François Fornieri (Mithra): "Je ne suis pas contre la contraception masculine mais il n’y a pas de marché"
Le CEO de Mithra revient sur les enjeux des prochains mois pour la biotech liégeoise. Il fait le point également sur ses dossiers plus personnels, du Standard de Liège à sa réputation dans la presse.
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Publié le 18-11-2020 à 06h32 - Mis à jour le 20-01-2021 à 11h16
François Fornieri nous avertit, dès qu’il nous reçoit, qu’il ne parlera pas du dossier du moment sur le Standard de Liège. On n’est pas là pour ça, pourtant, il faudra bien y venir. Mais avant tout, alors que tout le monde parle de recherche contre le Covid-19, où en est Mithra, la biotech wallonne principalement active dans la contraception féminine ? Et que pense le CEO et cofondateur de Mithra de la contraception masculine ? Un point qui mérite d'être débattu, même si le marché, comme beaucoup d'hommes, ne semble pas encore mûr dans ce domaine. Entretien.
Tout se passe bien pour le lancement de la pilule Estelle ?
Oui. Pour les trois produits les plus importants de l’entreprise d’ailleurs, donc la pilule contraceptive Estelle, le médicament Donesta pour la ménopause et le dispositif intra-utérin Myring. En ce qui concerne Estelle, le dossier est en phase finale. Il ne devrait pas y avoir de problème à l’obtention de cette mise sur le marché au début de l’année prochaine. D’ailleurs, on n’attend pas l’autorisation pour commencer les productions.
Qui est votre partenaire pour la distribution aux États-Unis ?
C’est Mayne Pharma, qui est numéro deux dans la contraception sur le marché américain. D’ailleurs, nous sommes le premier actionnaire de Mayne, avec une participation à 9,6 %. Ce qui est plus important que le fondateur, qui a 6 %. Ce n’est pas rien.
Du côté des marchés, l’action Mithra ne se porte pas trop mal mais on est encore loin des 35 euros de 2018…
L’action est vraiment en dessous de sa valeur. En 2018, on était même monté à 39,20 euros et jusqu’à 1,7 milliard de valorisation. Aujourd’hui, on est aux alentours de 800 millions, avec un cours qui tourne autour de 20 euros. Ces 20 euros, ça représente un peu la valeur d’Estelle. Le marché ne considère pas la valeur de Donesta, de Myring et des autres, qui sont des potentiels que nous pouvons avoir avec la molécule innovante estetrol.
La phase de commercialisation pour Estelle et autres permettrait à Mithra de tirer vers le haut ?
Oui, il y a du concret. Le marché attend de voir comment les patientes et les médecins vont réagir. Est-ce que ça va être le succès escompté ? Si vous faites ce que vous dites, vous pouvez être sanctionné. Si vous faites mieux… c’est ce que veulent les investisseurs, et si vous êtes en dessous des attentes, on vous tue. C’est un peu la loi des marchés.
Et au niveau de la tarification à la vente ?
Ce sera le même prix, voire supérieur au benchmark, puisqu’on a dépensé beaucoup plus dans le développement que ne l’ont fait d’autres entreprises pour les pilules précédentes. C’est toujours lié.
Vous avez besoin de financement pour cette commercialisation ? C’est un processus coûteux…
On a levé récemment de l’argent, 130 millions d’euros, sous forme de prêt et d’augmentation de capital. Un fonds institutionnel américain nous a également prêté de l’argent. La confiance est là.
Pour Estelle, vous avez communiqué sur les avantages par rapport à la réduction du risque de thrombose. Il reste la question des hormones chez les femmes. Vous ne pensez pas qu’à long terme, ça pourrait impacter votre marché ?
Non, car justement, l’estetrol a pour objectif de démontrer que ça réduit largement les risques de thrombose mais aussi de cancer du sein.
On parle aussi de l’impact de la pilule sur la libido.
Il y a quand même des études qui ont été faites là-dessus, par des sexologues et des psychologues, qui montrent que c’est un peu plus complexe que ce qu’on imagine. Ce n’est pas la pilule qui fait baisser la libido, sauf si c’est une pilule qui est antiandrogène. Mais ce n’est pas le cas de l’estetrol. Une pilule comme la Diane 35 (de Bayer, NdlR) pourrait avoir un impact mais, même là, il faudrait une concentration beaucoup plus importante.
Est-ce que Mithra envisage d’autres recherches ?
Mithra a 35 brevets sur la chimie mais aussi dans d’autres projets avec l’estetrol, dans la neuroprotection, la cicatrisation, etc.
Et dans la contraception masculine ?
