Burger King et Quick: le petit poucet (belge) avalé par l’ogre (nord-américain)
Les 101 enseignes belges et luxembourgeoises ont trouvé un acquéreur. On se dirige vers une disparition de la marque Quick au profit de Burger King. Deux experts nous éclairent sur l'impact au niveau des clients et du combat avec McDo.
- Publié le 25-07-2016 à 21h43
- Mis à jour le 25-07-2016 à 22h03
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/QCG6CAME5RGHJN2M5HAFNIKKFM.jpg)
Burger King qui mange Quick, c’est Whopper qui dévore Giant. Mais c’est aussi, et surtout, la fin d’une très belle success-story belge. Quick, dont la naissance remonte au tout début des années 1970, aura en effet réussi l’exploit de damer le pion à un autre géant de la restauration rapide, McDonald’s, durant plus de quatre décennies sur le marché belge !
Ainsi, après quelques mois de spéculations, l’information est tombée, hier, par voie de communiqué. Rédigé en commun par le cédant (le groupe français Bertrand) et l’acquéreur (la société belge QSR), ce communiqué nous apprend que la transaction - dont la finalisation devrait intervenir d’ici la fin de l’été - permettra "le lancement attendu de la marque Burger King en Belgique, d’une façon progressive et en étroite collaboration avec les franchisés". L’acquéreur ne fait donc nullement mystère de ses intentions, même si aucun calendrier n’est annoncé : à terme, les 101 restaurants Quick - 92 en Belgique (dont 81 exploités en franchise) et 9 au Luxembourg - et leurs 3 500 collaborateurs passeront sous la bannière Burger King. C’est ce qui a déjà été annoncé par le groupe Bertrand en France, où Quick disparaîtra du paysage d’ici 2020.
Un fonds belgo-suisse à la manœuvre
Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de cette opération (dont le montant est gardé confidentiel), un petit retour en arrière s’impose. A la fin de l’année dernière, le groupe familial français de restauration Olivier Bertrand rachetait Quick au fonds d’investissement Qualium, s’emparant de 401 restaurants, répartis en France, en Belgique, au Luxembourg, mais aussi en Tunisie, en Turquie ou encore au Maroc. Mais, trois mois à peine après ce rachat, le groupe Bertrand décidait de mettre en vente les 101 Quick belges et luxembourgeois.
C’est finalement la société QSR Belgium qui aura emporté le morceau. QSR se présente comme une société dont les actionnaires sont des investisseurs familiaux faisant partie de l’écosystème de Kharis Capital, un fonds d’investissement belgo-suisse. Les deux fondateurs en sont Daniel Grossmann et Manuel Roumain, lesquels sont aussi les administrateurs de QSR Belgium. Depuis de nombreuses années, ce duo est en relation étroite avec le groupe Burger King, "notamment à travers la société anonyme belge Burger King S.E.E., qui opère des master franchises dans plusieurs pays européens", détaille le communiqué de QSR Belgium.
Attachement à Quick
Du côté des franchisés, dont certains avaient tenté en vain de reprendre Quick Belux, on se montrait plutôt fataliste, hier. "On s’y attendait ! Maintenant, dire que cela ne nous touche pas serait travestir la vérité. Quick fait partie de notre vie. Une page se tourne, mais nous allons rebondir", confie à "La Libre" Aurelio Rinaldi, dont la famille gère le Quick de Haine-Saint-Pierre depuis vingt ans.
Le principal point d’interrogation concerne la durée de la période de transition. Eu égard à l’attachement des Belges à Quick, il est probable que la transformation des premiers restaurants en Burger King devrait servir de test et déterminera les chances de survie de la marque Quick et de son célèbre Giant.
Gino Van Ossel : "La force de Quick, c’était son accent belge"
Après une histoire longue de plusieurs décennies, la marque Quick devrait progressivement tirer sa révérence en Belgique. Luc Moeremans, professeur de Corporate Strategy à l’Ichec Brussels Management School, et Gino Van Ossel, professeur de marketing à la Vlerick Business School, nous ont livré leur analyse.
Ils se penchent, d’abord, sur la question de savoir s’il est pertinent de faire disparaître la marque Quick, très connue en Belgique. "Je crois que, localement, la marque Quick a une véritable valeur, mais ce n’est pas une valeur, ni une marque mondiale , répond d’entrée de jeu Luc Moeremans . Or, dans toutes les grandes sociétés qui font des fusions et des acquisitions, il y a toujours le dilemme de savoir si on veut être multimarques et proche de ses segments locaux spécialisés ou si on veut avoir une marque mondiale. Certains groupes favorisent des marques locales, et même achètent des sociétés parce qu’elles ont une très forte teneur et valeur locales. D’autres, comme McDonald’s et Burger King, veulent avoir des marques mondiales. Comme Starbucks ou, chez nous, Exki et Le Pain quotidien."
