"Les promotions vont stimuler des achats de produits qui… commencent à manquer"
Pour Luc Bormans, président d’Aplsia (Association Professionnelle du Libre-Service Indépendant en Alimentation), il est beaucoup trop tôt pour lancer des promotions dans la grande distribution. Selon lui, certains produits risquent vite de manquer dans les rayons.
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Publié le 31-03-2020 à 18h23 - Mis à jour le 31-03-2020 à 18h28
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Pour Luc Bormans, président d’Aplsia (Association Professionnelle du Libre-Service Indépendant en Alimentation), il est beaucoup trop tôt pour lancer des promotions dans la grande distribution. Selon lui, certains produits risquent vite de manquer dans les rayons.
Le retour des promotions et réductions dans la distribution que l’on pensait être approuvé par l’ensemble de la chaîne, de l’industrie alimentaire (via Fevia, sa fédération) aux consommateurs (via Test-Achats) en passant par les distributeurs (via Comeos, la fédération du commerce et des services) n’est pas applaudi par tous. Les franchisés des enseignes alimentaires jugent qu’il est trop tôt pour déjà se lancer dans des promotions. Le risque, c’est que les fournisseurs ne suivent pas. Par manque de main-d’œuvre. Ou parce que les frontières sont moins ouvertes qu’avant. Un risque que Luc Bormans, président d’Aplsia (Association Professionnelle du Libre-Service Indépendant en Alimentation) mesure déjà aujourd’hui.
Pourquoi n’êtes-vous pas partisan du retour des promotions et réductions ?
Nous ne sommes pas contre les promotions, mais il est trop tôt pour les autoriser. On peut penser à les réinstaller, mais graduellement. Et ne croyez vraiment pas que c’est parce que nous voulons – comme certains l’ont suggéré – profiter encore davantage de la situation. Les franchisés flamands sont aussi d’avis d’attendre. De même que les franchiseurs qui ne jouent pas sur les prix rouges, les prix bas à tout crin. La situation est complexe. Avant de prendre ce genre de décisions, poussées par une partie de la chaîne alimentaire, les autorités publiques devraient davantage analyser la situation.
En quoi les promotions déréguleraient-elles l’activité ?
Pas seulement l’activité, mais aussi le marché. Certes, on veut protéger nos collaborateurs. Ils sont quasiment au bout de leurs limites et leur ajouter une charge supplémentaire pour qu’ils puissent installer les promotions est impensable pour nous. Mais le problème, c’est que les promotions vont stimuler des achats, notamment de produits qui… commencent à manquer. Ne nous voilons pas la face, si certains rayons sont moins remplis, ce n’est pas qu’une question de logistique. C’est aussi une question d’approvisionnement. Dans certains segments, il y a moins de stock. Surtout sur le frais (légumes et fruits) et les articles venant de l’étranger (citrons d’Espagne…), mais aussi dans la volaille, la charcuterie, les plats préparés, le beurre, les fromages français.
Les fournisseurs sont à la peine, c’est ce que vous voulez dire ?
Tout le monde a un problème de main-d’œuvre : les maraîchers, les groupes alimentaires. Il n’y a pas assez de personnes pour cueillir les fraises. Le groupe Ter Beke doit faire face à un absentéisme de 15 à 25 % ; il va automatiquement réduire ses assortiments. Quant aux produits venant de l’étranger, ils pâtiront, en plus, d’un problème de transport. Ou d’une préférence qui serait accordée aux distributeurs nationaux… Augmenter les volumes via des promotions alors que le début de la chaîne ne sait pas y faire face va être ingérable. Cela va encore plus attirer l’attention sur des rayons vides…

Doit-on s’attendre à des problèmes sur certains articles précis ?
Oui, je pense. S’il ne s’agit pas d’une moindre quantité, il s’agira d’une moindre variété. Plutôt que d’autoriser les promotions, il faut apaiser la situation. Et puis n’est-ce pas surprenant d’inciter les gens à rester chez eux et, dans le même temps, autoriser des promotions qui vont favoriser le shopping d’une enseigne à l’autre pour en profiter ?
Le revenu de certains consommateurs a baissé. Les promotions sont une manière de payer moins cher…
C’est sûr. Nous en sommes conscients. Mais nous sommes également préoccupés par la santé de nos collaborateurs. Et je tiens à dire que les distributeurs rognent déjà sur leurs marges pour que le panier de la ménagère n’explose pas. Nous sommes confrontés à pas mal de hausses de marchandises. Surtout dans les rayons des fruits et légumes. Le chou-fleur nous coûte quatre fois plus cher. Nous n’avons pas encore répercuté la hausse dans le prix d’achat, mais cela viendra peut-être. Et cela va être pareil pour le lait, le beurre, les œufs… Pendant 40 ans, les consommateurs ont profité d’un marché libre, de prix bas, et, surtout, d’une absence de rareté. Pendant les prochains mois, voire peut-être les prochaines années, ils devront s’habituer à ne pas tout avoir comme avant.
On ne mange pourtant pas plus qu’avant…
Non, mais on mange plus qu’avant chez soi. Et on prépare davantage ses repas qu’avant. On vend bien plus d’œufs et de farine, par exemple. Juste avant le confinement, il s’est vendu 175 % de congélateurs en plus et cinq fois plus de machines à pain que l’an dernier à pareille époque.
Cela n’exclut en rien le fait que certains gérants de magasins ont parfois forcé sur les prix.
Je le reconnais. Nous trouvons hyper dangereux des déclarations comme quoi nous serions des “profiteurs de guerre” ou des plateformes comme celle de Test-Achats afin de dénoncer des abus sur la place publique. En tant qu’association, nous demandons à nos membres de pratiquer les prix de vente corrects. La pandémie risque de durer un certain temps encore. La seule manière de s’en sortir, c’est la solidarité réciproque.
Vous vous opposez aux promotions dans l’alimentaire. Dans le non-alimentaire aussi, sans doute.
Bien davantage encore. Faire de la publicité sur des articles que d’autres commerçants ne peuvent plus vendre est indécent. Il faut plus de solidarité. Nous avons la chance de pouvoir ouvrir nos magasins. Nos chiffres d’affaires ne souffrent pas. Au contraire. Nous avons davantage vendu qu’habituellement, c’est sûr. Nous sommes conscients de notre chance. Même si nous avons eu des frais supplémentaires. Mais déjà aujourd’hui, les ventes se tassent. Et nous sommes convaincus que demain, dans deux ou trois mois, nous serons les premiers à déguster car les consommateurs auront moins de revenus. C’est à ce moment-là que des promotions réalisables seront nécessaires.