L’avenir de l'économie solidaire, soumise à la concurrence, passera aussi par l'international
L’ASBL Terre, qui donne une nouvelle vie aux vêtements usagés, doit grandir pour conserver sa place face à une concurrence renouvelée. Elle envisage par ailleurs de se mettre à la vente en ligne.
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- Publié le 09-04-2019 à 17h23
- Mis à jour le 09-04-2019 à 17h25
L’ASBL Terre, qui donne une nouvelle vie aux vêtements usagés, doit grandir pour conserver sa place face à une concurrence renouvelée. Elle envisage par ailleurs de se mettre à la vente en ligne.
À deux pas de la gare de Couillet (Charleroi), le centre de tri de l’asbl Terre. C’est dans ce centre (comme dans celui de Herstal), que chaque jour, treize camions viennent décharger 25 tonnes de vêtements, chaussures et autres couvertures récoltés dans les quelque 2 500 “bulles” bleues disséminées sur le territoire wallon, dans lesquelles les citoyens viennent déposer leurs textiles usagés (et parfois, malheureusement, leurs ordures également). Réceptionnés sur des tapis roulants, les textiles sont ensuite triés par une trentaine de travailleurs, explique Simon Lepage, responsable de ce “centre de revalorisation du textile”.
La crème ira dans les boutiques belges
Les plus beaux vêtements, en bon état et toujours à la mode, ceux que l’on appelle “la crème”, seront revendus dans la vingtaine de boutiques que compte l’asbl en Belgique. Le reste sera envoyé en Afrique ou au Pakistan, sera transformé en chiffons d’essuyage pour l’industrie ou revendu à des recycleurs, qui en feront des isolants pour habitation ou des couvertures de déménagement. Une dernière part, de 15 à 20 %, ira à l’incinérateur.
La concurrence des grandes chaînes de prêt-à-porter
Ce faisant, l’asbl Terre, une entreprise qui se revendique de l’économie sociale et solidaire (ESS, lire ci-dessous), crée des jobs locaux, participe à l’insertion sociale de travailleurs éloignés de l’emploi et contribue à un meilleur environnement en donnant une seconde vie aux vêtements et en réduisant le volume de déchets.
En outre, les bénéfices que cette activité génère sont réinvestis dans des projets de développement durable en Belgique et dans les pays du Sud. Pour l’année 2017, l’asbl Terre annonce un chiffre d’affaires de 9,6 millions d’euros.
Mais sur le terrain de la fripe, comme sur d’autres, la concurrence peut être féroce. Avec d’autres associations qui récoltent les vieux vêtements (Oxfam, Emmaüs,…), Terre a pu nouer des partenariats. C’est Terre notamment qui trie les vêtements que ces associations ne conservent pas. Mais il y a de nouveaux acteurs. De grandes chaînes de prêt-à-porter se sont mises à collecter les vêtements dans leurs magasins et les confient ensuite à des récupérateurs disposant d’une offre internationale.
Des entreprises commerciales qui, dénonce Terre, ne réutilisent pas localement les vêtements en bon état et donc, ne créent pas d’emploi local et n’aide pas les familles à faibles revenus à s’habiller à prix abordable.
Un vêtement contre un bon d’achat
“Chez H&M, les clients peuvent désormais rapporter leurs vêtements usagés, en échange d’un bon d’achat”, expliquait il y a peu William Wauters, président du Groupe Terre, lors d’un colloque à l’occasion des 70 ans de Terre, sur le thème “La mondialisation, nouvelle opportunité pour l’économie sociale et solidaire ?”. “Des tonnes de vêtements partent ainsi en Allemagne, chez Soex, une multinationale présente un peu partout dans le monde.” Soex les revend ou les transforme. “Nous avons tenté de proposer nos services à H&M Belgique, qui nous a renvoyés vers la maison mère en Suède. Mais là, on n’a pas daigné nous répondre. Par la suite, j’ai rencontré un responsable suédois, qui m’a dit que H&M ne traitait qu’avec des acteurs qui pouvaient leur offrir ce service de récolte des vêtements dans le monde entier, pour tous leurs magasins.”