Et d’ajouter : "Changer la marque est d’une très grande et classique logique. La valeur d’une marque au niveau mondial, qui fait la valeur de la société elle-même, est fonction de sa présence dans de très nombreux pays, de son implantation. Quick a une certaine densité en Belgique mais, pour avoir une densité bien supérieure à celle de McDonald’s, il suffit de transformer les Quick en Burger King : on perd en valeur comptable la valeur de la marque Quick mais probablement que, dans quelques années, le surplus de valeur de marque pour Burger King sera certainement très grand."
Burger King va-t-il croquer McDo ?
Selon Gino Van Ossel, il y a une certaine logique à opter pour Burger King en Belgique, alors que la marque Quick va être remplacée par Burger King en France. "Le marché des fast-foods est en stagnation, il n’est pas évident de supporter l’ensemble des coûts fixes sur un seul marché , explique-t-il . En optant pour Burger King, le groupe QSR pourra se concentrer sur l’opérationnel. Il sera moins impliqué dans la publicité, le marketing, la conception des menus. En ce sens, il va se rapprocher du modèle de McDonald’s. Par exemple, il y a un fournisseur pour toute l’Europe pour les milk-shakes, le coca… Beaucoup de décisions sont prises au niveau du groupe."
Jusqu’à présent, le marché belge était dominé par un duel entre Quick et McDonald’s. L’enseigne belge détient 92 restaurants, tandis que son concurrent américain en détient 74. Le remplacement de Quick par Burger King va-t-il permettre l’audit Burger King de tailler des croupières à McDonald’s en Belgique ? "Je ne pense pas que l’arrivée de Burger King va permettre d’augmenter le chiffre d’affaires des restaurants actuels de Quick , soutient Gino Van Ossel . Selon moi, les parts de marché entre McDo et Burger King devraient rester identiques à la répartition actuelle entre McDo et Quick." De son côté, Luc Moeremans note que McDo ne va pas trouver un terrain d’expansion plus favorable aujourd’hui car au nombre de restaurants Quick existant, il faut ajouter la force de frappe de Burger King avec à la clé, sans doute, davantage de moyens (marketing et promotionnels) pour booster le business en Belgique. "Pour les franchisés, ce n’est pas une mauvaise chose" , souligne-t-il, car leur business va peut-être connaître "un petit coup de fouet" par rapport à un Quick qui était "peut-être bien connu, très, trop connu mais qui fatiguait peut-être un peu" .
Hamburger sauce cocktail
Reste que la réponse appartient aussi aux clients. Si de nombreux fans de hamburgers se réjouissent de l’arrivée de Burger King (qu’ils ont appris à connaître hors de nos frontières), d’autres ne jurent que par Quick. On saura bientôt quel camp possède le plus de représentants…
Enfin, outre le changement de marque, il reste un autre sujet sensible, celui du changement de menu. Il devrait être aligné sur le menu standard des Burger King dans le monde, même s’il est toujours adapté localement. "S’ils pouvaient dire : on change de marque mais on garde le menu, je crois que cela rassurerait beaucoup de gens" , sourit Luc Moeremans.
"Quand GIB a lancé Quick, sa grande force était l’accent belge qu’il a conféré aux menus , ajoute Gino Van Ossel . Un hamburger avec de la sauce cocktail, on ne voit ça qu’en Belgique."
Le Whopper débarque
A la flamme. Si de nombreux Belges regrettaient hier sur les réseaux sociaux la disparition de Quick, pour bien d’autres, l’arrivée de Burger King a, au contraire, mis l’eau à la bouche. Comme celle de McDo, l’image de Quick est en effet liée à la malbouffe. Face à un Giant tout mou, à la viande plate et sans goût, le souvenir d’un Whopper dégusté aux Etats-Unis est nettement plus flatteur… D’autant que chez Burger King, on prend encore la peine de demander au client la cuisson de sa viande; un luxe dans l’univers du fast-food.
Dans "Le hamburger, une histoire sociale des Etats-Unis" (Buchet & Chastel, 2008), Josh Ozersky revenait sur la success-story de Burger King, enseigne lancée à Miami en 1954 et qui, durant des années, fut la seule à rivaliser avec McDonald’s, son modèle. Le concept initial était celui d’un burger produit par une machine, l’"Insta Burger King", capable de griller 400 hamburgers à l’heure. De cette usine à gaz rapidement abandonnée, BK a gardé le principe (toujours utilisé) d’un tapis roulant faisant glisser la viande au-dessus d’une rôtissoire. Et c’est bien ce goût de flamme, rappelant celui du barbecue dont raffolent les Américains, qui a fait, et fait toujours, le succès de Burger King, avec ses burgers à la viande fondante, loin des semelles qui se glissent trop souvent dans les "buns". Le second ingrédient du succès, c’est le lancement, dès 1957, du Whopper : un "gros" hamburger (110 g de bœuf par tranche) qui correspondait parfaitement à la société de surconsommation américaine des années 60. Reste qu’avec 13 000 points de vente dans 88 pays, BK reste un fast-food, incapable de garantir la qualité de chacun de ses hamburgers…