Tax shift: Cinquante mille emplois "cher payés"
Le tax shift créerait entre 45 000 et 65 000 jobs. Jean Hindriks (UCL) est sceptique.
Publié le 01-12-2015 à 19h19 - Mis à jour le 01-12-2015 à 21h04
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Le Bureau du Plan et la Banque nationale ont livré lundi soir ("LLB" 1/12) leurs prévisions respectives de l’impact du tax shift sur l’emploi. Des évaluations très attendues par le gouvernement Michel, qui a fait de la création de jobs son premier objectif et compte beaucoup sur ce glissement fiscal (baisse des cotisations patronales, diminution de la taxation des revenus du travail, augmentation de la TVA sur l’électricité et des accises sur le diesel et l’alcool, hausse de la taxation du capital…) pour l’ atteindre .
Résultat de ces analyses : d’ici 2021, la création nette d’emplois devrait être comprise entre 45 000 (selon le Plan) et 65 000 (selon la BNB). Soit une progression de l’emploi comprise entre 1,0 et 1,7 %. Les ministres de l’Emploi Kris Peeters (CD&V) et des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) n’ont pas manqué de se réjouir de cette bonne nouvelle, d’autant qu’elle s’accompagne d’autres : croissance économique supérieure de 0,57 % à 1,5 %; investissements en hausse de 0,55 % pour les entreprises et de 1,0 % pour les pouvoirs publics; revenu disponible réel des particuliers en augmentation de 2,25 % à 2,4 % et bénéfice des entreprises en hausse de 0,60 %.
Impact sur les négociations salariales
Bref, que du bonheur ? Ce serait oublier que, d’une part, ce tax shift n’est pas encore entièrement financé (il manque 3 milliards d’euros selon la Cour des comptes, 4 milliards selon le Plan et même 6 milliards selon la BNB), et d’autre part, ce tax shift coûtera, selon le gouvernement lui-même, près de 8 milliards d’euros.
Huit milliards d’euros pour (au mieux) 65 000 jobs, "c’est cher payé" , analyse Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCL et senior fellow à l’Itinera Institute. "Et encore, il faudra voir s’il s’agit d’emplois réellement créés ou d’emplois sauvés, qui sont difficiles à identifier."
Le spécialiste des finances publiques ajoute que l’on ne connaît pas non plus l’impact qu’aura le tax shift sur les négociations salariales des prochaines années. "On peut supposer que si le coût du travail diminue, les syndicats réclameront leur part du gâteau. Ce qui se payait auparavant à l’Etat, sous forme de cotisations, pourrait alors être versé aux travailleurs, sous forme de salaires. Cela s’est déjà vu à l’étranger. En Suède, on a réduit la fiscalité sur le travail et augmenté la TVA et le marché du travail ne se porte pas bien, avec un chômage élevé chez les jeunes."
"Le moteur, c’est l’innovation"
"Je suis sceptique face à ce tax shift, conclut Jean Hindriks. On se trouve devant un grand exercice de communication et personne ne peut vraiment dire quel sera l’impact final de cette mesure. On surestime la création d’emplois. En Belgique, avec tous les subsides aux entreprises, l’emploi est déjà sous perfusion. Selon moi, le vrai moteur, ce n’est pas de réduire le coût du travail, mais bien de trouver de nouveaux débouchés pour les produits fabriqués en Belgique, de développer une politique de recherche et développement afin d’enrayer les délocalisations."
Colmant : "Affirmer que le tax shift va créer 45.000 ou 65.000 emplois, cela me paraît énorme"
Le tax shift (glissement fiscal) du gouvernement Michel doit créer entre 45.000 (selon le Bureau du Plan) et 65.000 jobs (selon la Banque nationale), se sont réjouis les ministres Peeters et Van Overtveldt. Bruno Colmant, professeur de finances notamment à l'ULB, se permet de douter de ces projections. "On verra bien combien de jobs seront réellement créés, réagit-il pour "La Libre". Mais il est très difficile de discerner l'effet isolé du tax shift d'autres éléments comme les taux d'intérêts bas, l'euro faible ou le prix bas des matières premières. Disons que le tax shift tombe à point, qu'il complète les circonstances du marché. Mais affirmer que le tax shift, seul, va créer 45.000 ou 65.000 emplois, cela me paraît énorme."
Des recettes fiscales nouvelles estimées sur des bases trop floues
Dans son avis sur le budget 2016 du gouvernement fédéral, la Cour des comptes a épinglé des faiblesses dans les estimations des recettes attendues des nouvelles mesures fiscales. Très diplomatiquement, la Cour “observe que les notes de calcul reposent souvent sur la situation existante et ne tiennent pas suffisamment compte de l’élasticité des prix, des changements de comportement des consommateurs ou des possibilités d’évasion fiscale. Il n’est donc pas exclu que certaines recettes provenant de ces mesures fiscales soient surestimées.”
Adaptation des comportements Pour la fameuse “taxe Caïman” qui doit frapper les revenus des constructions juridiques étrangères, la Cour des comptes note que les paramètres utilisés pour l’estimation des recettes rendent celles-ci très incertaines, tout comme les possibilités de l’éluder purement et simplement. La régularisation fiscale permanente ? “Son rendement est précaire” , estime la Cour qui épingle “des paramètres peu fiables” et qu’en l’occurrence, le fédéral doit à cet égard s’accorder d’abord avec les Régions, en conséquence de la sixième réforme de l’Etat. Quant à la taxe sur les plus-values spéculatives, tout dépendra ici… du climat boursier, et, une fois encore, de la manière dont les investisseurs concernés éluderont la taxe : en conservant leurs titres plus longtemps, en changeant de produits ou en passant par des brokers étrangers.