Comment Charleroi a réussi à s’imposer dans le digital
La capitale du pays noir fait le pari du digital dans un quartier en plein redéploiement. Innovation et formation, deux atouts pour retrouver le lustre d’antan.
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Publié le 11-05-2019 à 15h20 - Mis à jour le 11-05-2019 à 15h32
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La capitale du pays noir fait le pari du digital dans un quartier en plein redéploiement. Innovation et formation, deux atouts pour retrouver le lustre d’antan.
Quai Paul Verlaine et quai Arthur Rimbaud. Les anciens quais de Flandre et de Brabant, les quais de Sambre. Il y a encore dix ans, si vous y gariez votre voiture en pleine journée, vous aviez le choix : un pneu crevé ou une vitre éclatée. On caricature à peine. Aujourd’hui, c’est le centre vivant et en action du développement digital. Charleroi, la "Chicago sur Sambre" selon ceux qui ont l’humour répétitif et daté, une ville de gros socialistes avinés et corrompus pour ceux qui ne s’informent plus, est en train de changer.
Les premiers changements sont visibles : un centre commercial, de nouveaux commerces, des restaurants, des espaces verts… Et puis, il y a ces changements abrités dans d’anciens immeubles, plus discrets mais tout aussi importants.
Quai Paul Verlaine, nous laissons la gare pour nous diriger vers la Co. Station, un espace de coworking où sont installées une quinzaine de start-up prometteuses. "C’est une plateforme de croissance pour des start-up digitales et pour toute entreprise active dans le digital. Nous avons des éditeurs de logiciel hollandais qui sont ici. On a des boîtes qui font du service et des produits dans le monde du wifi. Il y a des développeurs d’Alstom et des sous-traitants d’Alstom. Toute cette communauté donne des profils qu’il est bon de mélanger. En plus de permettre aux start-up de grandir, on leur propose des outils pour organiser des workshop, des réunions, etc.", explique Mathieu Demaré, le directeur de l’écosystème digital et créatif de Charleroi et de la Co. Station.

En novembre 2017, Sambrinvest a signé un accord de franchise avec Co. Station Belgique (installé à Bruxelles, Gand et Anvers). Un accord qui suit l’initiative publique Digital Attraction (65 start-up) qui a démontré la faisabilité de créer un écosystème digital à Charleroi. "Notre ambition est d’atteindre les 3 000 m2 de bureaux", explique Mathieu Demaré. De nombreux expats viennent travailler dans les sociétés installées à la Co.Station. La proximité avec la gare est donc idéale.
Non loin de là, le Quai 10 (cinéma-brasserie-espace jeux vidéo), MédiaSambre (RTBF-Télésambre), Appeal Studio, la société Dirty Monitor, les éditions Dupuis et le studio Dreamwall, etc. On trouve aussi une auberge de jeunesse et un hôtel à prix abordables.
En traversant la Sambre, l’imposant bâtiment du Tri postal, vide, accueillera, dès le mois de septembre pour cinq ans, A6K et E6K. Derrière ces acronymes hermétiques, on trouve un Centre de développement axé sur les sciences de l’ingénieur et de l’industrie 4.0 (A6k). "Nous sommes en train d’aller voir dans les petites et grandes entreprises quels sont les projets qui sont dans les cartons et qu’elles n’ont pas les moyens ni le temps de développer.", explique Anne Prignon, managing director de Sambrinvest qui, après avoir accompagné financièrement de nombreux projets au Biopark (Gosselies), entend connaître un succès identique au niveau du digital et de l’industrie 4.0 dans le centre-ville de Charleroi. A6K déménagera probablement vers le quartier de la Villette en voie de réhabilitation.
Vient ensuite E6K, un centre de formation consacré aux métiers du numérique. "Dans le temps, l’Université du travail formait les techniciens qui allaient travailler dans les industries", explique Thomas Dermine, qui coordonne le plan Catch (voir ci-contre). Pour lui, la formation est le point essentiel pour développer ce nouvel écosystème digital. À Charleroi, on reprend les vieilles recettes qui ont fait le succès de la ville il y a plus d’un siècle.
Dans 3 à 5 ans, l’écosystème sera, si tout se déroule comme prévu, en voie de maturité. "Il faudra avoir plusieurs points identifiés comme spécialisés dans les secteurs que nous développons", conclut Mathieu Demaré.
L’exemple à suivre pour le digital, c’est le Biopark installé à côté de l’aéroport de Charleroi (voir page 4), un écosystème considéré comme mature. La preuve, une société rachetée par des Japonais est restée à Gosselies.

Le Biopark, l’exemple à suivre
Un écosystème mature qui inspire tout ce qui se crée ailleurs à Charleroi. La recherche y est très présente.

