Unifrost et Directeur de Quest for Growth, Philippe Haspeslagh évoque le classement des business school belges, la participation de la N-VA dans le gouvernement fédéral, la situation économique et le manque d’intégration dont souffrent les jeunes d’origines étrangères. Philippe Haspeslagh est l’Invité du samedi de LaLibre.be.
Pour un jeune étudiant qui hésite entre la Solvay Business School et Vlerick, pouvez-vous expliquer les différences entre ces 2 institutions ?
Ce sont deux bonnes écoles mais Solvay est plutôt l’équivalent de la Faculté à l’Université de Leuven ou Louvain, où il y a une offre académique importante – par exemple pour les ingénieurs commerciaux ou les spécialistes en finances – bien qu’elle ait une partie business school. Vlerick est une business school à part entière qui mène à un management plus généraliste qui conduit directement à la gestion d’entreprises. Nous ne proposons pas de master en finance quantitative ou micro finance par exemple. Cela dit, nous sommes surtout complémentaires, car nous n’avons que 20% d’activités communes. Ce qui distingue surtout la Vlerick c’est son corps professoral qui est constitué de tous des académiques qui savent combiner la théorie avec la mise en œuvre pratique. Tout comme j’encouragerais un étudiant flamand à passer une année à Solvay, je pense que pour les étudiants francophones devraient passer une année en anglais dans un environnement flamand, ce serait une excellente expérience.
Les business school belges – comme Vlerick - sont bien cotées dans le classement mondial du Financial Times, mais que leur manque-t-il pour intégrer le Top 10 ?
Pour le classement des MBA, je ne pense pas que nous pourrons un jour accéder au top du top, car environ 30% des critères reposent sur l’évolution des revenus financiers des diplômés après 3 ans. Concrètement, une école qui parvient à placer un étudiant indien à Wall Street va toujours dominer ce classement. Pour nous, l’important c’est notre positionnement par rapport aux autres écoles européennes. Notre benchmark se situe là. On doit être parmi les 15 premières.
La Vlerick s’est installée à Bruxelles il y a 2 ans. Cet attrait pour la capitale ne semble pas partagé par le monde politique flamand qui s’y intéresse peu, vous le regrettez ?
Le manque d’intérêt de la Flandre pour Bruxelles est une grande erreur ! C’est d’autant plus regrettable que Bruxelles est la capitale de la Flandre et non Anvers. Il est indéniable que Bruxelles et son agglomération sont des moteurs de l’économie belge. Je regrette que la capitale soit bilingue la journée – grâce aux 300.000 navetteurs flamands – et francophone la nuit. S’il y avait moins de navetteurs et plus de résidents flamands, Bruxelles serait économiquement et sociologiquement une autre ville. Soyons honnêtes, il n’y a qu’une marque belge à l’international, c’est Bruxelles ! Pour la Vlerick, elle peut être un pôle d’attraction tant pour les étudiants que pour les entreprises internationales ou pour créer des partenariats avec de grandes écoles étrangères.
Quelle est votre analyse de la situation économique actuelle ?
Je ne pense pas qu’il y ait actuellement un vrai retour à la croissance avec une hausse espérée d’à peine 1 ou 1.5% du PIB. Je suis sidéré de voir qu’en Belgique toutes les défenses s’érigent dès qu’on évoque des reformes structurelles. Elles sont indispensables et franchement tout à fait minimes par rapport aux efforts demandés à nos voisins européens, espagnols et portugais en tête. Il est important d’agir en fonction des concurrences sectorielles et de la compétitivité de nos entreprises si l’on veut profiter de la croissance quand elle sera de retour.
Vous êtes un patron flamand. Les francophones ont ‘souvent’ une image négative de la N-VA et du patronat flamand. Etes-vous satisfait que la N-VA soit au gouvernement fédéral ?
