Dans les coulisses des banques... confinées
- Publié le 28-03-2020 à 06h00
- Mis à jour le 28-03-2020 à 12h20
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La crise selon les experts économiques.
Suivre l’actualité de très près et adapter la stratégie d’investissement aux nouvelles données, telle est la tâche qui incombe aux stratégistes des banques privées. "Nous faisons partie d’un grand groupe international. Nous nous concertons entre les représentants des Pays-Bas, de l’Allemagne, de la France et de la Belgique de façon à mettre en place la même stratégie dans les portefeuilles", explique Erik Joly, CIO d’ABN AMRO Belgique (qui a repris la Société générale Belgique en 2019). Cette stratégie est alors communiquée aux collaborateurs de la banque et aux clients.
Dans une organisation internationale, il est important que tout le monde parle d’une même voix. Il faut éviter qu’un membre du personnel développe une vision qui soit différente de la ligne directrice de la banque.
"Nous avons développé, en temps normal, une communication mensuelle. Aujourd’hui, nous adaptons cette fréquence en fonction des recommandations de la stratégie. Pour l’instant, nous restons neutres concernant les actions. Il faut aussi reconnaître que notre rôle prend, aujourd’hui, une dimension plus psychologique", ajoute Erik Joly.
Du côté des investisseurs, le rythme de la communication est adapté. Les clients en gestion conseil reçoivent davantage de messages car ce sont eux qui pilotent leur portefeuille. En gestion discrétionnaire, les messages sont réguliers mais moins fréquents. Il y a aussi une communication à moyen terme dont le calendrier de parution reste inchangé.
Pas le CEO
Qui communique ? C’est le Chief Invesment Officer (stratégiste) qui est chargé d’informer le comité de direction de la banque sur les options stratégiques qui sont prises. Ce sont ces stratégistes qui informent les équipes commerciales et les clients. "En aucun cas, le CEO de la banque ne peut s’exprimer sur la stratégie mise en place. Il est informé mais ne communique pas. Ce n’est pas son rôle et cela pourrait même nuire à la banque", reconnaît Erik Joly.
Du côté des indicateurs, ce stratégiste reconnaît suivre de très près les CDS (credit default swaps, contrats de protection financière pour se protéger contre la défaillance d’une contrepartie) et le VIX (indice de volatilité).
Dans une banque, le chief economist est celui qui donne les grandes tendances économiques qui vont servir pour définir la stratégie de placements. “J’aime comparer cette fonction à celle d’un phare”, explique Bernard Keppenne, chief economist chez CBC Banque. “Le phare n’empêche pas la tempête mais il indique aux bateaux où se trouvent les dangers et l’entrée du port. Ensuite, les stratégistes construisent les portefeuilles sur base de ces indications. Nous avons donc un rôle bien précis qui ne peut jamais être endossé par le CEO d’une banque qu’elle soit privée ou non, par exemple.”
Le message délivré par un chief economist doit aussi être objectif dans la présentation des faits et dans son analyse. “Nous ne devons être ni pessimistes, ni optimistes mais juste refléter la réalité factuelle. Nous présentons les éléments dont les stratégistes ont besoin sans émettre de considération personnelle. Comme le phare, il sonne la cloche en cas de brouillard, il s’allume pour indiquer les bancs de sable et les rochers”, note encore Bernard Keppenne. Ce n’est donc pas lui qui navigue mais c’est un outil indispensable à une bonne navigation.
Circulation dans les villes, pollution…
Pour indiquer ces tendances économiques, ces experts se servent de différents indicateurs. En cette période un peu spéciale, ils se penchent sur des chiffres auxquels ils n’avaient pas l’habitude de se référer. “Nous regardons l’évolution de la pandémie à travers les mesures de confinement qui sont prises, le nombre de décès, sa propagation. Aujourd’hui, nous avons perdu quelques repères habituels comme, par exemple, les chiffres de la consommation. Nous manquons de données ou celles-ci n’ont plus de sens. Alors nous regardons d’autres indicateurs.”
Parmi les données examinées, on peut relever, par exemple, la reprise de la circulation dans les villes, le niveau du trafic maritime ou encore la pollution de l’air.
Si la situation frappe par son ampleur et sa gravité, ce choc devrait cependant être temporaire. Chez BNP Paribas Fortis, le message se veut optimiste à moyen terme.
“Les réactions des banques centrales et des gouvernements devraient permettre d’éviter des effets durables de cette crise du coronavirus. Dès que cette crise sanitaire sera derrière nous, l’appareil de production sera en état de redémarrer grâce au soutien des mesures budgétaires. C’est ce qui est différent par rapport aux autres crises”, estime Xavier Timmermans, Investment Strategist chez BNP Paribas Fortis.
Actions, obligations, or
En ces temps particuliers, ce stratégiste est surtout attentif à certains indicateurs comme, par exemple, aux corrélations entre les différentes classes d’actifs. Tous les actifs diminuent : les actions, les obligations, l’or. “C’est étrange, c’est un signe qu’il y a des liquidations partout. Nous surveillons cette corrélation et attendons de voir quand elle va diminuer. Cela permettra à la diversification de reprendre son rôle. Ce sera aussi un signe que le paroxysme aura été atteint. Nous regardons aussi la volatilité des marchés. Les marchés sont trop volatils et cela paralyse les investisseurs”, note Xavier Timmermans.
La banque a aussi engagé un gros effort en matière de communication vers ses clients en private banking.
“Dans l’ensemble, les clients apprécient et nous suivent dans nos recommandations. Cependant, nous avons assisté très récemment à des capitulations. Les clients sortent souvent des fonds de fonds. Pourtant, nous insistons sur le fait que cela n’a pas de sens au vu des valorisations et des perspectives à moyen terme.”
Il faut surveiller quand un actif devient vraiment bon marché et ne pas oublier qu’il y aura des secteurs gagnants.
Les indicateurs liés au coronavirus font l’objet de toute l’attention des stratégistes. La dynamique chinoise est scrutée de même que la façon dont la maladie est contrôlée dans les différents pays.
“Pour l’instant, nous en sommes toujours au stade des conjectures et nous suivons la situation pour essayer d’analyser le timing et la forme d’un retour à la normale. Nous suivons aussi de très près l’évolution du marché obligataire aux États-Unis qui est la principale source de crédits aux entreprises”, note Thierry Masset, Chief Investment Officer chez ING Belgique.
Davantage de flux d’informations
La période est difficile et il a fallu adapter la façon de communiquer à la fois vers les clients mais aussi en interne. Les équipes travaillent beaucoup et, malgré le télétravail généralisé, le support d’informations est assuré.
Dans des marchés qui jouent au yo-yo et qui sont plus volatils, il faut intégrer à la fois davantage de flux d’informations et des renseignements qui sont lourds en termes d’impact.
Le rythme des publications vers les équipes et vers les clients a donc dû être revu. “Normalement, nous informons nos clients sur base mensuelle. Depuis trois semaines, nous avons adapté notre communication à un rythme plus régulier, de façon hebdomadaire. Cette cadence nous permet de tenir nos clients au courant, et ce, sans sur-communiquer à tout moment sur n’importe quoi. L’abus de communication n’est pas constructif. En interne aussi, nous avons augmenté les rythmes de publications à 2 ou 3 fois par semaine voire parfois tous les jours”, explique Thierry Masset.
On ne chôme donc pas dans les chaumières et les conférences en ligne animent les serveurs !