"Piétonnier, tunnels et terrorisme: c'est toute l’économie bruxelloise qui est en train de couler!"
"Il faut repenser le piétonnier. De nombreux clients qui ne viennent plus dans le centre ! Pendant ce temps, les confrères du Brabant wallon ont des restaurants remplis!" Tel est l'appel au changement de politique de la ville lancé par la propriétaire du célèbre restaurant gastronomique "Comme chez Soi". Laurence Rigolet-Wynants est l'Invitée du samedi de LaLibre.be.
Publié le 16-04-2016 à 10h09
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"Il faut repenser le piétonnier. Je connais de nombreux clients qui ne viennent plus dans le centre ! Pendant ce temps-là, les confrères de la Région bruxelloise et du Brabant wallon ont des restaurants remplis! On a perdu 15 à 20% de chiffre d'affaires." Tel est l'appel au changement de politique de la ville lancé par la propriétaire du célèbre restaurant gastronomique "Comme chez Soi".
Laurence Rigolet-Wynants, fille de Pierre Wynants et épouse de Lionel Rigolet, est l'Invitée du samedi de LaLibre.be.
Dans une opinion publiée sur LaLibre.be, le directeur de Gault&Millau Benelux regrette que les restaurants du centre de Bruxelles soient vides depuis le premier jour du piétonnier. Vous dressez le même constat ?
J'ai presque eu envie de pleurer en lisant ce texte. Les six premiers mois de l'année 2015 avaient été très bons pour nous puis, à la fin juin, le piétonnier a été inauguré. Selon un bilan que j'ai réalisé, de mi-août au 30 septembre, nous avons observé une perte de 18.000 euros de chiffre d'affaires sur les seuls repas du midi. Je dois cependant admettre que, après ce bilan, nous avons connu un très bon mois d'octobre. Les gens s'étaient-ils habitués au piétonnier ? Je ne pense pas ! Ensuite, en novembre, il y a eu les attentats de Paris et le relèvement de la menace terroriste ici. Depuis lors, c'est la cata !
Vous n'imputez donc pas tous les maux au seul piétonnier ?
Il est difficile d'évaluer à quelle hauteur le piétonnier a pesé sur cette chute de fréquentation. D'autant qu'il y a aussi la menace sur Bruxelles et la fermeture du tunnel Stéphanie. Suite à cette fermeture, c'est toute la clientèle de Waterloo, Uccle, Boitsfort qui se détourne. Quand j'apprends que ça fait trois mois que le tunnel est fermé et qu'on n'a pas déplacé un centimètre de béton, ça me dépasse ! Les systèmes politiques sont difficiles à comprendre. Or, c'est toute l’économie bruxelloise qui est en train de couler. Le piétonnier, on en parlait depuis longtemps mais personne ne voulait y croire. On se disait qu'un parti comme le MR qui, en général, soutient les indépendants allait nous aider. Mais, au contraire, le MR soutient le piétonnier ! Quel est l'objectif ? On me répond qu'il sera magnifique en 2018. Mais d'ici là, les commerçants ont tout le temps de partir de Bruxelles.
Vous pensez réellement déménager ?
Je ne peux pas me l’imaginer! Nous avons entrepris des travaux colossaux il y a 15 ans, il nous reste 5 ans de remboursements. Financièrement, ce serait excessivement compliqué pour nous. En plus, le restaurant fête ses 90 ans cette année.
"Bon Bon" s'est déplacé, lui...
Oui, mais "Bon Bon" n'a pas 90 ans derrière lui. Christophe Hardiquest s'est fait tout seul. Moi, toutes mes racines sont ici. Nous avons grandi génération après génération dans cette maison. Si un jour je dois déménager, c'est que je n'aurai pas le choix. Je sens quand même que les responsables politiques, dont le bourgmestre, sont à l'écoute. Mais en même temps rien ne change... Et je le redis : je ne comprends pas que le MR ne fasse pas grand-chose pour soutenir les indépendants et commerçants.

(Le projet de piétonnier tel que présenté avant son inauguration)
Vous sentez que votre clientèle change ?
Je connais de nombreux clients qui ne viennent plus dans le centre ! Pendant ce temps-là, les confrères de la Région bruxelloise et du Brabant wallon ont des restaurants remplis ! Mardi matin, un Monsieur qui venait pour réparer ma machine à café a mis 2h30 pour arriver d'Anvers !
