Marco Probst : "Une e-boutique Delvaux sera opérationnelle assez rapidement"
Publié le 04-04-2020 à 10h41
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Marco Probst, le CEO de Delvaux est l'invité éco du week-end.
C’est de chez lui où il télétravaille, en vidéo et dans un excellent français, que Marco Probst a répondu à nos questions. En Belgique, où ce Bavarois, qui trouve qu’il y a "pas mal de points communs entre Munich et Bruxelles", se sent "tellement bien". À Bruxelles, où il a repris les rênes de Delvaux au tout début du mois de décembre.
Il avait déjà été CEO du célèbre maroquinier belge entre 2012 et 2018, accompagnant le développement de la marque, tandis que le chiffre d’affaires était multiplié par dix. Avant de "marquer une pause". Il l’a mise à profit pour obtenir un certificat en marketing digital à la Columbia Business School à New York et en étant consultant pour d’autres marques.
À (très) bientôt 54 ans, le voilà donc revenu à L’Arsenal, le QG de la marque, où il va pousser à la digitalisation de l’univers Delvaux tout en continuant à ouvrir des points de vente.
C’est chez Hugo Boss, aux Pays-Bas, que Marco Probst, titulaire d’un MBA (State University of New York à Albany, et Zurich), débute sa carrière internationale en 2003, en charge des finances et des opérations. C’est à Amsterdam aussi qu’est née sa fille. Il s’envole ensuite pour Tokyo dont il est "grand fan" - où son fils est né - avant Hong Kong où il était toujours responsable finances et opérations pour toute l’Asie.
En 2010, Marco Probst atterrit à Paris, capitale de la mode, pour travailler en tant que COO chez Chloé (groupe Richemont). Avant de débarquer, deux ans plus tard, chez Delvaux. Et d’y revenir…
Vous avez repris la direction de Delvaux début décembre, après une pause de deux ans. Avec de nouveaux projets en tête ?
Surtout avec un vaste plan : celui de la digitalisation de l’entreprise. Puis il y a eu le coronavirus qui a tout arrêté mais qui, en même temps, va peut-être permettre d’accélérer cette digitalisation voulue.
Quel est l’impact de la crise pour Delvaux ?
Dès la mi-janvier, on a constaté un ralentissement des activités en Asie, surtout en Chine. Les choses se sont alors accélérées : fermeture de nos magasins d’Asie, tenue de la Fashion Week à Paris (24 février-3 mars) qui a rassemblé beaucoup de gens de Chine, de Milan… et mise en quarantaine de notre équipe présente, fermeture des autres magasins dans le monde et de nos sites de production. Aujourd’hui, les magasins en Asie ont rouvert. Et nous télétravaillons.
Sur la digitalisation de l’entreprise ? Sur un web shop ?
En 2012-2013, quand j’ai pris la tête de Delvaux, nous avions évoqué la question de l’e-commerce, mais nous l’avons abandonnée. Aujourd’hui, on ne peut plus se priver du digital, devenu un pilier de l’économie. Nous avons entamé la digitalisation de la maison en Chine, un des pays précurseurs à cet égard, et nous sommes actuellement en vente sur JD.com. Mais la digitalisation ne se limite pas à l’e-commerce. C’est d’une nouvelle approche globale qu’il s’agit : des réseaux sociaux, de l’analyse des données, des boutiques, de la production, de la livraison, de l’input clients… Un projet immense, un questionnement de tous les jours, dont j’espère voir les premiers résultats fin de l’année.
Pourquoi avoir choisi JD.com et pas Alibaba, son concurrent ? Et pourquoi un site de vente asiatique et pas européen ?
Le choix de JD.com était évident car nous partageons les mêmes valeurs : transparence, respect et ouverture d’esprit. Un site de vente asiatique car n’oublions pas que 40 % de notre chiffre d’affaires a été réalisé l’an dernier en Chine. Si l’on tient compte des achats de Chinois effectués en Europe ou aux États-Unis, on passe à 60 %. Ceci dit, nous travaillons actuellement sur une deuxième étape dans la digitalisation de la maison : une e-boutique Delvaux, qui sera opérationnelle assez rapidement.
Qu’en est-il de la collection été 2020 ? Pourriez-vous, en quelque sorte, la recycler l’an prochain ?
Non, parce qu’une collection est pensée pour être saisonnière. Mais nous allons essayer de prolonger l’été jusqu’en août ou septembre et revenir avec la collection d’hiver plus tard. On va ralentir la production, mais les matières ont été achetées. Peut-être réussira-t-on néanmoins à réutiliser une partie des cuirs et des couleurs. Delvaux est une petite marque familiale. Certains grands groupes concurrents qui travaillent avec des sous-traitants ont les moyens d’annuler une production, de couper les ordres. Pas nous. Parce que nous ne dépendons que de nous-mêmes.
Pensez-vous que cette crise sanitaire et économique va déstabiliser durablement l’industrie du luxe ?
L’impact sera considérable, partout. C’est la capacité de s’adapter qui va jouer, dans le respect des clients, des collaborateurs, de soi-même.
Quelle est votre influence personnelle sur Delvaux ?
Ce n’est pas à moi de le dire. Disons que j’essaye de gérer la société en bon père de famille. J’ai un côté paternaliste. Pour une société familiale, c’est bien (sourire). De mon expérience dans des sociétés très structurées comme Chloé ou Hugo Boss, j’ai apporté une capacité d’analyse, une structuration, des procédures plus strictes, un follow up.
