Le crowdfunding n’a plus rien du gadget financier
La plateforme belge de financement participatif MyMicroInvest a cinq ans. José Zurstrassen (président) et Olivier de Duve (CEO) ont imposé le "crowdfunding" dans le paysage financier belge. Et ce n’est qu’un début. Entretien avec les invités du week-end de La Libre Belgique.
Publié le 20-11-2016 à 08h24
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La plateforme belge de financement participatif MyMicroInvest a cinq ans. José Zurstrassen (président) et Olivier de Duve (CEO) ont imposé le "crowdfunding" dans le paysage financier belge. Et ce n’est qu’un début. Entretien avec les invités du week-end de La Libre Belgique.
"La nouvelle génération connectée est une opportunité pour la Belgique"
Quel est l’état de l’entrepreneuriat en Belgique ?
José Zurstrassen (J.Z.) : On a 660 000 personnes, soit 6,6 % de la population active belge, qui émargent à plein-temps à l’Inasti (la sécurité sociale des entrepreneurs indépendants, NdlR). De ces 660 000, on a un gros 40 % de personnes qui sont des entrepreneurs par nécessité économique, et non par véritable choix. Cela nous laisse avec environ 400 000 personnes ayant vraiment envie de créer quelque chose, soit à peine 4 % d’entrepreneurs volontaires. Cela fait de la Belgique une des nations les moins entrepreneuses d’Europe. La moyenne européenne est à 11 %. Le problème, avec tout ça, c’est que les emplois de demain reposent en grande partie sur cette faible proportion d’entrepreneurs volontaires. Si on veut avoir un tissu économique créateur d’emplois en Belgique dans 20 ou 30 ans, il faut les soutenir maintenant.
Pourquoi une telle frilosité des Belges à l’égard de l’entrepreneuriat ?
J. Z. : On ne s’en rend pas toujours bien compte, mais la Belgique est un pays de cocagne. Il y a aussi un niveau d’épargne très élevé. Les gens se placent donc à la fois dans une situation de confort et de sécurité, ce qui ne les pousse pas à tenter l’aventure.
Ce constat est-il toujours de mise ?
J. Z. : Les choses sont en train de bouger. On voit émerger une nouvelle génération de personnes qui sont prêtes à tenter l’aventure entrepreneuriale.
Olivier de Duve (O. d. D.) : Ce sont surtout des jeunes, à la fois connectés et en quête de sens. Ils n’ont plus la même obsession de la sécurité d’existence. Pour eux, le "pourquoi faire ceci ou cela" est devenu très important. C’est une génération bien plus décomplexée, libérée.
Une génération plus entreprenante ?
O. d. D. : Tout à fait. L’une de nos missions centrales, chez MyMicroInvest (MMI), est de capter cette génération des moins de 30 ou 35 ans, et de les aider à créer leur propre entreprise.
J. Z. : Cette génération est une belle opportunité pour rajeunir le tissu économique belge et ancrer des emplois sur le territoire belge. Ce tissu, il faut bien l’admettre, a été cédé à de grands groupes étrangers au fil des décennies.
O. d. D. : Ce qu’on dit de cette nouvelle génération d’entrepreneurs vaut aussi pour les investisseurs, ce qui est tout aussi essentiel. Il est important que chacun puisse investir dans des projets auxquels il croit, qui font sens. Le rôle de MMI est de faciliter la rencontre entre ces deux parties. On le fait sur le terrain du capital à risque, mais avec la particularité de gérer le risque en associant la "foule" ("crowd") à des co-investisseurs professionnels. Cela peut être un fonds d’investissement, notre propre fonds (Inventures), des "business angels". Mais ça reste du capital à risque et il demeure primordial de diversifier tout investissement.
Pourquoi avoir fait le choix d’un modèle de co-investissement ?
J. Z. : Le gros avantage de la "foule", c’est l’effet de réseau et la capacité de réunir plusieurs centaines ou milliers d’investisseurs ayant à cœur la réussite de l’entrepreneur. Mais l’investissement est aussi une discipline, qui nécessite de la rigueur, surtout quand il s’agit de jeunes entreprises innovantes. Donc, investir en partenariat avec une ou plusieurs personnes l’ayant déjà fait, et qui assurera aussi un suivi de cet investissement en soutenant l’entrepreneur (coaching, networking…), permet de réunir le meilleur des deux mondes.