Les femmes n’en veulent pas…
Quand même…
Bayer a fait des études là-dessus. Il est leader mondial de la contraception. Le point majeur, c’est que si l’homme oublie sa contraception, qui en paie la conséquence ? Les femmes ont envie de s’assumer, ce sont elles qui ont le contrôle là-dessus.
C’est aussi une question d’éducation, il y a beaucoup de femmes qui voudraient partager cette responsabilité.
Je vous assure que dans toutes les enquêtes et études qu’on a menées, majoritairement, à la fin, les femmes veulent assumer. Elles peuvent avoir la vie sexuelle qu’elles veulent, contrairement à ce qu’il se passait avant. Elles sont beaucoup plus libres et peuvent être plus épanouies avec la maîtrise de la contraception. C’est la réalité des choses. Il y a des firmes qui travaillent là-dessus mais il y a moins de financement. Je ne suis pas contre la contraception masculine mais il n’y a pas de marché. Le jour où il y aura un marché, on verra.
Le débat se pose.
Oui. Mais il y a les préservatifs, les spermicides, les vasectomies, etc. Il y a des solutions mais la contraception orale reste la numéro 1 au monde.

Pour revenir sur l'aspect business, le renouvellement du conseil d’administration, c’est pour favoriser la phase de commercialisation ?
C’était prévu, car on savait qu’on allait entrer dans cette phase commerciale. On avait besoin d’un profil d’administrateurs beaucoup plus international. C’est pour cela qu’on a des gens, au sein du conseil d'administration, qui ont un portefeuille de connaissances qui permettra d’aborder et discuter avec les bonnes personnes. Comme Ajit Shetty, par exemple, qui est passé par Johnson & Johnson et Janssen. Jean Stéphenne, pareil. C’est un grand patron qui a été en contact avec les autorités de tous les pays pour des vaccins. Pour négocier des prix, pour la distribution, pour créer des filiales, etc. Ce sont des gens qui ont fait ça et qui ont cette expérience. Donc le conseil a muté vers ces personnalités. Ce qui a été extrêmement bien perçu d’ailleurs.
Et le départ de Marc Coucke ?
C’était aussi prévu. De plus, avec ses participations dans le club d’Anderlecht, Pairi Daiza, Durbuy, la période Covid… Il fallait un président 100 % investi. Il m’a donc dit "c’est le moment". Ensuite, c’est beaucoup plus sain d’avoir un maximum d’administrateurs indépendants. Si ma volonté va à l’encontre des leurs, eh bien… j’ai tort.
Vous reconnaissez pouvoir vous tromper alors…
Ça fait 21 ans que j’y suis, j’ai connu pas mal d’actionnariats divers et je crois que les administrateurs ont confiance et l’ont prouvé. Mais j’ai toujours dit que je ne resterai pas CEO jusqu’à ma mort et qu’il faudra bien, à un moment donné, passer à autre chose ou à quelqu’un qui pourra gérer tous ces flux logistiques, ce qui n’est pas vraiment mon profil. Moi, je suis plus un créateur d’entreprises. Et j’ai encore envie d’en créer.
Bon… et pour le Standard de Liège. C’est une question de sécurité financière ou de risque pour vous ?
Ma sécurité financière ? J’ai 30 % de participation chez Mithra et elle vaut environ 800 millions d’euros. Je ne pense pas que j’aurais du mal à réunir 1,5 million d’euros. J’avais la réelle volonté d’investir. On s’était mis d’accord avec Bruno Venanzi.
C’est un conflit personnel ?
Je ne sais pas, posez-lui la question. Il y a le sujet de la société immobilière. Moi je ne voulais pas qu’elle soit scindée du club car il y a un problème de gouvernance. On ne peut pas être le locataire et celui qui loue. Il restait plein de questions d’ailleurs. Enfin, j’ai dit à Bruno Venanzi qu’il fallait faire repasser l’immobilière au Standard. Est-ce que ça lui a déplu ? Est-ce qu’il avait un autre plan ? Je n’en sais rien. En tout cas, quand je l’ai eu en face de moi, il m’a dit oui et ensuite il a arrêté. Après, il y a aussi l’aspect judiciaire de Bruno Venanzi. Mais ce sont ses affaires et on avait une convention pour ne pas que j’y sois mêlé.
Ça pourrait vous poser problème pour votre label "fit and proper" ?
Oui. Et je ne veux pas perdre mes partenaires américains. Donc je règle ça clairement avec Bruno Venanzi et après, on verra pour le dossier Standard. Ça arrangera tout le monde. Mais ce n’est pas une question de cash.
Parfois vous avez mauvaise presse. Qu’est-ce que vous répondez à cela ?
Si on fait le condensé de la presse depuis 21 ans, vous constaterez qu’il y a 85 % de positif. Il peut y avoir du négatif. Ça fait partie du jeu.
