Caterpillar: et maintenant, que vont-ils faire?
Un week-end après l’annonce de la fermeture de l’usine Caterpillar à Gosselies, les syndicats élaborent un plan de bataille à court terme. L’heure était au calme et à la morosité, lundi, sur le site. Quels obstacles pourraient empêcher une reprise du site?
Publié le 06-09-2016 à 07h36 - Mis à jour le 06-09-2016 à 07h44
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/G73EKVQB3RHPBH67ZD2PHJP77I.jpg)
Un week-end après l’annonce de la fermeture de l’usine Caterpillar à Gosselies, les syndicats élaborent un plan de bataille à court terme. L’heure était au calme et à la morosité, lundi, sur le site. Quels obstacles pourraient empêcher une reprise du site ?
La stratégie syndicale est en marche à Gosselies
A une semaine de l’ouverture de la procédure Renault, les syndicats de Caterpillar Gosselies se sont retrouvés, lundi matin, afin de définir une stratégie commune à court terme face au groupe américain qui a décidé la fermeture complète du site. De cette stratégie, on ne saura encore rien. C’est qu’il ne faudrait pas publiquement dévoiler ses armes avant même que la bataille ait commencé. On apprend toutefois de Jean-Marie Hoslet, permanent CSC, qu’"il y a beaucoup de bonnes intentions mais que ça part un peu dans tous les sens. Sur la majorité des points, CSC et FGTB sont d’accord. Des discussions sont encore en cours mais je suis confiant".
Les représentants du personnel doivent, par exemple, décider si l’usine va assurer les livraisons des engins de chantier dont la fabrication est achevée. "Ce sont les seuls trésors de guerre que nous avons. Si on les laisse partir, on se déforcerait", souligne Jean-Marie Hoslet. "L’entreprise est tenue de continuer à produire et, si cela ne tenait qu’à moi, je garderais les engins", déclare Antonio Zonca, permanent FGTB. Les deux organisations syndicales veulent en tout cas tout faire pour qu’il n’y pas de casse sur le site. "Ce n’est pas dans l’intérêt des travailleurs", précise Jean-Marie Hoslet. "Par le passé, on a toujours préservé l’outil", signale Antonio Zonca. Tout était d’ailleurs très calme à Gosselies ce lundi.
Préserver ou non des activités Caterpillar
Le syndicat chrétien fait savoir qu’il veut que Caterpillar préserve une partie de ses activités sur place. "Même si les chances de redémarrage sur une ligne sont infimes, on veut quand même tenter le coup. Pourquoi ne pas choisir un modèle d’engin de chantier plus petit, plus maniable ? Avant de parler de reconversion, je ne m’avoue pas vaincu. Ça vaut la peine d’essayer", lance Jean-Marie Hoslet. Cette option semble irréaliste aux yeux d’Antonio Zonca. "Sauvegarder une partie de l’activité coûterait trop cher. Par contre, si un investisseur reprenait une partie de l’usine, pour faire du montage par exemple, ce serait peut-être possible."
La première réunion de la phase 1 de la procédure Renault (information et consultation) aura lieu lundi. Mais au fait, qui sera leur interlocuteur ? "On se le demande, vu que la direction de Gosselies n’a plus le droit de décision", dit le permanent FGTB. Quand il s’agira d’entrer dans la phase 2 (négociation du plan social), la CSC donne un aperçu de son plan de bataille. "Essayer de faire baisser l’âge de la prépension pour les travailleurs et les sous-traitants, et négocier un volet social et financier pour les formations, au-delà de l’enveloppe prévue."
Réunion avec le gouvernement wallon
Dans l’après-midi, les syndicats ont participé à une réunion à Namur avec les principaux ministres du gouvernement wallon et les avocats de la Sogepa (bras financier de la Région). Il s’agissait d’examiner toutes les possibilités permettant de protéger les travailleurs et les sous-traitants.
On a enfin appris que la direction de Caterpillar a refusé de venir expliquer aux parlementaires fédéraux, à la Chambre ce mardi, la décision de fermeture de l’usine. Un refus dénoncé lundi soir par le PS et Ecolo, mais qui paraît compréhensible puisque, dans le cadre d’une procédure Renault, ce type d’information doit être délivré aux syndicats au sein des conseils d’entreprise. Le Premier ministre, Charles Michel, sera, lui, entendu par la commission ce jeudi.
"On ne va pas faire de nous des bagagistes"
Lundi matin, les choses avaient l’air presque normales, devant le site de Caterpillar à Gosselies. Si ce n’est quelques caméras, quelques photographes et quelques employés de PME dépendantes de la firme américaine présents devant le site, le calme régnait.
Les travailleurs arrivent en voiture et se dirigent vers le parking. Quelques drapeaux rouges et verts sont suspendus au grillage près de la porte principale. Un panneau "A vendre", chipé sur une habitation proche du site a été accroché à la porte d’entrée. A l’intérieur, les syndicats informent les travailleurs.