Vu la fermeture du tunnel Stéphanie et la menace de niveau 3, appelez-vous Yvan Mayeur à revoir son piétonnier immédiatement ?
Depuis le mois de novembre, on est à 15-20% de diminution du chiffre d'affaires. J'ai 25 personnes à temps plein à payer à la fin du mois. Le chômage économique aide un petit peu mais, au bout du compte, vu nos investissements, mon mari et moi travaillons plus pour nos équipes que pour nous-mêmes. Il faut vraiment être passionné pour continuer notre métier. Il est donc clair qu'il faut repenser le piétonnier ! Cela fait longtemps que cela aurait dû être fait. Des changements ont encore été apportés il y a deux semaines, mais pour améliorer quoi ? Rien du tout ! Tout reste engorgé. C'est le foutoir total dans ce labyrinthe.
Le projet de piétonnier, y êtes-vous favorable ?
Je pense qu'autour de la Grand-place de Bruxelles, il faut faire certaines choses. Mais on a vu beaucoup trop grand et on a fermé beaucoup trop vite certains axes très importants sans en mesurer toutes les conséquences.
Vous indiquez que le bourgmestre Yvan Mayeur est à l’écoute, mais l’absence de réaction semble démontrer le contraire, non ?
Disons que quand on a l’occasion de rencontrer le bourgmestre, il écoute ce que l’on dit. Après, il n’est sans doute pas seul à décider. Je serais d’ailleurs très curieuse de savoir ce qui ressortirait d’une consultation populaire organisée auprès des Bruxellois vivant à l’intérieur du Pentagone. Si cela se trouve, notre avis n’est pas largement partagé par nos voisins. Mais prenons le cas de ma fille : elle refuse de se rendre à pied au cinéma de la Place De Brouckère, et ce, même avec son petit ami. Elle y allait régulièrement mais, vu la fréquentation en soirée, elle n’y va plus jamais. Vraiment plus jamais ! Contrairement à l’année dernière, elle n’ose plus traverser cette rue la nuit. La prochaine fois qu'on ira au cinéma, nous prendrons notre voiture pour nous rendre à Toison d’Or. Voilà le résultat du grand piétonnier !

(Les embouteillages à hauteur du rond-point Louise)
Les politiques affirment qu’il y a beaucoup moins d’agressions que par le passé…
Je les aime bien ceux qui prétendent que la criminalité a chuté depuis le début de l’année, mais depuis les attentats de Paris, y a beaucoup moins de monde qui se promène dans le centre-ville. Ce constat n’est vraiment pas très réfléchi, il est logique face à cette réalité. La situation pose tout de même de sérieuses questions sur l’avenir économique de quelques cafés très connus près de la Bourse. Puis, on se demande aussi comment va évoluer l’immobilier du centre de Bruxelles. Qui peut prédire un bel avenir au centre-ville tel qu’il est maintenant ? L’immobilier va subir des moins-values. Et, je le répète, les attentats et la fermeture de tunnels n’ont évidemment rien arrangé. Quand on a 24 personnes à temps plein, il faut que l’affaire tourne et que l’argent rentre. Grâce à la solidarité des Belges, on se sent soutenu. Samedi dernier, en soirée, nous étions au complet, mais il n’y avait que des Belges. On a vraiment le sentiment que la clientèle belge nous montre son soutien en venant chez nous.
Par contre, les touristes se font rares ?
Les touristes et clients étrangers se font beaucoup plus rares. Et on peut déjà être content, car si nous avons perdu 15 à 20% de chiffre d’affaires, certains confrères ont vu leur chiffre chuter de 50% en restaurant. C’est clairement la tendance vers laquelle on va pour le moment.
Vous en tirez déjà des conclusions ?
Nous attendons encore un petit peu et nous nous arrangeons avec le chômage économique, mais si ça continue comme ça, on devra réduire notre personnel.
Vous vous apprêtez à célébrer les 90 ans du "Comme chez Soi". En quelques mots et sans divulguer ce qui le sera en conférence de presse la semaine prochaine, à quoi ressemblera cet anniversaire ?
J’avais le sentiment que mon père souhaitait qu’on marque cet anniversaire. On a envie de réaliser un menu qui rendra hommage aux quatre générations qui se sont succédé dans la maison. Pour les clients, cela serait une découverte originale. C’est aussi l’occasion pour nous de raconter l’histoire unique en Belgique – je pense – de ce restaurant gastronomique.