L’échec reste très stigmatisé en Belgique.
J. Z. : Exact. En Estonie, on donne à chaque personne voulant créer sa start-up un coach financé par le gouvernement afin de réduire le taux d’échec. Et s’il échoue, il peut à nouveau bénéficier de ce coaching. C’est une approche qui est loin d’être idiote. Les pouvoirs publics belges prennent d’ailleurs conscience, progressivement, de la nécessité d’aider un entrepreneur à se relever en cas d’échec.
Cela témoigne-t-il d’un changement des mentalités au sein du monde politique belge ?
J. Z. : Oui. MMI a d’ailleurs reçu l’aide de plusieurs investisseurs publics. Meusinvest et Sambrinvest, par exemple, ont investi dans le fonds Inventures I. Sur le plan législatif, il y a eu aussi des initiatives positives. Le projet de loi "crowdfunding" (incluant trois volets : tax shelter, régulation des plateformes et fonds starter, NdlR) sera bientôt adopté. On voit donc que le monde politique belge, toutes tendances confondues, va dans le sens d’un soutien à l’entrepreneuriat. On ne peut que s’en réjouir.
Les start-up vont-elles pour autant sauver l’économie belge ?
J. Z. : Une start-up qui réussit devient une PME. Or, le plus gros réservoir de création d’emplois se trouve au sein des PME. La valeur ajoutée de la start-up, elle réside dans sa capacité à innover, notamment en s’emparant des nouvelles technologies, et à bâtir un modèle économique lui permettant de croître très rapidement.
O. d. D. : André Borschberg (l’un des deux pilotes du Solar Impulse, NdlR) a dit quelque chose de très juste : "If you focus on results, you’ll never get change. If you focus on change, you’ll get results". La start-up a compris ce principe.

"Fin 2017, MyMicroInvest devrait être actif dans dix à quinze pays"
Comment se porte MyMicroInvest (MMI) après cinq ans d’existence ?
J. Z. : On ne va pas se plaindre. (rires)
O. d. D. : Cela fait trois années d’affilée que nous doublons notre chiffre d’affaires. Et 2016 ne devrait pas être une exception. Le staff, qui a fortement progressé, s’est stabilisé à 28 équivalents temps plein. On enregistre aussi une énorme croissance sur les montants levés. L’année dernière, on était à 2 millions sur la plateforme. On sera largement au-dessus de ce montant en fin d’année.
MMI devra passer par une expansion européenne pour devenir rentable ?
J. Z. : La rentabilité n’est qu’un objectif à moyen terme. Mais, oui, elle passera certainement par cette expansion. Là, je viens de boucler un tour d’Europe avec des contacts noués dans pratiquement tous les pays. A partir de décembre, on va activer ces contacts pour concrétiser des partenariats. Fin 2017, nous devrions être actifs dans 10 à 15 pays.
Le "crowdfunding" reste encore assez marginal dans les levées de fonds. Est-il appelé à se développer ?
O. d. D. : Ma conviction est qu’à terme, le crowdfunding va devenir un mode de financement des entreprises tout à fait classique.
J. Z. : Le crowdfunding est en train de rentrer dans les mœurs. Du côté des entrepreneurs, c’est un outil supplémentaire de financement de la croissance. Du côté des investisseurs, c’est clairement une alternative d’investissement en dehors du système financier traditionnel. Si on parvient à mobiliser une partie de l’épargne belge pour aider les jeunes entrepreneurs, on arrivera à créer une nouvelle dynamique économique et sociale en Belgique.
Avez-vous déjà opéré des "exits" (vente d’une société investie par MMI, NdlR) ?
J. Z. : Non. Et ce n’est pas notre objectif à terme. L’objectif est de faire en sorte que les entreprises dans lesquelles nous investissons se portent bien. Les éventuelles "exits" suivront le moment venu.
Le modèle du co-investissement de MMI est-il bien compris des investisseurs issus de la "foule" ? Le cas de Newsmonkey, en mai dernier, a montré que ce n’était pas forcément toujours le cas… En avez-vous tiré des leçons ?