Né il y a près de vingt ans, le Biopark, installé à côté de l’aéroport de Charleroi, est une réussite du genre. Cet écosystème dédié aux biotechs est arrivé à maturité. Il constitue un exemple à reproduire pour les autres pôles en développement à Charleroi, dont notamment Creative Digital et Advanced Manufactury (ville basse en bord de Sambre).
Le Biopark, où le digital prend de plus en plus de place, est un mélange de campus technologique et de concentration industrielle de pointe. Une vingtaine d’entreprises y sont installées (Bone Therapeutics, MaSTherCell, DNA Vision, Delphi Genetics, Synabs, etc.). Plusieurs sont des spin-off de l’ULB issues des laboratoires de recherche de l’université. La majorité des entreprises du site est liée au secteur des sciences du vivant.
L’intérêt d’un tel mélange est évident. Chaque acteur présent au Biopark peut profiter des compétences et des expériences des autres. Une véritable mise en réseau s’opère sur le site où travaillent près de 500 personnes.
Voilà pour le monde de l’entreprise. Le côté formation s’opère de deux manières. La première est le fruit d’un partenariat entre deux universités, l’ULB et l’UMons, qui organisent ensemble, sur le site du Biopark, un master en biochimie et biologie moléculaire et cellulaire, destiné aux étudiants universitaires. La seconde manière s’incarne dans le centre de formation, Biopark Formation, qui organise, en lien avec le Forem pour certains aspects, des formations destinées à tous les acteurs du secteur des Sciences de la Vie. Que ce soient les chercheurs, les techniciens, les doctorants, les managers, les professeurs et les demandeurs d’emploi, tous peuvent y trouver leur place. En formant les gens au plus près de leurs probables futurs outils de travail, les entreprises du Biopark s’assurent d’avoir plus tard dans leurs rangs des travailleurs qualifiés dans leur domaine de compétence.
Au Biopark, la recherche de pointe est incarnée par plusieurs laboratoires. On y trouve l’Institut de biologie et de médecine moléculaires (IBMM) de l’ULB, l’Institut d’immunologie médicale, (IMI) qui est un partenariat entre l’ULB et GSK, le Centre de microscopie et d’imagerie moléculaire, (CMMI), fruit d’un partenariat entre l’ULB et l’UMons, et le Laboratoire de biotechnologie végétale (LBV), de la faculté des sciences de l’ULB. On compte près de 300 chercheurs qui travaillent chaque jour sur le site du Biopark.
Les avancées réalisées dans ces laboratoires ont parfois un potentiel industriel. Au Biopark, tout est prévu pour y parvenir sans heurts. "Le transfert technologique du laboratoire vers une exploitation commerciale et la protection des droits de propriété intellectuelle en constituent les points essentiels. Sur le Biopark, plusieurs structures d’accompagnement collaborent étroitement afin d’aider les chercheurs à toutes les étapes du processus d’innovation", explique-t-on sur le site Internet du Biopark. On trouve donc un bureau de transfert technologique, un incubateur d’entreprise, un fonds d’investissements et des bâtiments pour accueillir temporairement ces spin-offs prometteuses.
Le FabLab, où les envies et les idées prennent vie
Le FabLab de Charleroi a déjà 25 abonnés quelques semaines après son ouverture.

À l’écart des deux grands centres carolos où le digital prend racine (le Biopark à Gosselies et le quartier de la gare), mais au cœur du futur campus de la ville haute, se trouve désormais un FabLab. Après d’autres grandes villes comme Louvain-la-Neuve, Mons, Tournai, Bruxelles, etc., la plus grande ville de Wallonie dispose enfin de son lieu. Installé par l’ULB, rue Lebeau dans les bâtiments de l’Université du travail, encore marqués par le passé industriel glorieux de la ville, il faut s’armer de patience pour le trouver. Quelques flèches installées ça et là permettent quand même d’y parvenir.
Là-bas, on tombe sur Delphine Dauby, la FabLab manager, et Sylvain Denis, le maître des machines et logiciels disponibles. Le principe du FabLab est simple. Il s’agit d’un atelier de fabrication numérique. Un parc de machines numériques et manuelles (imprimantes 3D, brodeuse numérique, découpeuse graveuse laser, etc.) est mis à disposition des abonnés pour la conception et la réalisation d’objets. Tout le monde d’ailleurs peut y prendre son abonnement. Aussi bien les grandes entreprises que les PME, les étudiants et les artistes.
Ouvert il y a quelques semaines, le FabLab de Charleroi a déjà 25 abonnés. Un chiffre que Delphine Dauby n’imaginait pas atteindre si vite. "Il y a par exemple une personne qui est venue créer un jeu de société et une fleuriste qui est venue réaliser ses outils marketing", explique la FabLab Manager. Un abonnement coûte 90 € par an pour un particulier ou une petite entreprise. Les grandes entreprises et les collectifs s’acquitteront d’un abonnement de 250 € par an.
L’utilisation d’une machine a également un prix. "Pour utiliser l’imprimante 3D, c’est 1, 5 euro de l’heure", explique encore Delphine Dauby qui accueillera chaque visiteur pour évaluer le projet et sa faisabilité.
Pour Koopol, c’était Charleroi ou rien
La start-up d’Henri Rion (e-commerce) grandit et engage.

