La Silicon Valley au féminin
Ruth Porat est l’une des femmes les plus puissantes du monde. La nouvelle directrice financière d’Alphabet a tout appris à Wall Street. Portrait.
- Publié le 09-01-2016 à 18h55
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On s’imaginait Ruth Porat devenir un jour PDG de Morgan Stanley. On la voyait intégrer le Trésor du gouvernement américain. Mais non, c’est en Californie que la banquière star a décidé de poser ses valises l’année dernière pour prendre les rênes de la direction financière d’Alphabet, qui regroupe depuis l’automne toutes les activités de Google pour plus de visibilité. Voilà du changement, après trois décennies passées du côté de Wall Street !
Mais à 58 ans, c’est aussi un retour aux sources pour Ruth Porat, qui a passé une partie de son enfance à Palo Alto, à une époque où la Silicon Valley commençait à peine à naître. Dans les années 70, la maison qu’elle vient de s’y offrir s’était vendue pour environ un million de dollars. Aujourd’hui, elle en coûte 30. Le prix pour résider à quelques pâtés de maisons de Mark Zuckerberg et Larry Page.
Quand elle vivait encore à New York, Ruth Porat était connue pour ne pas tenir en place, à déménager sans cesse avec son mari et ses 3 enfants. En revanche, dans la vie professionnelle, c’est la stabilité qui fait sa réputation. Diplômée de Stanford et de la London School of Economics, elle intègre la banque d’affaires Morgan Stanley dès 1987. Il fallait déjà avoir les nerfs solides, puisque cette année-là, le plus gros krach boursier depuis 1929 allait se produire et pas moins de 560 milliards de dollars se volatiliser à la bourse de New York. Après une brève excursion chez le courtier Smith Barney, elle revient au point de départ en 1996. A partir de cette date, elle jure fidélité - à toute épreuve - à Morgan Stanley.
Comme prédestinée, Ruth Porat s’occupait déjà à ses débuts de conseiller les futurs géants de l’Internet. Amazon et eBay ont fait leurs premiers pas en bourse grâce à son aide. Après l’éclatement de la bulle Internet à la fin des années 90, elle se repositionne en conseillère financière, ce qui la place aux avant-postes pendant la crise de 2008. Mais au lieu d’y perdre des plumes, elle se fait encore une fois remarquer, au point d’être appelée par la Maison-Blanche pour gérer le sauvetage de l’assureur AIG et les mises sous tutelle publique de Fannie Mae et Freddie Mac. En 2010, Ruth Porat est nommée directrice financière de Morgans Stanley. Puis en 2013, Barack Obama lui propose de devenir adjointe au Secrétaire américain au Trésor. Ce qu’elle refuse. Elle redoute la mauvaise image qu’ont les banquiers à Washington. Et puis, à cette époque, Ruth Porat gagne autour de 10 millions de dollars par an. Pourquoi s’en priver… ?
C’est donc la Silicon Valley qui aura réussi à la convaincre de prendre son premier grand virage. Ruth Porat arrive dans un moment clé pour Google. Son ambition est avant tout d’ajuster le niveau des dépenses, alors que le géant du Web s’est lancé dans une série d’investissements hasardeux comme les voitures sans chauffeur ou la biotechnologie.
Son second défi majeur reste celui d’être une femme dans la Silicon Valley. Comme à Wall Street, le cercle des femmes au pouvoir y est très restreint. Ruth Porat rejoint ainsi Marissa Meyer, la PDG de Yahoo, Shery Sandberg, directrice des opérations de Facebook ou encore Angela Ahrendts, vice-présidente d’Apple.
Enfin, ce "shift" vers la côte Ouest s’inscrit dans une tendance de fond. Les grands noms de la côte Est américaine ont décidément entamé une migration vers le soleil californien. Jay Carney, l’ancien porte-parole de la Maison-Blanche, est parti chez Amazon l’an denier. David Plouffe, le manager de campagne de Barack Obama en 2008 est devenu conseiller stratégique d’Uber. Anthony Noto, jadis directeur chez Goldman Sachs, est désormais directeur financier de Twitter.
Et cette tendance n’est pas prête à s’inverser. Au fameux Massachusetts Institute of Technology, seuls 10 % des étudiants ont opté pour la finance en 2014, contre 31 % en 2006 avant la crise. A la Harvard Business School, le nombre d’étudiants s’orientant vers les nouvelles technologies est passé de 7 à 17 % sur la même période, délaissant en partie les cursus financiers. La Californie revit ainsi une nouvelle ruée vers l’or. La preuve : Ruth Porat s’est vu promettre 70 millions de dollars si elle est toujours en poste fin 2016. Et quand on a résisté à autant de tempêtes…