J. Z. : Pour chaque opération pilotée par MMI, nous publions un prospectus. L’immense majorité des investisseurs le lisent avant d’investir. Mais, de temps en temps, certains ne le font pas. Ils entrent dans un contrat qu’ils ne connaissent pas et viennent ensuite en critiquer les termes. Quand vous achetez une voiture à quatre roues et que, deux ans plus tard, vous revenez chez le vendeur en lui disant que vous croyiez que c’était une moto, il va vous rire au nez.
O. d. D. : La campagne de Newsmonkey est un cas à part et isolé. Des investisseurs, convaincus par le projet, se sont lancés sans avoir pris connaissance du prospectus. On en a tout de même tiré la leçon en termes de transparence. Précédemment, quand une personne investissait 100 euros, MMI prélevait une commission de 12 euros. Depuis l’été dernier, quand une personne investit 100, on ajoute d’emblée une commission de 5. Elle débourse donc 105 euros. C’est plus clair.
Inventures II a levé plus de 9 millions d’euros en un soir
Innovation. José Zurstrassen et Olivier de Duve sont passés maîtres dans les sessions de "live crowdfunding". Entre séance d’évangélisation de la "foule" et coup marketing à la gloire de MyMicroInvest, l’exercice consiste à réunir des investisseurs (particuliers, professionnels…), des entrepreneurs, des personnalités politiques, etc., et de procéder en direct à une ou plusieurs levées de fonds. Avec, en maître de cérémonie, le charismatique José Zurstrassen. Et ça marche ! Jeudi soir, à Gand, l’événement "Magic 5" a réuni quelques centaines de personnes, dont le ministre de l’Agenda numérique, Alexander De Croo. L’opération était destinée à mettre sur les rails le nouveau fonds Inventures II (géré par MMI).
"Nous espérions lever 5 millions d’euros. Finalement, on a levé plus de 9 millions", se réjouissait, vendredi, Olivier de Duve. Inventures II - qui vise à rassembler entre 50 et 100 millions d’ici la fin de 2017 - se présente comme le premier fonds privé basé sur les objectifs de développement durable des Nations unies. Il investira dans 35 entreprises "à impact sociétal" afin de construire un monde plus durable. En ligne avec la stratégie de MMI, le financement des entreprises soutenues par Inventures II sera également ouvert aux citoyens. Le rendement visé (taux de rendement interne) est de 15 % par an. Le premier fonds Inventures, lancé en 2011 et aujourd’hui totalement investi, a permis de lever 15 millions d’euros au profit de 15 entreprises.
Biographies express
José Zurstrassen, Président exécutif de MyMicroinvest et Olivier de Duve, CEO de Mymicroinvest et du fonds Inventures
Cela fait cinq ans qu’ils œuvrent, au sein la société MyMicroInvest (MMI), à "démocratiser" le capital à risque. Dans le jargon financier, on parle de "crowdfunding". Littéralement, le "financement par la foule". Pionnier en Belgique, MMI occupe aujourd’hui la position de leader parmi les plateformes de crowdfunding, avec une communauté d’investisseurs de quelque 35 000 membres et un investissement cumulé de plus de 25 millions d’euros dans 70 start-up innovantes.
José Zurstrassen et Olivier de Duve se sont connus dans les auditoires de l’école de commerce Solvay. A peine diplômé, le premier se lance dans l’aventure entrepreneuriale avec son frère cadet, Jean, et un ami, Grégoire de Streel. Le trio fonde Skynet à une époque où Internet n’est pas encore entré dans le giron du grand public. Il faudra à peine trois ans pour que Belgacom mette la main sur la "pépite". Financièrement, c’est bingo ! Ils remettent le couvert dans la foulée en créant VMS-Keytrade, site d’achat et vente d’actions en ligne. Là aussi, l’opération s’avérera très rentable.
Olivier de Duve, dont l’oncle n’est autre que feu Christian de Duve (prix Nobel en 1974), fera un long parcours dans la (haute) finance internationale avant de retrouver son comparse José. "Olivier, c’est un structurant. Il organise et dirige l’entreprise, confie José Zurstrassen, alors que je suis plus idéaliste et innovateur". Un duo très complémentaire, qui n’est pas à l’abri de tensions régulières… "Mais elles sont créatrices !", assurent-ils en chœur.