"La faillite permet essentiellement d’écarter du marché les entreprises moribondes"
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- Publié le 29-01-2021 à 14h00
- Mis à jour le 29-01-2021 à 16h15
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Alain Zenner, avocat au barreau de Bruxelles (Freshfields), est un des spécialistes en Belgique du droit de l’insolvabilité. Celui qui fut aussi secrétaire d’État MR est très critique sur le moratoire institué par l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n°15 du 24 avril 2020, à l’instar d’ailleurs du président du tribunal de l’entreprise de Bruxelles. "J’ai toujours été un adversaire du gel obligatoire des faillites. Car il crée une situation trompeuse, il augmente le risque de contagion. Il oblige des entreprises à livrer des biens ou des services sans savoir que leur client risque de tomber en faillite. Cela porte aussi atteinte à la capacité de concurrence", nous explique-t-il.
Affaire Vanden Borre
Pour illustrer son propos, il rappelle une affaire qui remonte à 1980 quand la société d’électroménager Vanden Borre était au bord du gouffre. Jean-Louis Duplat, alors président du tribunal de commerce, avait choisi de donner du temps à l’entreprise pour lui permettre de mener à bien ses efforts de restructuration et ainsi survivre. Entretemps, Vanden Borre ne payait pas l’ONSS, ce qui lui permettait de vendre ses téléviseurs à des prix bradés. Une pratique dénoncée par le juge de la concurrence de l’époque, Ivan Verougstraete, qui avait ainsi obligé Vanden Borre à déposer son bilan. "Cet épisode prouve qu’un gel des faillites pose un problème de concurrence loyale", poursuit Alain Zenner.
Il est clair, à ses yeux, que ce n’est ni à l’ONSS ni à l’administration fiscale - qui sont en général les premiers créanciers à actionner la procédure de mise en faillite - que ce moratoire pose problème, leurs perceptions ayant de toute façon fondu compte tenu de la cessation d’activité pour la plupart des entreprises menacées des faillites. Ces organismes pratiquent d’ailleurs un moratoire volontaire.
Proposition de loi MR
L’enjeu se situe au niveau des autres créanciers, qu’il s’agisse de bailleurs, des banques ou de différents fournisseurs. "La faillite, de nos jours, permet essentiellement d’écarter du marché les entreprises moribondes. Elle tend à protéger du risque de contagion les autres entreprises, en leur évitant de traiter avec un débiteur incapable de les payer, ce qui pourrait entraîner leur propre défaillance et, par répercussion exponentielle, une épidémie économique. On crée de grosses difficultés. La vérité éclatera au grand jour", poursuit l’avocat. Il voit un autre avantage à la faillite : c’est d’offrir aux entreprises "une seconde chance en effaçant leur passif et leurs charges, ce qui leur permet ainsi leur relance sur des bases saines."
Suite à la mise en application du moratoire, un certain nombre de spécialistes du droit de l’insolvabilité s’étaient réunis à distance à l’initiative d’Alain Zenner dans le but de rédiger un projet qui répondrait aux nécessités des circonstances les plus urgentes. Quelques-unes de leurs remarques avaient été prises en compte dans une proposition de loi émanant de plusieurs parlementaires MR, dont Benoît Piedbœuf.
Ce texte, qui vise à mieux organiser la PRJ (Procédure de redressement judiciaire) prévoit d’instituer une série de mesures. Exemple : une nouvelle procédure - individuelle, semi-collective ou collective - simple, bon marché et discrète permettant à une entreprise en difficulté d’obtenir contradictoirement du président du tribunal, à sa seule appréciation, des facilités de paiement de son passif.
Les amendements sur la PRJ sont actuellement finalisés au niveau du cabinet Justice (compétent en matière du droit des sociétés). "Le dossier sera à l’agenda de la commission Économie le 3 février, suite à l’accord sur les amendements en gouvernement", nous indique M. Piedbœuf.
>> Lire aussi : La fin du moratoire approche. Et après ?
"Des abus inacceptables"
Benoît Piedbœuf est bien conscient que le moratoire sur les faillites "soulève énormément d’inquiétudes." Outre la crainte d’une explosion des faillites, il pose notamment la question des honoraires pour les curateurs "car on y constate des abus manifestes connus des juges des tribunaux de commerce qui sont étonnamment silencieux sur ces questions. La même chose pour les experts désignés en matière de gestion de substitution durant le PRJ. Il y a des abus inacceptables du style salaire mensuel de 20 000 euros pour un expert qui vient un jour et demi par semaine." Et de se demander s’il ne faudrait pas imposer des honoraires sous forme de forfaits.
Le député MR fait le constat que nombre d’experts ou acteurs du monde économique privilégient la voie publique : suspension des réclamations des dettes ONSS antérieures à la crise Covid, moratoire fiscal en suspendant les procédures de récupération, annulation des amendes fiscales et parafiscales, simplification des procédures PRJ, etc. "C’est là que notre proposition prend tout son sens", conclut Benoît Piedbœuf. Qui, à l’instar du MR, reste prudent sur la possibilité de prolonger le moratoire pendant une courte période via arrêté royal.