Ces nomades numériques qui changent de vie : "La question n’est plus où tu veux travailler, mais où tu veux vivre"
Un ordinateur portable, une bonne connexion Internet et c’est parti ! Que ce soit au bord des plages mexicaines, portugaises ou au milieu de la jungle cambodgienne ou à Bali, les Belges sont de plus en plus nombreux à avoir choisi un cadre de vie exotique comme lieu de travail.
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Publié le 19-02-2021 à 16h00 - Mis à jour le 19-02-2021 à 16h36
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Ces nomades numériques sont souvent indépendants, jeunes et actifs dans des secteurs où une présence physique au bureau n’est plus nécessaire. Mais loin du cliché du geek routard, on retrouve aussi de plus en plus d’employés, voire des familles entières, qui ont décidé de fuir le rythme "métro-boulot-dodo" en télétravaillant depuis l’étranger. Un choix qui se fait avec l’accord de leur patron, même si cela reste rare en Belgique. Quoi qu’il en soit, le phénomène a été fortement accentué par la crise du Covid-19. Et l’initiative vient parfois des entreprises elles-mêmes. Aux États-Unis, des géants comme Twitter ou Salesforce, voire Facebook, ont déjà annoncé qu’ils autoriseraient certains de leurs salariés à télétravailler de façon permanente. "Dès qu’on pourra à nouveau voyager plus librement, cela va exploser", prédit Emmanuel Guisset, fondateur de la plateforme de coliving Outsite.
D’abord aux États-Unis
Les nomades numériques existent quasiment depuis l’apparition d’Internet. Les pionniers se sont installés à Bali ou en Thaïlande, dans un esprit routard et yoga. On y retrouvait aussi beaucoup de développeurs web au profil aventurier. À la même époque, de nombreux actifs dans la tech fuient la flambée des prix immobiliers de la Silicon Valley en Californie. Ils se rendent compte qu’ils peuvent avoir une meilleure qualité de vie en déménageant à quelques centaines de kilomètres de San Francisco.
Et cela ne pose pas de problème car leur activité ne nécessite pas une présence indispensable dans des bureaux. Envoyé par une start-up belge il y a dix ans aux États-Unis, Emmanuel Guisset a suivi ce chemin, fuyant les prix exorbitants de San Francisco pour un loyer plus modéré à San Diego, à la frontière mexicaine. Et puis les regards se sont tournés plus au sud pour trouver encore plus de soleil et des coûts de vie inférieurs. Le Mexique, les Caraïbes, le Costa Rica ou des villes comme Medellin en Colombie sont devenus des bases pour les nomades internationaux.

Du soleil et une vie moins onéreuse
Et l’Europe ? Il aura fallu attendre la crise du Covid pour un réel "changement de mentalité" sur le Vieux Continent, selon nos experts. Mais le retard se comble peu à peu : des endroits comme les îles Canaries, Madère ou encore le Portugal ont ainsi vu l’arrivée de milliers de nomades numériques ces derniers mois. Avec une même logique : celle de trouver plus de soleil, parfois la mer, du calme et une vie moins onéreuse qu’en Europe du Nord. Tout en gardant des revenus confortables et un même créneau horaire pour les rendez-vous par visioconférences.
Car dorénavant, à côté des indépendants de la tech, on retrouve aussi des salariés nomades, qu’ils soient comptables, commerciaux, responsables marketing ou même des professeurs qui donnent des cours à distance. "De nombreuses entreprises se sont rendu compte que le télétravail fonctionnait très bien et surtout qu’elles pouvaient économiser des frais fixes énormes de bureau, explique Guillaume De Dorlodot, co-fondateur d’une autre plateforme de coliving, Nomad Pass. "Ce concept où tout le monde doit être présent au bureau est débile : tu envoies un mail à ton collègue qui est 20 mètres plus loin. Autant le faire depuis chez soi. La question n’est plus où tu veux travailler, mais où tu veux vivre. Avant, c’était dans un rayon de 30 à 60 km du bureau, maintenant on peut élargir les distances".