La voie vers une autre mondialisation
Face à ce refus, Terre s’est dit qu’elle devait grandir pour survivre, estimant que seul un changement d’échelle permettra aux entreprises de l’économie sociale et solidaire de maintenir leur place.
C’est dans cette optique qu’en 2016, Terre a créé, avec des partenaires belges et internationaux (français, italien et espagnol), le groupement européen d’intérêt économique TESS (Textile within Ethics Solidarity and Sustainability). “L’objectif, commente William Wauters, est de pouvoir entrer en négociation avec de grands groupes textiles. Ce qui n’a pas encore pu être réalisé jusqu’ici. Mais c’est aussi d’avoir une meilleure connaissance du marché mondial, grâce aux échanges avec nos partenaires. Nous apprenons beaucoup l’un de l’autre.”
Chez Terre, et dans d’autres entreprises d’économie sociale, on veut croire que la mondialisation peut constituer une opportunité. Et on espère qu’en se développant à l’international, les valeurs de l’économie sociale pourront essaimer et “contaminer” d’autres entreprises.
Isabelle Ferreras, maître de recherche FNRS et professeur à l’UCLouvain, le pense également. Pour elle, “l’économie sociale et solidaire doit nous montrer la voie d’une autre mondialisation”.

Terre envisage de vendre des vêtements en ligne
Depuis plusieurs années, Terre doit faire face à une autre concurrence, celle des plateformes numériques comme Vinted, qui permettent à tout un chacun de se créer un compte pour vendre les vêtements qu’il ne veut plus porter ou acheter des pièces en seconde main. Vinted revendique aujourd’hui une communauté de 21 millions d’utilisateurs dans le monde.
Chacun veut valoriser ses “vieux” vêtements
L’émergence de ce type d’acteurs n’est pas sans effet pour Terre. “Vinted illustre une évolution très importante : chacun essaye de valoriser les vêtements qu’il ne met plus et d’en tirer un complément de revenus”, commente William Wauters, président du Groupe Terre. “C’est la même chose avec le site 2ème main, Marketplace sur Facebook ou même les brocantes, où l’on voit beaucoup plus de textiles aujourd’hui qu’il y a vingt ans. La conséquence, c’est que les objets arrivent chez Terre après avoir été portés non plus par un mais par deux ou trois utilisateurs. La “réutilisabilité” est donc plus compromise. Aujourd’hui, 60 % de ce que nous récoltons est réutilisable. À l’avenir, ce pourcentage pourrait diminuer, ce qui pourrait rompre l’équilibre économique de la filière de la récupération.”
Les prix tirés vers le bas
Terre suit donc attentivement ces évolutions et pourrait apporter des modifications à son modèle économique. Verra-t-on bientôt Terre vendre ses vêtements en ligne ? “De fait, nous réfléchissons à un modèle de vente en ligne, confie M. Wauters. Il est possible que dans les prochains mois ou années, nous nous dotions d’outils pour la vente en ligne, voire pour les dons de textiles. Mais cela n’ira pas sans difficultés. D’abord, chaque pièce est différente et il faut en faire une description précise. Ensuite, la vente en ligne a tendance à tirer les prix vers le bas. Mais nous nous adapterons. C’est ce que nous faisons depuis trente ans.”
À savoir
L’économie sociale et solidaire, c’est quoi ?
L’économie sociale et solidaire repose sur sept principes :
- primauté de la personne et de l’objet social sur le capital
- adhésion volontaire et ouverte
- contrôle démocratique par les membres
- conciliation des intérêts d’une part des membres et des usagers, d’autre part de l’intérêt général
- défense et application des principes de solidarité et de responsabilité
- autonomie de gestion et indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics
- affectation des résultats au développement durable et à l’intérêt général.