Jan Bens, patron de l'Agence de contrôle nucléaire: "Electrabel ne se gêne pas pour présenter des résultats aberrants"
Publié le 21-11-2016 à 11h52 - Mis à jour le 21-11-2016 à 11h53
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Le patron de l’AFCN regrette de ne pas avoir reçu d’étude valable sur le risque incendie.Ce samedi, "La Libre" révélait le contenu de deux documents explosifs au sujet de la sûreté nucléaire en vigueur chez Electrabel. Il s’agit de deux lettres signées par Jan Bens, le directeur général de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN).
La première, datée du 1er juillet 2016, est adressée à Philippe Van Troeye, le CEO d’Electrabel. La seconde, datée du 2 septembre 2016, l’est à Isabelle Kocher, présidente du conseil d’administration d’Electrabel mais aussi directrice générale du groupe Engie.
Dans sa première lettre, le patron de l’AFCN souligne "les inquiétudes soulevées par les valeurs alarmantes des probabilités de fusion de cœur résultant des études ‘Fire PSA’ pour les unités Doel 3 et 4, Tihange 1, 2, 3". Dans sa seconde lettre, Jan Bens épingle sévèrement Electrabel pour sa culture de sûreté défaillante à Tihange et le peu d’empressement que l’entreprise montre pour l’améliorer.
Le patron de l’AFCN a accepté de répondre à nos questions sur ces documents.
Pourquoi avez-vous alerté Isabelle Kocher ?
Nous voulions marquer le coup. Cela fait deux ans que nous constatons des problèmes à Tihange. Nous avons d’abord déposé un premier "pro justitia" en août 2015, suivi d’un second en juin 2016. Electrabel réagit à nos interpellations mais, après 2-3 mois, les problèmes resurgissent. Après le dépôt du second "pro justitia", ça n’allait toujours pas. J’ai donc décidé d’alerter le plus haut niveau en contactant Isabelle Kocher, la présidente du conseil d’administration d’Electrabel. Elle a bien compris le message.
Redoutez-vous une catastrophe nucléaire ? Dans votre lettre adressée à Philippe Van Troeye, vous évoquez la probabilité d’une fusion de cœur résultant d’une étude sur le risque d’incendie…
En cas de doute, Electrabel a systématiquement retenu les hypothèses les plus pénalisantes dans son étude. Ils ont travaillé à la grosse louche. C’est bien d’être pénalisant, mais les résultats doivent être corrects. Si l’on en croit les conclusions de cette étude, il faut tout arrêter maintenant.
C’est donc l’étude qui a été mal réalisée ?
Sur base de ses conclusions, un accident nucléaire devrait avoir lieu tous les dix ans. En 30-40 ans, il n’y en a jamais eu. Ça me dérange qu’Electrabel ne se gêne pas pour présenter des résultats aussi aberrants. Cette étude a dû être approuvée à différents niveaux et tout le monde a laissé ça passer. Ils ne se rendent pas compte, il y a un manque de conscience de l’impact de ce qu’ils écrivent. L’AFCN ne demande pas une étude parce que c’est la loi mais parce qu’elle s’intéresse à son contenu.
Vous semblez très remonté…
Normalement, Electrabel aurait dû présenter une étude avec des conclusions valables pour le 31 décembre 2015. Au lieu de cela, ils présentent des résultats aberrants en expliquant que ce n’est pas grave car les hypothèses retenues sont trop sévères. Ils nous disent ‘donnez-nous encore deux ans’. C’est insultant comme attitude.
Est-ce une question financière ? Ces études sont-elles coûteuses ?
Je ne crois pas. Chez Electrabel, certaines études sont de bonne qualité mais d’autres sont nettement moins bonnes. Cela démontre un manque de gestion.
Autre élément inquiétant, aucune étude sur le risque d’incendie n’a été réalisée pour Doel 1 et Doel 2 avant leur prolongation. Vous écrivez à Philippe Van Troeye qu’Electrabel est hors délai par rapport à l’arrêté royal du 30 novembre 2011 exigeant la réalisation de cette étude ?
Cela prend plusieurs années pour réaliser ce genre d’études. Doel 1 et Doel 2 ont un planning séparé car ils auraient normalement dû fermer en 2015. Un arrêté royal fixant les conditions de la prolongation de Doel 1 et Doel 2 a fixé un calendrier séparé des autres réacteurs pour la réalisation des études sur le risque d’incendie. On attend les résultats dans le courant de l’année 2017.