Sharing ou Renting economy?

Des services comme Uber ou Airbnb ne relèvent en rien d'une « économie du partage ». Une opinion de Maxime Lambrecht, chercheur à la Chaire Hoover (UCL), chargé de cours invité.

Contribution académique
Sharing ou Renting economy?
©Photo News

Des services comme Uber ou Airbnb ne relèvent en rien d'une « économie du partage ». Une opinion de Maxime Lambrecht, chercheur à la Chaire Hoover (UCL), chargé de cours invité.

Ces derniers temps, on parle de plus en plus de ce qu'on appelle la « sharing economy » ou l'« économie collaborative ». Toutefois, on range souvent sous cette étiquette des services qui n'ont rien à voir avec le partage ni la collaboration, tels qu'Uber ou Airbnb.

En effet, les propriétaires qui proposent un bien immobilier sur Airbnb ne « partagent » pas leur logement, ils le louent. De même, les conducteurs d'Uber ou Lyft ne font que louer un véhicule avec chauffeur. Par ailleurs, ces services n'ont rien de plus collaboratifs que les services traditionnels d’hôtels ou de taxis.

Loin d'une « sharing economy », il semble plutôt s'agir d'une « renting economy », une économie de la location à la demande. En quelques clics, des particuliers peuvent louer ou mettre en location des biens (comme des logements sur Airbnb), ou des services (aides-ménagers sur Homejoy, livraison de courses à domicile sur Instacart, etc.). La nouveauté, c'est qu'Internet permet une rencontre presque immédiate de l'offre et de la demande de biens et de services entre particuliers. Presque, parce qu'entre les deux il reste le gestionnaire de la plateforme, qui utilise sa position stratégique pour prélever un pourcentage sur chaque transaction, et extraire ainsi des revenus considérables sur le marché mondial (à tel point que la valeur de marché de Uber est aujourd'hui estimée à près de $40 milliards, et celle d'Airbnb à $20 milliards).

Bien que cette « renting economy » s'assimile à du vieux vin dans de nouvelles bouteilles, ces start-ups tentent souvent d'échapper à la régulation en vigueur, en invoquant tour à tour l'innovation ou les vertus du partage. Ainsi, Uber soutient que ses conducteurs ne sont que des « partenaires » indépendants, et qu'elle ne joue qu'un rôle d'intermédiaire entre eux et les consommateurs, bien que la compagnie ait le pouvoir de fixer les tarifs ou de « désactiver » les conducteurs dont les évaluations s'avèrent insuffisantes. Pas de sécurité sociale ni de droits du travail pour les « partenaires » d'Uber ? La justice américaine sera bientôt amenée à trancher, dans deux actions en justices intentées par des chauffeurs de Uber et de Lyft (principal concurrent de Uber), qui cherchent à se voir reconnaître le statut d'employés (*).

Quant on sait que des clones de Uber tels que Taskrabbit ou Wonolo veulent étendre ce modèle à toute l'économie des services, on peut craindre l'avenir que nous promet une telle « renting economy » non réglementée, fait de micro-jobs temporaires réalisés par des faux indépendants.

Mais s'ils ne faut pas être naïf quant aux prétentions de la « renting economy », il ne faudrait pas non plus être cynique, et rejeter en bloc les initiatives relevant de la véritable économie du partage. Celle-ci promet de retisser du lien social ou de minimiser l'impact écologique de notre mode de vie par des pratiques de consommation ou de production collaborative.

Comment départager la vraie et la fausse « sharing economy » ? L'idée de partage n'implique-t-elle pas un caractère non-commercial, ou du moins une relative égalité entre bénéfices et contributions de chacun ? Ainsi, contrairement à Uber, des services de co-voiturage comme Taxistop ne prévoient pas d'autre échange monétaire qu'une participation aux frais de carburant. De même, par contraste avec Airbnb, GuestToGuest fonctionne sur le principe l'échange de maisons, et Couchsurfing permet d'offrir l'hébergement entre voyageurs contre la promesse implicite de rendre l'hospitalité à l'avenir.

Ceux qui sont vraiment engagés en faveur de l'économie du partage devraient faire attention à ne pas la confondre avec son faux jumeau.

Le législateur doit également être attentif à cette distinction. S'il parait clair que la « renting economy » doit être réglementée, notamment pour protéger les droits des travailleurs qui en sont les chevilles ouvrières, il faudra prendre garde à ne pas imposer du même coup des obstacles inadaptés aux pratiques de la véritable économie du partage.

(*) Cf. D. Levine et E. Chan, « Uber, Lyft rebuffed in bids to deem drivers independent contractors», Reuters, 11 mars 2015, disponible ici.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...