Et sur les collections, le style ?
On a des comités de produits. Les équipes ont une grande liberté mais c’est moi qui tranche.
Delvaux est vendu sur plusieurs marchés différents. Cela veut dire plusieurs collections différentes ?
Nos collections sont globales. Nous n’en avons qu’une par saison. Mais nous pouvons voir quels sont les produits qui fonctionnent mieux ici ou là. Depuis 2012, il y a plus de couleurs, de formes, de cuir. Cela aide à l’international.
Comment réagit la clientèle belge ?
Très bien. Le chiffre d’affaires belge a augmenté. Et continue d’augmenter, ce qui prouve l’intérêt des Belges pour la marque. Car la clientèle en Belgique est locale alors qu’à Paris, elle est plutôt internationale. On a eu une croissance plus importante dans les autres pays car c’était nouveau, on partait quasiment de zéro. En Belgique, je dirais qu’on a réveillé une clientèle qui s’était endormie.
Une des grandes plaies du luxe c’est la copie. D’articles neufs, mais aussi d’articles anciens, vendus en seconde main. Qu’en est-il pour Delvaux ?
C’est un sujet de préoccupation mais qui est récent. Les premières copies sont apparues sur le marché chinois en 2014-2015. On s’en est un peu réjoui, car c’est un signe de succès. Mais on surveille le phénomène de près. Cela prend du temps. C’est difficile à pister. On a de la chance : nos produits sont compliqués à copier.
"Le luxe français ou italien, tout le monde connaît. Le côté belge nous permet de nous distinguer"
Créée par Charles Delvaux en 1829, un an avant l’indépendance de la Belgique, rachetée en 1933 par la famille Schwennicke qui en possède toujours 20 % au côté du chinois First Heritage Brands, la marque revendique toujours son côté belge. Est-ce si important et qu’est-ce qui est encore vraiment belge dans la marque ?
C’est super important ! Le luxe français, italien ou anglais, tout le monde connaît. L’origine belge nous permet de nous distinguer. Ensuite, nous collaborons avec la Fondation Magritte depuis des années et avec des artistes belges. On crée nos produits autour de la belgitude. Et puis, notre siège est à Bruxelles, à L’Arsenal, comme toutes les fonctions centrales (le style, le R&D, les finances, les RH, le commercial…) de même qu’une partie de la production.
Dans le luxe, on sait qu’être français aide. Être belge ouvre-t-il des portes, en Asie par exemple ?
Cela aide déjà à l’entrée car les gens sont curieux. En outre, la Maison a plus de 190 ans d’histoire ininterrompue, ce qui est exceptionnel : nous avons des histoires incroyables à raconter. Et ce qui est pour moi le plus important, c’est toujours la dimension surréaliste, la capacité à ne pas se prendre trop au sérieux, ce qui est aussi le cas de notre équipe, qui est passionnée. On est une grande famille et l’interlocuteur assis de l’autre côté de la table le sent. Et c’est ce que l’on peut faire "transpirer" aussi dans nos boutiques. C’est ça qui fait l’attachement. Et c’est ça que je trouve très belge… et bavarois !
L’an dernier, vous avez ouvert un troisième atelier de fabrication, qui est aussi le deuxième en France. Pourquoi pas un deuxième en Belgique plutôt ?
Ce serait idéal mais il est beaucoup plus difficile de trouver en Belgique la centaine d’artisans nécessaires qu’en France, où se situe le gros de l’industrie de la maroquinerie. Sachant que c’est toujours à notre atelier de L’Arsenal à Bruxelles que l’on produit les sacs à haute valeur ajoutée, lentement, de façon très artisanale, alors qu’en France, on travaille un peu plus industriellement, tout en respectant les normes de qualité de la maison, évidemment.
Quel est le prix moyen des sacs Delvaux ?
Les prix des sacs débutent à 1 800 euros, mais vous pouvez passer une commande spéciale à 300 000 euros.
Mettez-vous la famille royale belge en avant ? Est-ce que c’est un élément porteur en Asie, au Japon peut-être encore plus ?
Oui, cela joue un peu. Nous affichons notre blason de Fournisseur de la cour dans toutes nos boutiques, de même que des photos historiques qui nous permettent d’expliquer aux clients ce qu’est la Belgique.
À quelle autre marque vous compareriez-vous ?
La Maison Delvaux est unique, classique avec un twist, une légèreté… On combine le classicisme avec la modernité. Cela peut être super classique mais aussi complètement surréaliste !
Delvaux en chiffres
La marque belge compte 44 boutiques dans le monde, dont la moitié en Asie, Chine en tête (huit boutiques). La Belgique en a six. Delvaux s’appuie sur plus de 600 collaborateurs dont 170 en Belgique.
Le chiffre d’affaires s’est établi à 120 millions d’euros en 2019. Près de 90 % sont dus à l’export. L’an dernier, la part du chiffre d’affaires belge était en progression, souligne le patron. Une progression assez régulière depuis 2012, même si les croissances sont plus fortes dans d’autres pays.
Delvaux dispose de trois ateliers de fabrication, un à L’Arsenal à Bruxelles et deux en France : un premier à Bourg-Argental, au sud de Lyon, et un second, depuis mars 2019, à Avoudrey, près de Besançon.