Henri Rion a 32 ans, il a installé sa start-up, Koopol, à Charleroi, au sein de la Costation (espace de coworking), quai Paul Verlaine, en face de la gare. C’est un choix assumé et revendiqué. Personne n’a forcé Henri Rion à venir ici. Et il compte bien y rester. "Nous avons lancé Koopol qui aide les marques et les distributeurs à faire de la veille concurrentielle. Soit on parle à une marque et on arrive à détecter directement les revendeurs de leurs produits. Ensuite on les suit et lorsqu’il y a des décalages de prix, on le voit tout de suite. Soit on met en place un outil au service des revendeurs. Un outil qui leur permet de surveiller les concurrents." Koopol optimise donc les performances de ses clients par une analyse de données. "Cette idée est née au fur et à mesure de rencontres. On voulait travailler dans l’e-commerce et on a trouvé ce créneau-là. Ça existait déjà mais avec beaucoup de tâches manuelles, à l’ancienne. Un de nos clients, une société qui fait des montres, a 300 références, compte quarante revendeurs par référence : ça fait quelques offres à suivre au jour le jour."
La start-up grandit, elle sait qu’un jour il lui faudra déménager de la Costation pour s’installer dans ses propres bureaux qu’Henri Rion compte bien trouver à Charleroi. Koopol grandit donc et engage : "On utilise beaucoup de free-lances mais le but est d’engager des gens. Je viens d’engager une personne et j’envisage d’en engager quatre supplémentaires en septembre". Et il attire des Carolos. "Il y a beaucoup de gens originaires de Charleroi qui se tapent Bruxelles, qui postulent. Ils seraient contents de revenir bosser ici."
La start-up a été lancée en 2017 mais le vrai départ c’est en février 2018 qu’il a eu lieu lorsque Koopol a organisé sa première levée de fonds.
Henri Rion vient du monde bancaire, secteur fusions-acquisitions. Il a tout laissé tomber du jour au lendemain pour tenter l’aventure de la start-up. Il ne se voyait pas le faire ailleurs qu’à Charleroi. "C’est une ville sur laquelle tout le monde crache de façon abusive. Mon grand-père et mon père sont Carolos mais moi, je suis un vrai BW qui mets des pantalons rouges. Un jour, la maison de mon grand-père était à vendre. J’avais peu de moyens, les taux étaient intéressants. Le prix de l’immobilier ici ne peut pas être plus bas qu’aujourd’hui. On a tout rénové et on s’est installé à Charleroi."
Il vient même travailler à pied. "À Bruxelles, tout est cher, l’immobilier comme les gens. Il y a des bouchons. Charleroi offre un tas de possibilités intéressantes pour quelqu’un qui veut se lancer et qui n’a pas beaucoup de moyens. Je voulais vraiment venir ici, c’est un formidable écosystème qui se met en place."
L’aéroport : un dôme numérique
En octobre 2018, l’aéroport de Charleroi et le groupe Telenet annonçaient un partenariat sur cinq ans centrés sur l’Internet des objets. La finalité de ce partenariat étant de faire de l’aéroport un véritable "dôme numérique" qui doit améliorer le fonctionnement de l’aéroport et le confort du passager. Deux initiatives ont ainsi été lancées, mais d’autres devraient arriver. La première concerne une application visant à faciliter l’accès au parking de l’aéroport, la réservation et le paiement.
La deuxième initiative est un système qui doit permettre à l’aéroport d’analyser le flux de passagers et de visiteurs.
Par ailleurs, une société coréenne s’est chargée de la réalisation d’une application destinée à informer les voyageurs sur tout ce qui concerne leur vol mais aussi sur les services de navettes disponibles à l’aéroport de Charleroi. Son nom ? CRL Airport.
Les données de santé en Wallonie
Un projet-pilote a été lancé au Biopark. Il est centré sur la gestion des données de santé en Wallonie. Ce projet, annoncé par la cellule Catch (Catalysts for Charleroi) devrait déboucher sur la création de l’INAH (Institute of analytics for health). Cet organisme doit permettre aux entreprises et aux organismes de recherche de solliciter l’utilisation de données médicales. "Tout au long de l’élaboration de ce projet, une attention particulière a donc été portée aux aspects de sécurité, d’éthique et de respect de la vie privée des patients", explique-t-on chez Catch. L’idée est de faire de l’INAH une véritable autorité éthique wallonne en la matière. Le but étant de "garder le contrôle de l’implication sur les données de santé au niveau des autorités publiques".