Oui, je suis favorable à la présence de ce parti au gouvernement pour deux raisons. Tout d’abord, arriver au pouvoir, cela responsabilise un parti politique. Ensuite, je suis convaincu que beaucoup de francophones – en commençant par tous les libéraux - souscriraient immédiatement à la politique économique de la N-VA. Je pense que la presse attache trop d’importance aux aspects linguistiques dans l’analyse du succès politique de ce parti. Mon principal regret, c’est qu’en quelques années la deuxième langue des Flamands soit devenue l’anglais alors que c’était le français avant. La séparation de nos deux cultures est la conséquence du fait que nous n’élisons plus les mêmes politiciens et ne lisons pas la même presse.
Mais peut-on ainsi oublier les revendications communautaires de la N-VA ?
Il ne faut surtout pas oublier que la N-VA s’est engagée à ne pas venir avec des revendications communautaires lors de la législature qui est en cours. Je pense sincèrement que c’est un partenaire valable. L’enjeu, c’est de prendre des mesures courageuses immédiatement afin qu’elles démontrent leurs effets avant la fin de la législature. Si le gouvernement est bloqué ou ralenti lors de ces deux premières années, ce sera une déception. Au début de la suédoise, les adversaires politiques et les syndicats ne lui ont même pas laissé le bénéfice du doute.
Le saut d’index cristallise une partie des oppositions...
Là encore, entre ce qui est annoncé ici et les mesures prises dans d’autres pays, il y a un gouffre énorme. Relativisons, d’autant que le manque de compétitivité entre nos entreprises et celles de nos voisins est énorme. Le handicap salarial représente - à lui seul - au minimum 10 à 15%. Dans le groupe de produits surgelés Ardo que je préside, l’écart avec la France est même de 20% ! On se met encore et toujours la tête dans le sable si l’on croit qu’on pourra faire la différence avec 1 ou 2%. Pour les entreprises de services, et Vlerick en est une, les salaires représentent souvent 70% de la structure de coût, c’est dire l’impact de l’écart salarial sur notre capacité à être compétitif à l’international! L’indexation des salaires ne tient pas compte des aspects sectoriels, alors que certains sont davantage impactés que les autres selon leurs développements ou enjeux.
Les spécialistes économiques étaient fort tournés sur la Grèce ces dernières semaines. Dans cette opposition entre l’Eurogroupe et le gouvernement d’Alexis Tsipras, où vous situez-vous ?
Je pense qu’il y a un changement de culture nécessaire en Grèce entre ce qu’on déclare ou non aux autorités fiscales. Il faut aussi trouver un juste milieu entre les difficultés du peuple grec et les indispensables réformes économiques à faire. Mais fondamentalement et ayant été chef de cabinet durant 2 ans, je vois un vrai problème de comptabilité des dépenses publiques : on ne peut pas différencier investissements et frais opérationnels. Toutes les entreprises qui ont une vision à long terme tentent de contenir les dépenses, équilibrer les comptes tout en maintenant les investissements. Dans la gestion publique, il n’y a pas d’amortissement possible… Un investissement est toujours perçu comme une charge pour l’exercice annuel en cours. Il est grand temps de gérer les comptes des institutions publiques comme le font les entrepreneurs privés.
Qu’est-ce qui vous réjouit le plus dans notre société ?
Il y a beaucoup de bonnes évolutions dans la société, comme les mesures prises afin que les pratiques financières et fiscales deviennent toutes légitimes. Sur ce plan, la culture change et on réalise qu’en volant l’Etat, on vole son voisin. Il y a aussi de belles évolutions pour améliorer la qualité de vie des gens au niveau de la culture et du bien-être.
Qu’est-ce qui vous inquiète le plus ?
Je regrette vraiment qu’on n’ait pas réussi à gagner le pari de l’immigration et de l’intégration. On ne parvient pas à donner les mêmes chances à tous ceux qui sont dans le même bateau. Sur l’aspect intégration, je pense qu’on n’a pas suffisamment pris en charge le financement du culte islamique nous-mêmes afin d’encourager la formation d’imams ayant grandi dans notre société multiculturelle et diverse. La Belgique a raté l’intégration de trop nombreux immigrés. La radicalisation actuelle est la conséquence de cette intégration manquée et de la situation sociale difficile de nombreux jeunes, surtout des garçons. Je crains aussi que le chômage de longue durée ait un impact très négatif sur les gens, mais aussi leurs descendants.
Entretien : Dorian de Meeûs