Mexique, Portugal, Toscane... Ces endroits où les télétravailleurs sont partis
Ces nomades numériques sont souvent indépendants, jeunes et actifs dans des secteurs où une présence physique au bureau n’est plus nécessaire.
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Publié le 19-02-2021 à 16h00 - Mis à jour le 28-02-2021 à 14h00
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Gaëlle, la coach tombée amoureuse du Mexique
Les plages de la Riviera Maya au Mexique ont connu une énorme vague ces derniers mois. Celles de milliers de Nord-Américains venus télétravailler depuis la côte caraïbe. "Les restrictions sont moins sévères au Mexique. Beaucoup d’habitants des États-Unis ou des Canadiens mis en télétravail ont préféré venir par ici plutôt que de vivre confinés chez eux. C’est un lieu qu’ils connaissent bien pour y passer des vacances", explique Gaëlle Lecourt, une Bordelaise qui est arrivée à Playa del Carmen pour la première fois en 2014.
Ces dernières semaines, la coach franco-américaine a vu défiler des professeurs venus donner cours en visioconférence pour leurs élèves restés aux États-Unis, des employés qui n’avaient pas prévenu leurs employeurs qu’ils travaillaient à distance depuis les plages mexicaines ou encore d’autres venus avec la ferme intention de rester au Mexique, quitte à faire l’école à la maison pour leurs enfants. "On voit aussi de plus en plus d’Européens. Cette crise du Covid a vraiment provoqué un déclic chez beaucoup de monde."

Le déclic, à trente ans, grâce à un Allemand
De quoi placer le Mexique comme un nouveau hub pour les nomades numériques, comme l’étaient déjà des destinations asiatiques comme Bali ou la Thaïlande. Gaëlle n’a, elle, pas attendu la pandémie pour succomber au charme de Playa del Carmen, au point d’avoir fait récemment sa demande de résidence aux autorités mexicaines. "J’ai beaucoup voyagé ces 6 dernières années et, un moment, c’est fatigant d’avoir le monde en option. J’ai tout mon réseau ici et j’ai envie de me poser." Il y a pire endroit pour le faire. "La qualité de vie est géniale ; il fait beau tout le temps. Pour 300 dollars, tu as un appartement avec piscine. J’ai un chef qui me fait à manger, je peux aussi aller au restaurant très régulièrement. Je gagne moins que quand j’étais scientifique mais je suis beaucoup plus libre et heureuse."
Le changement de vie a été radical pour cette ingénieure en agroalimentaire, envoyée en Suisse, puis aux États-Unis (à Cincinnati) par son employeur, une entreprise d’arômes alimentaires. "Je travaillais dans la recherche scientifique et c’était passionnant, mais après huit ans, je me suis rendu compte que si je voulais monter les échelons, cela devenait politique et non plus lié à ma compétence."
À l’époque, l’un de ses directeurs, un Belge, lui fait aussi prendre conscience qu’elle doit suivre sa voie. "J’avais à peu près 30 ans. J’ai pris des vacances au Mexique et, là, j’ai rencontré un Allemand qui faisait du travail par correspondance. Il était téléphoniste et répondait à des clients en Allemagne. C’était un job bien payé, car c’était considéré comme un travail de nuit." Le déclic se fait. "Je me suis donné neuf mois pour revenir ici. J’ai quitté mon job, vendu ma voiture et tout ce que j’avais aux États-Unis." Cette démarche inquiète l’entourage de Gaëlle. "On me disait : tu as un diplôme d’ingénieur et tu ne vas pas l’utiliser, qu’est-ce que tu vas aller faire là-bas ?" La trentenaire prend alors du recul sur "sa vie d’avant" et trouve ce qu’elle veut faire : devenir coach professionnelle en ligne. "J’ai fait des interviews pour voir si cela me plairait vraiment. J’ai voyagé régulièrement au Mexique. Je voulais voir comment c’était à toute époque de l’année."
Entre les États-Unis et l’Europe
Pendant plusieurs années, Gaëlle fait des allers-retours entre les États-Unis, où est domiciliée son entreprise, la France, où se trouve sa famille, et le Mexique. Elle tente aussi de s’installer à Bali, est attirée par les îles Canaries, pour finalement revenir à ses premiers amours : Playa del Carmen. "Cet endroit est un bon mélange entre les États-Unis et l’Europe. Je m’y sens bien."
Elle vit sa vie entre l’importante communauté des expatriés et les locaux. En perte de touristes, les hôtels et autres auberges de jeunesse accueillent à bras ouverts ces nouveaux nomades numériques. "Beaucoup de Mexicains ont compris qu’il fallait investir dans une bonne connexion Internet pour garder ces nouveaux arrivants le plus longtemps possible." Gaëlle veut désormais inspirer d’autres à suivre sa voie. "J’aide les femmes qui veulent commencer leur propre business en ligne pour pouvoir être libres de voyager comme moi." Selon elle, la crise du Covid a rendu possible ce qui paraissait impossible auparavant. "Certaines personnes se disent désormais ‘pourquoi je n’essaierais pas ?’ Ce n’est peut-être pas pour la vie mais pour un moment qu’on se lance dans cette aventure."

