"Prolongeons les vieilles centrales, mais n’en construisons pas de nouvelles"
Michael Liebreich est le fondateur de la société New Energy Finance, vendue à Bloomberg en 2009. Selon lui, la durée de vie des centrales nucléaires est problématique. Trop longue? Non, pas assez... Entretien
Publié le 25-10-2019 à 00h10 - Mis à jour le 29-01-2020 à 11h55
LIBRE ECO WEEK-END | Michael Liebreich est le fondateur de la société New Energy Finance, vendue à Bloomberg en 2009. Selon lui, la durée de vie des centrales nucléaires est problématique. Trop longue? Non, pas assez... La Belgique étant très densément peuplée, il n'appliquerait pas forcément ce conseil à Doel et à Tihange. Entretien
Pourquoi pensez-vous qu’il faut prolonger la vie de la plupart des centrales nucléaires dans le monde ?
Si on est sérieux et responsable vis-à-vis de la question du changement climatique, il ne faut pas fermer les centrales nucléaires avant de les avoir prolongées de dix, vingt, voire même de trente ans. Leur durée de vie, initialement fixée à quarante ans, est beaucoup trop courte. Bien sûr, ces prolongations doivent se faire en toute sécurité, et il faut s’attaquer à la question des déchets nucléaires. Mais quelques pour-cent de déchets de plus ou de moins, ça ne change pas fondamentalement le problème. Le nucléaire amorti produit de l’électricité décarbonée à un prix très compétitif, de l’ordre de 50 euros par MWh. Si on remplace du bas carbone nucléaire par du renouvelable, nos émissions de CO2 ne vont pas diminuer assez vite. Le renouvelable doit remplacer le fossile. L’année passée, le volume d’électricité produit par la centrale bavaroise d’Isar-2 représentait 83 % de la production des 6 100 éoliennes du Danemark. S’embarquer dans un démantèlement accéléré des centrales nucléaires reviendrait à se priver d’électricité décarbonée, tout en absorbant des centaines de milliards de dollars qui seraient mieux investis en efficacité énergétique, en électrification, et en nouvelles capacités renouvelables. Si on respecte le planning initial de fermeture des centrales nucléaires dans le monde, il faudra construire cinq à dix fois les capacités éoliennes et solaires actuelles, en seulement 11 ans.
Pensez-vous qu’il faille construire de nouvelles centrales nucléaires ?
L’équation économique est complètement différente en ce qui concerne le nouveau nucléaire. Les nouvelles centrales ne sont pas du tout compétitives vis-à-vis du renouvelable. Le gouvernement britannique a garanti à EDF un prix de rachat très élevé de 107 euros par MWh l’électricité qui sera produite à Hinkley Point, alors que les éoliennes en mer descendent aujourd’hui jusqu’à 40/50 euros par MWh. En outre, à Olkiluoto (Finlande), Flamanville (France) et Hinkley Point (Royaume-Uni), EDF a explosé les budgets initiaux de ses EPR ( NdlR : les centrales de troisième génération ), ainsi que les calendriers de livraison. Et même en Chine, le seul pays où EDF a réussi à mettre un EPR en service, le groupe français a mis deux fois plus de temps que prévu.
L’ancien nucléaire ne serait-il pas moins compétitif si on lui appliquait exactement les mêmes normes que le nouveau nucléaire ?
Selon moi, le nouveau nucléaire est cher parce qu’il y a eu une perte de connaissances de la filière en Europe. En outre, je crois qu’il n’est pas trop risqué de prolonger les anciens réacteurs, étant donné la liste d’améliorations de sûreté exigées par les régulateurs en Europe et aux États-Unis. Je suis plus inquiet vis-à-vis de pays comme la Chine ou l’Inde, où il n’est pas certain que les normes soient appliquées.
En dépit de ses problèmes financiers, EDF a dévoilé un projet de construction de six nouveaux EPR. Vous y croyez ?
Le raisonnement selon lequel une production en série va résoudre tous les problèmes d’EDF n’est pas crédible. Le problème de cette génération est qu’elle n’est pas compétitive en raison des normes de sûreté post-Fukushima. Ces normes ont été introduites après le début des chantiers, obligeant EDF à modifier ses plans et à renégocier avec ses fournisseurs, ce qui n’est généralement pas une bonne affaire. Il est vrai qu’EDF pourrait réduire un peu ses coûts en finançant ses projets de façon plus efficace. Dans ce genre de projets très longs et très coûteux, le financement est primordial. Mais même en optimisant toutes les composantes, EDF n’économisera pas suffisamment d’argent pour rendre ses EPR compétitifs. Et même s’ils arrivaient à descendre à 70 euros par MWh, ce serait toujours nettement plus cher que l’éolien. Ceci dit, si le gouvernement français permet à EDF de dépenser son argent dans six EPR, il le fera. Au coût actuel du nucléaire, je pense néanmoins que ce serait du gâchis. Les subsides fournis par le gouvernement britannique à EDF, pour le projet Hinkley Point, vont s’élever à environ 30 milliards de livres sterling sur une période de 35 ans. Donnez-moi une telle somme et je pourrai fournir 3,2 GW d’efficacité énergétique, de fermes éoliennes, ou même de centrales à gaz équipées de dispositifs de capture du CO2. Avec 32 milliards de livres, je pourrais même construire des capacités photovoltaïques en Afrique du nord, connectées via une liaison sous-marine à l’Angleterre.
Malgré les déboires de l’EPR, vous pensez que le nucléaire n’est pas mort ?
Selon moi, il sera possible de monter à 85 % de renouvelable sans que cela ne pose de gros problèmes d’intermittence. Il y a des solutions pour équilibrer le réseau quand il n’y a pas de vent ou de soleil : les batteries, les voitures électriques, un réseau électrique inter-continental… Les 15 % d’électricité qui restent à produire pourraient venir du nucléaire. Je ne crois pas aux réacteurs géants de type EPR, qui sont beaucoup trop coûteux. En revanche, il pourrait y avoir un avenir pour les SMR ( NdlR : small modular reactors ), des petits réacteurs de 100 ou 200 MW. Leur production en série permettrait de compresser les coûts. L’idée est de développer une sécurité passive, qui permet d’éviter les accidents, même en cas de coupure d’électricité de longue durée comme à Fukushima. Cela permettrait de limiter les risques en cas de prolifération de ces petits réacteurs dans le monde.
Le risque terroriste ne serait-il pas trop élevé si on multipliait les petites centrales nucléaires dans le monde ?
Il va falloir décider si notre société est plus effrayée par les conséquences du changement climatique, qui sont certaines, que par les conséquences d’un hypothétique accident nucléaire. Je pense qu’il est possible de limiter le risque nucléaire. C’est la même chose pour les déchets. Est-il préférable de laisser ces déchets aux générations futures ou de leur laisser une biodiversité complètement dévastée par le réchauffement climatique ? Je plaide pour le maintien de la recherche dans le domaine nucléaire. Avec un montant de 3 à 5 milliards de dollars par an, au niveau mondial, c’est suffisant. D’ici 20 ans, le réacteur à fusion pourrait être une solution intéressante.
Si je vous suis, la Belgique doit prolonger la durée de vie de son parc nucléaire ?
La Belgique étant très densément peuplée, et les conséquences d’un éventuel accident tellement énormes concernant l’habitabilité du pays, qu’il faudrait peut-être prendre des décisions différentes en Belgique.