Le cœur n’y est pas. Clemente Elmo, délégué CSC, sort de l’usine en voiture pour se rendre à la réunion intersyndicale. Il s’arrête, il explique : "L’ambiance n’est pas au travail aujourd’hui, elle est très fraternelle. C’est particulier. Il y a un cadre qui d’habitude me sert la main, maintenant il me fait la bise. Il est aussi inquiet que nous." Les travailleurs ont pointé. La procédure Renault les oblige à respecter leur contrat de travail. En cas de faute grave, ils peuvent être virés. Ils le savent et pour beaucoup ce n’est vraiment pas le moment de faire quelque chose de regrettable.
"Un gros coup de bluff"
Les gens ne dorment pas bien. La nuit ils cogitent. Rien n’est exclu, tout leur semble possible : "Je me suis même demandé si ce n’était pas un gros coup de bluff pour nous faire accepter une restructuration sévère", explique encore le délégué syndical.
Mais ce qui gêne, peut-être le plus, les travailleurs de Caterpillar, ce sont les discours qui abordent déjà le futur du site. Comme s’ils étaient déjà morts, comme si tout était plié. Comme si les promesses faites de se battre pour eux n’étaient que des belles paroles. "Entendre qu’il y a déjà des repreneurs, c’est des conneries pour nous. Nous allons nous battre. Après je peux comprendre les discours des politiques, pour eux un emploi est égal à un emploi lorsqu’on parle de reconversion, mais mon emploi c’est mon emploi, c’est pas un autre, après 37 ans passés ici. On ne va pas tous nous transformer en bagagistes pour l’aéroport", conclut-il.
La cession du terrain : une affaire de négociations
Kris Peeters, le ministre fédéral de l’Emploi et de l’Economie (CD&V), déclarait dans "La Libre" de lundi que la récupération du terrain de Caterpillar Gosselies par la Région wallonne était possible. Paul Magnette, le ministre-Président wallon (PS), l’affirmait lundi matin au micro de La Première : le site "peut, doit et sera repris". Et d’ajouter : "Il faut récupérer tout ce qu’on peut récupérer, de l’outillage, du savoir-faire des travailleurs et de tout ce qu’on peut conserver comme activité. Et à partir de là, reconstruire un site technologique complet sur le plateau de Gosselies".
A l’instar du site de Ford Genk, fermé définitivement en décembre 2014 et aujourd’hui en passe d’être reconverti en zoning commercial pour la manufacture et la logistique fluviale, la reconversion de celui de Caterpillar Gosselies est-elle envisageable ?
1. Obstacles juridiques. Rien n’oblige Caterpillar à revendre son terrain. Il existe toutefois en droit belge une loi d’expropriation, mais pour cause d’utilité publique uniquement. "La notion d’utilité publique pourrait jouer ici car elle peut recouvrir, entre autres, un besoin en développement économique et social. Mais il ne serait pas très pertinent d’activer cette loi, de brandir cette menace. Ce genre d’instrument coercitif, souvent évoqué, rarement invoqué et jamais activé, induirait une procédure judiciaire qui prend énormément de temps", explique Didier Van Caillie, professeur à HEC-ULg, spécialisé en stratégie d’entreprise. "Des mécanismes législatifs de contrainte à court et moyen termes n’existent pas, sauf si un propriétaire laisse son bien et un sol pollué à l’abandon pendant 10 ou 15 ans." Après l’annonce de la fermeture d’une partie des usines d’ArcelorMittal Liège, en 2013, le ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt (PS), a tenté de faire voter un décret sur l’expropriation d’entrepreneurs qui ferment boutique, causant des dommages économiques et sociaux extrêmement importants. Ce texte, rejeté non seulement par les représentants du patronat et l’opposition MR (qui craignaient qu’il fasse fuir les investisseurs), a aussi été recalé par l’Europe. Sans outils législatifs contraignants adéquats, il faudra donc plutôt trouver, dans le cadre des négociations avec Caterpillar, des leviers pour faire céder le groupe américain, en cas de refus de vendre son terrain.
2. Obstacles urbanistiques. De l’avis général, il semble hautement improbable qu’un seul repreneur veuille racheter les 98 hectares du site. "Il serait d’ailleurs plus souhaitable qu’on ait une exploitation diversifiée, avec des temps d’activité différents", estime Didier Van Caillie.
3. Obstacles industriels. Dans l’hypothèse où Caterpillar voudrait revendre le contenu de l’usine de Gosselies, les machines seraient-elles utilisables à autre chose que la fabrication des engins de chantier ? "Oui. Seules quelques machines ne sont faites que pour les engins Caterpillar. Une grande majorité des outils peut être reprogrammée, adaptée à d’autres fabrications et les locaux adaptés", indique Jean-Marie Hoslet (CSC).