En 5 ans, James Daunt a sauvé Waterstones, le géant britannique du livre
Sa méthode : transformer le premier vendeur de livres en véritable libraire. Rencontre.
Publié le 17-04-2016 à 13h10 - Mis à jour le 17-04-2016 à 13h13
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Finie la crise ! Le salon du livre de Londres, qui s’est tenu dans le Sud de la capitale anglaise du 12 au 14 avril, a transpiré d’optimisme. Après deux années de recul, les ventes des livres ont progressé en 2015 en volume (+4 %) et en valeur (+5 %), selon les données de l’institut Nielsen. Ce rebond est avant tout dû à la progression des ventes de livres imprimés, dont l’effondrement en 2013 et 2014 avait fait craindre le pire aux acteurs du secteur. Leur sauveur ? James Daunt, le patron âgé de 52 ans du groupe de librairies Waterstones, numéro un national de la vente de livres.
Lors de son entrée en fonction en mai 2011, sa tâche s’annonce gigantesque. Le secteur est en crise et Waterstones, surendetté, vient tout juste d’être sauvé de la faillite grâce à son rachat par le milliardaire russe Alexander Mamut pour 60 millions d’euros. Plutôt que de nommer un habitué du monde de la distribution, le nouveau propriétaire opère un choix très osé : celui du fondateur et propriétaire d’une chaîne de six librairies londoniennes.
Pour remettre le géant du livre sur les rails, James Daunt licencie d’emblée la moitié des responsables de magasins et un tiers des vendeurs. "Nous n’aurions pas survécu sans ces mesures extrêmes", assure-t-il. Parallèlement, il rompt avec la méthode traditionnelle d’achat de livres. "Comme dans toutes les grandes chaînes du monde, les éditeurs payaient pour obtenir une bonne visibilité pour leurs livres dans les magasins et pour les intégrer aux classements des libraires. Nous leur avons dit : "Nous ne prenons plus rien, nous ne prenons que ce que nous aimons et dans les quantités que nous décidons." Les éditeurs nous ont pris pour des fous car cette méthode nous assurait des revenus importants." Environ 35 millions d’euros par an.
Cette décision bouleverse l’économie de l’entreprise : les invendus représentaient entre 20 et 25 % du stock de Waterstones; ils tournent aujourd’hui entre 3 et 4 %. Libéré d’une activité très prenante, le personnel se voit alors offrir plus d’autonomie. "Nous avons centralisé les commandes mais en disant aux responsables des magasins : "Vous gérez vos propres devantures, votre propre promotion. Si vous voulez commander plus de tel ou tel livre que prévu, pas de souci, mais vous êtes désormais responsables de votre stock, ce qui n’était pas le cas avant." Nous voulions mettre fin à notre modèle de magasin unique." Les trois cents magasins Waterstones proposaient, en effet, une offre rigoureusement identique, qu’ils se situent dans un quartier cossu de Londres ou une ville industrielle du Nord de l’Angleterre.
Les effets de la diversification des magasins se font rapidement sentir. Aussi bien dans les offres que dans les prix : les enseignes londoniennes ne font quasiment jamais de remise, alors que ceux du Nord du pays offrent quasiment constamment 20 % de réduction. L’offre généralisée de trois livres pour le prix de deux est en revanche éliminée. Waterstones, qui s’était lancé dès les années 1990 dans une guerre des prix face aux supermarchés, rentre dans le rang. "Nous sommes devenus de meilleurs vendeurs", assure James Daunt. "Nous avons acquis la mentalité des libraires indépendants. Lorsque l’on vend ce que l’on aime, on vend toujours mieux. Nous sommes devenus capables de transformer les très bons livres en best-sellers."
Les éditeurs ont immédiatement ressenti cette évolution. "Lorsque Waterstones aime un livre, son engagement est énorme, ses commandes de livres sont inimaginables et l’effet s’en trouve miraculeux", témoigne Alexandra Pringle, éditeur en chef de la maison Bloombsury. "C’est devenu, en revanche, beaucoup plus dur pour les livres plus silencieux, les livres et les auteurs qui ont besoin de temps car ils ne bénéficient pas d’une promotion forte. Cela me fend parfois le cœur."
Waterstones serait redevenu profitable lors de l’année fiscale 2015, qui vient de s’achever aux Royaume-Uni. Preuve de sa solidité retrouvée, le groupe a d’ailleurs commencé à ouvrir de nouveaux magasins. "Une douzaine, bien souvent à l’emplacement d’anciennes librairies indépendantes", précise James Daunt.
Tout sauf un hasard.

