Dara Khosrowshahi, un pacificateur chez Uber
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Publié le 10-05-2019 à 19h07 - Mis à jour le 10-05-2019 à 19h08
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Dara Khosrowshahi a mis de l’ordre au sein du géant de la mobilité. Le patron a redoré l’image écornée d’Uber avant son entrée en Bourse.Rarement deux patrons auront présenté des profils aussi différents. Travis Kalanick, fondateur et CEO d’Uber jusqu’en 2017, et Dara Khosrowshahi, son successeur, représentent le yin et le yang du géant de la mobilité. L’un, Kalanick, est frondeur, allergique aux règles, clivant, sans langue de bois et a une vie privée digne d’une rock star. L’autre, Khosrowshahi, est prudent, discipliné, consensuel et a adopté une communication policée avec son personnel, mais aussi et surtout avec l’opinion, les autorités publiques et les investisseurs.
Et ce sont surtout ces derniers que le patron américano-iranien veut convaincre. Et très rapidement : Uber devait, en principe, entrer en Bourse ce vendredi, avec une valorisation estimée à 85 milliards de dollars. Ce passage de la licorne à la vitesse supérieure n’aurait sans doute pas été possible sous l’ère Kalanick, dont la fin de règne aura été marquée par les scandales et les abus en tout genre (culture sexiste, arrogance par rapport aux chauffeurs, création de logiciels pour tromper les autorités, menaces envers les journalistes…)
Ce sont justement les excès de la jeune tête brûlée d’Uber qui inciteront les investisseurs à le pousser vers la porte de sortie en juin 2017. "Dara Khosrowshahi est tout ce que Travis Kalanick n’était pas : humble, empathique, quelqu’un qui sait écouter et un excellent diplomate", explique Brad Stone, journaliste chez Bloomberg. Au sein de la Silicon Valley, Dara, réfugié iranien, est aussi connu comme l’un des leaders de l’opposition au président américain Donald Trump.
Quand l’homme, alors patron du site de voyage en ligne Expedia, reprend les rênes de l’entreprise, celle-ci est non seulement au bord du chaos, mais aussi minée par des conflits juridiques un peu près partout sur la planète. Car Uber divise. Si certains attendent l’arrivée du géant amércain avec impatience, celui-ci fait aussi peur dans beaucoup de villes où il fait face à la fronde des taxis qui dénoncent une concurrence déloyale. Là où Kalanick avait choisi l’option de la confrontation ("Nous sommes en campagne politique, le candidat s’appelle Uber et l’opposant est un connard nommé taxi", disait-il) en imposant son modèle à tout prix, Khosrowshahi prône le dialogue. Il introduit un programme pour partager les données de ses chauffeurs avec les autorités publiques, fait un pas vers la mobilité douce en rachetant la start-up de vélos électriques partagés Jump et présente Uber comme une entreprise apportant des "solutions globales" à la mobilité. "En interne, nous disons que nous sommes passés de Uber 1.0 à Uber 2.0, nous expliquait récemment Thijs Emondts, le patron pour le Benelux du mastodonte californien. On a pris conscience de l’impact que pouvait avoir notre arrivée dans une ville et on veut désormais que tous les acteurs soient impliqués. Même si cela veut dire qu’on avance moins vite, on veut un dialogue constructif sur le long terme."
Le régime "de terreur" imposé par Kalanick, qui poussait ses employés à sacrifier leur vie sociale et de famille pour l’entreprise, serait également de l’histoire ancienne. Khosrowshahi, père de quatre enfants, a "pacifié" les relations avec ses employés. Il a également recruté une directrice de la diversité et de l’inclusion et multiplié les efforts pour recruter des femmes à de postes importants.
Enfin, le natif de Téhéran a mis de l’ordre dans les finances anarchiques d’Uber. "Quand Travis Kalanick était à la tête de l’entreprise, nous pouvions dépenser sans compter avec notre carte corporate, expliquait récemment une cadre d’Uber au quotidien français Les Echos. Le groupe EMEA (NDLR : Europe, Moyen-Orient et Afrique) a eu plus de 20 millions de dollars de dépenses sans facture." Mais ces efforts ne sont pas suffisants : l’entreprise reste très largement déficitaire avec une perte estimée à un milliard de dollars sur le premier trimestre 2019. Le patron d’Uber a donc décidé de s’attaquer à un sujet explosif, à savoir la rémunération de "ses" trois millions de chauffeurs indépendants à travers le monde.
Pour maintenir un prix de course attractif, Uber avait ainsi l’habitude d’offrir une multitude de réductions pour ses clients et des promotions ou autres bonus pour ses chauffeurs. Ce qui serait l’une des causes de l’hémorragie financière de l’entreprise. "Comme nous prévoyons de réduire les incitations (financières) pour les chauffeurs, nous nous attendons à une hausse du mécontentement général" de leur part, a ainsi indiqué l’entreprise. Et le résultat ne s’est pas fait attendre, puisque des milliers de chauffeurs ont manifesté ce jeudi devant les bureaux d’Uber dans une dizaine de villes américaines.