Pour la CSC, "Jo Cornu doit oser dire à Jacqueline Galant qu’elle se trompe"
La CSC-Transcom n’est pas partie en grève avec la CGSP jeudi soir. Le syndicat chrétien ne rejette pas moins la vision stratégique du rail avancée par la ministre Galant pour autant. Entretien.
Publié le 08-10-2015 à 19h18 - Mis à jour le 08-10-2015 à 19h55
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La CSC-Transcom n’est pas partie en grève avec la CGSP jeudi soir. Le syndicat chrétien ne rejette pas moins la vision stratégique du rail avancée par la ministre Galant pour autant. Car elle fait courir des risques majeurs aux chemins de fer en général et à la Wallonie en particulier (lire également en page 26), explique Isabelle Bertrand qui ne manque pas d’égratigner Jo Cornu, CEO de la SNCB. La secrétaire nationale de la CSC-Transcom estime aussi que les syndicats doivent "balayer devant leur porte" et explique le changement de stratégie décidé par la centrale chemins de fer de la CSC.
Qu’est ce qui vous préoccupe dans cette vision Galant ?
Son orientation quant au rôle de l’Etat. On peut y lire une phrase qui découle de l’accord de gouvernement. Madame Galant parle d’une "réflexion sur la gestion des participations de l’Etat". Deuxièmement, il y a l’attitude du cabinet Galant qui dit : "On va faire à la SNCB ce qu’on a fait à bpost", phrase prononcée par Madame Offergeld, chef de cabinet de la ministre. On voit ce qu’il en est à bpost où l’on parle ouvertement de privatisation complète. Il est temps que l’Etat dise ce qu’il veut pour les entreprises publiques. Dire qu’on supprime les missions de service public, c’est clair. Dire qu’on les supprime partiellement, c’est aussi clair. Madame Galant n’est pas claire du tout.
Elle entend moderniser la SNCB. Une nécessité ?
Oui. Mais elle parle de compétitivité, de rentabilité alors qu’aujourd’hui l’Etat est actionnaire à 100 % de la SNCB. La question de base est de savoir si cet objectif de rentabilité est compatible avec une mission de service public. Trois milliards d’économie sont demandés mais il faut être rentable et répondre aux aspirations des voyageurs avec un meilleur service à la clientèle. Et que constate-t-on ? Un plan de transport qui résonne mal chez les voyageurs, des fermetures de guichets et de gares. Le plan prévoit une évaluation du patrimoine, des biens non stratégiques seront vendus. Tout cela répond à des impératifs de marché et de budget alors que le rôle de l’entreprise est d’assurer un service public dans le cadre d’un équilibre budgétaire.
Justement, la dette de la SNCB est abyssale.
C’est populaire de parler de 4 milliards de dette, de dire qu’on ne peut pas continuer comme cela. Mais dans ces 4 milliards, il y a une dette de contrat de gestion. En clair, l’Etat ne donne pas les moyens permettant à la SNCB d’honorer les missions qu’il lui assigne dans le contrat de gestion. Cela représente 2,9 milliards. Pour nous c’est une dette qui doit entrer dans les comptes de l’Etat et non une dette des chemins de fer. A côté de cela, on trouve une dette liée au recours à l’emprunt comme dans n’importe quelle entreprise. Jacqueline Galant ne fait jamais cette distinction, n’apporte jamais de nuance. C’est populaire, populiste et mensonger.
Jo Cornu veut plus de flexibilité en matière de tarifs. D’accord ?
Il parle de flexibilité tarifaire, cela veut dire tout et n’importe quoi. Pour nous, cela peut vouloir dire des billets plus chers durant les heures de pointe.
Des éléments concrets vous permettent de dire cela ?
Non. Mais il y a les propos du CEO. Il dit qu’il faut aller chercher l’argent où il est. Où est-il l’argent ? Aux heures de pointe.
Des lignes de bus pour remplacer certains trains. D’accord ?
Quand l’idée est venue, le MR wallon a été le premier à dire : "Pas question." Di Antonio n’en veut pas, les Tec et De Lijn n’en veulent pas. Un test a été fait entre Liège et Waremme : en train, le trajet durait vingt-huit minutes, il est passé à une heure en bus. Il faut réfléchir en terme de complémentarité et non opposer les modes de transport aux autres.
La ministre Galant soutien que l’Etat du rail est le même en Flandre et en Wallonie. Dire le contraire relève du mythe selon elle. D’accord ?
Elle se trompe lourdement. Un cadastre des voies existe et montre clairement que la Wallonie a un besoin criant d’entretien alors que tout a été remis à neuf en Flandre. La réponse qu’elle vous a faite est scandaleuse, c’est la démonstration qu’elle méconnaît la situation de l’infrastructure en Wallonie.
Son plan prévoit un comité consacré aux investissements où les régions seront représentées.
Avec ce comité, Madame Galant risque d’organiser la concurrence entre les régions. Et au final, dans cet organe, qui va décider ? Elle ? On en sait trop rien.
Va-t-on vers une régionalisation du rail selon vous ?
Le fait que les régions puissent participer au conseil d’administration et la création de ce comité d’investissements démontrent que la porte est de plus en plus ouverte aux Régions. Quid des moyens ? Il faut que les Régions réagissent en affirmant que le rail est une matière fédérale. Si on devait régionaliser aujourd’hui, ce serait la mort du rail en Wallonie. La vision de Madame Galant en matière d’investissement fait courir le risque d’aboutir à une politique d’investissements à plusieurs vitesses.
Dans le même temps Jo Cornu semblent obtenir des résultats, en terme de ponctualité et de gouvernance notamment.
Tout n’est pas à jeter et tout ne va pas si mal dans les chemins de fer. Des choses se font en effet. Nous approuvons les audits qui ont été réalisés. Mais Jo Cornu, CEO de la SNCB, et Luc Lallemand, CEO d’Infrabel, s’inscrivent pleinement dans la vision de Galant. Le premier approuve, le second dit : "OK, alors je limite l’entretien du réseau." Monsieur Cornu ne joue pas son rôle de CEO. Son rôle est de préserver son outil de travail et son personnel et d’oser dire à la ministre qu’elle se trompe. On dirait à l’inverse que Monsieur Cornu est en mission pour le gouvernement.
Que dites-vous aux voyageurs excédés par les grèves du rail ?
On ne s’inscrit pas dans ce mouvement de grève et nous lançons une campagne d’information. L’objectif est de faire un travail avec les voyageurs car nous avons des préoccupations communes. Le gouvernement avance comme un bulldozer et on ne peut pas se permettre d’être isolé. Si on part en grève, les citoyens doivent comprendre pourquoi.
D’où l’éclatement du front commun ?
La CGSP est dans une logique d’affrontement. On verra les résultats. Nous sommes d’accord sur le fond mais nous combattons d’une autre façon. On veut amener le citoyen à s’engager dans ce combat, fédérer afin que ce plan soit retiré. Nous prenons une orientation nouvelle. Le syndicat doit se remettre en question par rapport à l’évolution du contexte. Nous en avons pris conscience. On fait un essai : celui de l’information, celui de tendre la main au voyageur, de lui dire qu’on va se battre ensemble. On ne veut plus tenir un discours : "On part en grève vingt-quatre heures, c’est comme cela et pas autrement." Galant pourrait avoir un autre discours face à des citoyens qui montrent leur désaccord.