Les risques du télétravail pour une entreprise : "Il y a une difficulté de construire des projets et d’innover"
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Publié le 31-10-2020 à 07h00 - Mis à jour le 01-11-2020 à 08h06
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"Et voilà. Nous sommes repartis pour une nouvelle obligation de télétravail, avec tout ce que cela implique. C’est très dur pour les équipes et pour les managers", constate Laurent Taskin, professeur à la Louvain School of Management (UCLouvain). "Il faut tirer les leçons du premier confinement, avec deux axes majeurs. Premièrement : rendre la pratique du télétravail possible, d’un point de vue technique. Cela a un coût certain, en équipement, en personnel… qui variera évidemment en fonction de la situation dans laquelle se trouvait l’entreprise en mars. Cela nécessite aussi d’élaborer une politique en la matière. Or, on constate que certaines entreprises n’ont pas encore entamé une réflexion sur le télétravail. Elles sont restées dans une vision plus administrative du personnel et en sont au même point que début mars en fait."
Mais cela ne suffit pas d’avoir des infrastructures et une politique de télétravail. "Il faut aussi gérer cette situation nouvelle. Et, là, le chantier est énorme. On pensait que cela allait durer un mois au départ et puis la situation a perduré. Un nouveau mot est né : le distanciel. Les recherches montrent que même si le télétravail a apporté une certaine satisfaction, il a aussi créé un manque de contacts sociaux. Pour contrer cela, lors du déconfinement, on a bien vu que les managers avaient réinstauré du présentiel, en imposant, par exemple, certains jours de présence pour que toute l’équipe soit là en même temps."
La nouvelle norme
La situation actuelle impose une nouvelle fois une pratique généralisée du télétravail. "Il devient la norme. Il est donc urgent que les équipes puissent correctement se gérer à distance. Pour les managers, cette compétence de gestion d’une équipe à distance devient structurelle et pas seulement ponctuelle. Or, les travailleurs sont épuisés. Ils n’ont pas pu vraiment se ressourcer cet été. Ils n’ont plus de projets, ni dans le domaine privé, ni dans le professionnel. Les travailleurs, et les managers, sont démobilisés, anxieux… Il y a, à distance, une difficulté de construire des projets, d’innover, d’évaluer, de brainstormer. On peut faire du suivi, du day-to-day mais le lancement de nouveaux projets et l’innovation sont rendus beaucoup plus difficiles avec la distance."
Des études montrent également que pendant le confinement le télétravail ne s’est pas nécessairement accompagné de plus de productivité. "Au Japon, on a même vu qu’elle avait diminué. Avec un piège pour les managers qui seraient tentés de mettre la pression pour augmenter cette productivité. Ce serait mal venu, vu l’état de fatigue de tous. Il faut donc se ressaisir et réinventer le collectif à distance. Les managers doivent recréer des moments de socialisation, être souples et compréhensifs car les collaborateurs vont devoir travailler chez eux bien souvent avec des enfants. Nous revivons une situation qui avait été traumatisante pour beaucoup", souligne Laurent Taskin, qui voit plutôt à terme, des équipes de travail hybride, avec certains jours de présence obligatoire. "Des études montrent une transformation de la demande d’espaces de travail. Mais avec une formule hybride, il ne devrait pas y avoir d’impact sur les bureaux."
Pour Laurent Taskin, il faut reconfigurer le rapport au travail. "Avec la distance, le travailleur se sent plus distant de son organisation, de son travail même. L’attitude vis-à-vis des collègues change. Notre équipe de recherche avait déjà cette intuition. Le travail devient de plus en plus instrumental, moins chaleureux, moins humanisé. Et cela d’autant plus qu’il n’y a pas un manager sensible à cela et un collectif soudé. Dans de nombreuses entreprises, le collectif était déjà en convalescence durant le déconfinement."