L’"effet Greta Thunberg" secoue l’aérien
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- Publié le 12-10-2019 à 09h15
- Mis à jour le 12-10-2019 à 23h47
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Le mouvement est parti de Suède l’année dernière. En quelques mois, il a pris une ampleur inattendue. La honte de prendre l’avion (flygskam en suédois) est désormais crainte par tous les patrons de l’aérien, même si certains, comme Michael O’Leary, le boss de Ryanair, n’y voient qu’"une mode suivie par quelques militants écologistes en Suède, Belgique ou aux Pays-Bas".
On est pourtant très loin de l’épiphénomène si l’on en croit une étude de la banque suisse UBS. Selon cette enquête, ce refus de prendre l’avion par considération écologique va affecter la croissance du secteur aérien en Europe et aux États-Unis. À l’avenir, le nombre de passagers sur les vols européens ne devrait plus croître que de 1,5 % maximum, contre 3 % cette année et 6,6 % encore en 2018. Une pacotille dans un secteur habitué à doubler son nombre de voyageurs au niveau mondial tous les quinze ans. Pour le constructeur Airbus, cette flygskam va représenter un manque à gagner annuel de 2,8 milliards d’euros, selon UBS.
La chute importante des vols en Suède
L’impact de cette honte de voler est déjà visible dans les chiffres : le trafic intra-européen est en train de se tasser avec une croissance du nombre de passagers divisée par deux par rapport à 2018. D’autres facteurs, comme un ralentissement de l’économie, peuvent expliquer cette chute dans un secteur où les prix restent pourtant bas. Mais différents experts l’affirment : la pression écologique sur l’aérien en est aussi la cause. Un pays symbolise ce phénomène. Il s’agit de la Suède, le pays natal de la jeune militante Greta Thunberg. D’après UBS, les voyages aériens à travers le pays scandinave ont chuté de 10 à 11 % cet été par rapport à l’été 2018, tandis que le repli est de 2 à 3 % sur les vols internationaux. Le cas suédois pourrait s’étendre comme une tache d’huile à travers le "monde occidental", selon la banque suisse.
Le surprenant résultat venu des États-Unis
UBS a sondé plus de 6000 citoyens nord-américains et de trois pays européens. En moyenne, cet échantillon avait pris l’avion 4 fois pour des raisons personnelles et 4,5 fois pour des raisons professionnelles ces douze derniers mois. Bref, des habitués du voyage aérien, puisque ce chiffre est au-dessus de la moyenne européenne (1,6 voyage aérien par an et par habitant) et mondial (0,6 voyage). Pourtant 21 % des sondés expliquent avoir réduit leur nombre de vols pour des considérations environnementales (voir infographie). Si 27 % d’entre eux n’avaient pas changé leurs habitudes de vol, ils avaient envisagé de le faire.
Ce sont surtout les résultats américains qui ont surpris les chercheurs, puisque près d’un quart des sondés au pays de l’Oncle Sam affirment avoir réduit le nombre de vols, dont pour 10 %, cette réduction représentait plus de deux vols ces derniers mois.
La Belgique ne faisait pas partie de l’enquête d’UBS, mais notre pays suit la même orientation. Selon un sondage réalisé récemment, 28 % des Belges ont adapté leur comportement en matière de voyage aérien par préoccupation pour le réchauffement climatique et un Belge sur dix affirme même ne plus du tout prendre l’avion. "Nous pensons que cette tendance a de fortes chances de continuer dans les marchés développés", commente l’analyste Celine Fornaro qui a vu une forte évolution des récalcitrants à l’avion par rapport à la dernière enquête de ce type. D’après la banque, en 2025, un tiers des Européens auront ainsi réduit leur nombre de vols annuels.
"Ce moyen de transport a-t-il encore un sens" ?
Cette "honte de voyager" aura aussi un effet direct sur les constructeurs, selon UBS, avec des centaines d’avions en moins à livrer pour Boeing et Airbus, même si les deux géants du ciel pourront se rattraper sur les marchés asiatiques, africains ou sud-américains, moins sensibles à la question. Au niveau mondial, l’Iata prévoit d’ailleurs toujours un doublement du nombre de passagers aériens d’ici vingt ans. En 2038, les compagnies devraient accueillir plus de huit milliards de passagers sur l’année.
Mais en Europe, l’étau se resserre sur les compagnies aériennes : les gouvernements parlent de plus en plus librement de taxer ce secteur jusqu’ici largement épargné. Le rail ou les sociétés de cars ont bien compris l’opportunité de récupérer ces milliers de passagers et proposent de nouvelles offres internationales à des prix plus attractifs.
Même au sein des compagnies aériennes, les questions se posent. "Ce moyen de transport a-t-il encore un sens ?", nous explique un acteur du secteur qui remet en cause les bas prix proposés par les compagnies low cost, invitant le citoyen aux voyages "largement dispensables". "Le problème n’est pas tant de voyager en avion, mais de le faire si facilement, presque de manière impulsive, pour un week-end à Rome ou Barcelone."
"L’une des industries les plus résilientes"
Dans les cordes, les patrons aériens répliquent : ils rappellent n’être responsables que de 2 à 3 % des émissions de CO2 mondiales et misent sur la technologie pour rendre leurs avions plus verts. Mais il faudra sans doute encore des dizaines d’années avant de voir un avion commercial 100 % électrique dans le ciel. "Nous sommes entrés dans une zone de turbulence, avoue un dirigeant d’une compagnie européenne. Mais ce n’est pas la première fois que l’aérien est confronté à des difficultés et nous nous en sommes toujours très bien sortis. Nous sommes l’une des industries les plus résilientes au monde". Changer ou mourir, il faudra sans doute choisir.