Cette nouvelle flexibilité des patrons est aussi une manière de garder leurs meilleurs éléments. Un argument qui fait mouche, surtout auprès d’une génération - les milléniaux - qui donne plus d’importance à la qualité de vie qu’à des critères financiers.
Pas seulement réservé aux jeunes
S’il semblait réservé à des jeunes sans enfant, le nomadisme s’est aussi largement élargi avec la crise du Covid. "Il y a de plus en plus de travailleurs nomades âgés de plus de 50 ans, explique Emmanuel Guisset. On voit aussi apparaître des familles".
Pour le trentenaire, il y a trois types de nomades numériques. Les "purs et durs" qui n’ont plus de domicile fixe et changent de lieu de travail tous les deux ou trois mois ; ceux qui sont installés dans des grandes villes, mais qui télétravaillent plusieurs semaines, voire mois par an depuis des endroits plus "nature". Et enfin, il y a les voyageurs d’affaires qui ont besoin d’aller régulièrement de ville en ville. "Ce dernier segment a disparu, alors que les deux autres ont explosé", analyse le jeune Belge.
Car c’est aussi l’une des conséquences du Covid : les gens ont fui la ville pour la campagne, la mer, les grands espaces. Et cette tendance pourrait rester. "Des villes, comme San Francisco et New York étaient des destinations qui avaient beaucoup de succès pour le voyage d’affaires. On voit désormais que les gens se déplacent vers de plus petites villes car ils ont découvert qu’ils pouvaient faire pas mal de choses via visioconférences".

Accueillis à bras ouverts
L’amélioration des réseaux Internet à travers le monde a également boosté le nomadisme. Il est désormais possible de télétravailler en plein milieu de la jungle cambodgienne, par exemple. D’autant plus que ces nouveaux travailleurs sont accueillis à bras ouverts par les autorités des pays visités et ce pour une raison bien simple : ils rapportent de l’argent. Ces nomades numériques ne chipent pas les boulots des locaux. Au contraire ils en créent dans un secteur, le tourisme, qui a été ravagé par la pandémie du Covid. Différents pays comme la Thaïlande ou l’Estonie émettent ainsi des visas spécifiques pour ce type de travailleurs. Ponta do Sol, ville d’environ 10 000 habitants de l’île portugaise de Madère, vient d’inaugurer un nouveau centre pour le télétravail de plusieurs centaines de places, avec espaces de travail, wifi et aide à l’hébergement. L’île a bien compris les retombées économiques qu’elle pouvait tirer en devenant un centre européen pour ce type de travailleurs.
Que ce soit au Mexique, en Thaïlande, au Costa Rica ou au Cambodge, des hôtels, auberges de jeunesse ou des privés investissent désormais dans des espaces de coworking et une connexion Internet très efficace pour attirer cette nouvelle clientèle.
Mais s’il est attractif sur le papier, le nomadisme numérique a aussi de grands défis devant lui. Il reste ainsi des zones d’ombre au niveau de la fiscalité, des assurances et ou encore en termes de sécurité informatique.
Des employés partis sans prévenir
Au cours de nos entretiens, on nous a ainsi relaté le fait suivant : des employés britanniques qui télétravaillaient depuis deux mois depuis les îles Canaries, sans en avoir averti leur employeur, ont été rapatriés dare-dare à Londres par ce dernier. Le patron estimait ainsi que ces employés avaient mis en danger le système informatique de l’entreprise en se connectant d’endroits non sécurisés. Se pose aussi la question d’un monde du travail à deux vitesses : ceux qui peuvent télétravailler depuis des endroits de rêve et les autres dont la présence physique restera nécessaire.
Pour Guillaume de Dorlodot, on se dirige vers un système hybride avec deux à trois jours de présentiel par semaine dans des espaces de bureaux "plus petits et plus efficaces". "Avec l’accord de son entreprise, un employé pourrait, par exemple, prolonger son séjour de vacances en Italie d’une semaine ou deux pour télétravailler depuis ce lieu. Ce serait gagnant à la fois pour l’employé et l’employeur."