Caroline, salariée pour un employeur belge, travaille depuis la Toscane
Caroline (nom d’emprunt) travaille pour un employeur belge depuis un petit village de Toscane en Italie. Pour des raisons personnelles, elle désire garder l’anonymat. “J’ai toujours aimé voyager et particulièrement en Italie, explique la doctorante en littérature italienne. Rome, Gênes et la Toscane : la trentenaire fait des allers-retours entre la Belgique et la botte italienne depuis plus de 15 ans.
En 2016, elle décide de s’installer avec son compagnon dans un village toscan. Tout en continuant de travailler à distance pour une association culturelle en Belgique. “Je m’occupais essentiellement de la gestion administrative et ma présence n’était pas essentielle au bureau”, explique la jeune maman. Une situation tout à fait gérable selon elle. “ Certaines personnes ne se rendaient même pas compte que je téléphonais depuis l’Italie. La fin des frais de roaming en Europe a facilité cette possibilité. Je m’organisais aussi pour revenir de temps en temps en Belgique pour certains rendez-vous indispensables”. Avec la crise du Covid, Caroline est restée confinée avec sa petite famille en Italie. Elle a aussi décidé de changer de job. Elle travaille désormais dans la communication sociale mais son employeur est toujours basé en Belgique. “J’ai fait tout ce changement, l’entretien d’embauche et même la signature du contrat à distance depuis l’Italie. Mon nouveau patron connaît ma situation et est très compréhensif par rapport à cela”.
Même si ses proches lui manquent en Belgique, la jeune femme compte faire sa vie en Toscane. “Parfois je me sens déconnectée, surtout quand les mesures sanitaires évoluent différemment entre la Belgique et l’Italie. J’ai envie de régulariser ma situation en demandant la résidence en Italie, notamment pour avoir accès à des soins de santé, mais je veux garder un lien professionnel le plus longtemps possible avec la Belgique. C’est très compliqué de trouver un boulot ici, surtout dans le secteur culturel”.

Virginie donne ses conseils alimentaires depuis Fuerteventura ou Biarritz
Il fait plus de 20 degrés à Fuerteventura et le soleil brille. C’est ici au cœur des îles Canaries que Virginie Timmermans, 34 ans, “reçoit” ses clients belges via écrans interposés. La jeune Brabançonne est coach alimentaire. Une vocation née suite à des problèmes de santé. “Aucun médecin n’arrivait à trouver ce que j’avais. J’ai été bombardée de médicaments”, se souvient-elle.
Elle décide alors de suivre une formation de profilage alimentaire.
“J’ai découvert mon profil et j’ai compris comment je devais m’alimenter pour que tout rentre dans l’ordre”. Depuis, cette diplômée en marketing de l’Ihecs conseille tout un chacun désirant améliorer son alimentation. Et elle le fait depuis Biarritz, Lisbonne ou les îles Canaries depuis plus d’un an. “J’ai toujours aimé voyager, découvrir des endroits différents, parler différentes langues, rencontrer d’autres cultures. J’ai quitté mon appartement à Bruxelles en janvier dernier. J’ai encore un pied à terre en Belgique mais c’est provisoire. L’idée est de continuer cette vie pendant six mois, un an et puis de faire le point”. Virginie vit sa vie de nomade à fond, passant d’espaces de coliving à d’autres. Avec un rythme de travail assez strict pour pouvoir mieux profiter des soirées et des week-ends. “Ici ou ailleurs, peu importe. Je suis ouverte au monde, explique-t-elle. J’ai envie de trouver des endroits au soleil, près de la mer et, si possible, où l’on peut faire du surf”.
Le parcours de Virginie vogue aussi en fonction de ses rencontres qui l’inspirent, lui donnent de nouvelles idées. “Ici aux Canaries, j’ai fait la connaissance d’un ostéopathe français qui m’a proposé de travailler avec lui. Je plante des petites graines un peu partout et je regarde ce que cela donne.” A priori, la coach devrait quitter les Canaries fin mars. Sa prochaine étape pourrait être Bali, le Mexique, ou l’Australie. “ Cette vie est permise quand on n’a pas d’enfants, pas d’emprunt hypothécaire, etc. Si dans cinq ans, je suis mariée avec des petits bouts, je serai sans doute plus sédentaire ; même si j’adorerais pouvoir continuer à voyager avec des enfants”. Le business du bien-être alimentaire a connu un boom avec la crise du Covid. “ Les gens ont pris le temps de prendre soin d’eux, de revenir à l’essentiel. Ils ont aussi compris l’intérêt des consultations par visioconférence”. Le fait de consulter à distance serait même une plus value. ” Je fais voyager mes clients avec moi et leur montre que je les suis en coaching depuis n’importe où. Cela crée une chouette relation même en dehors de l’assiette”. Professionnellement très présente sur les réseaux sociaux, Virginie s’est toutefois restreinte ces derniers mois. “ La situation est difficile en Belgique pour beaucoup de monde et je me vois mal poster des photos sur la plage pour le moment. Mais cela reviendra !”

Jimmy-John, du van au Portugal au projet d’une vie de nomade en famille
Jimmy-John Goor, 36 ans, est un fervent adepte du nomadisme numérique. Il a ainsi séjourné dans différents endroits d’Europe du Sud ces dernières années. “Ce que je cherchais surtout, c’était la liberté et la flexibilité. Quand vous arrivez dans des lieux de coliving comme Outsite, vous êtes immédiatement rajouté au groupe Whatsapp avec les hôtes du moment. Vous avez l’avantage de faire partie d’une communauté et d’être invité à des expériences proposées par d’autres membres.” Jimmy-John a des étoiles plein les yeux quand il raconte ses souvenirs de nomade. “Je me suis retrouvé un soir dans un afterwork sur un toit à Lisbonne à discuter avec un business angel, qui a ses bureaux sur la 5e avenue à New York, un Argentin et deux Suédoises. L’expérience n’est pas la même que si vous étiez dans des bureaux le long d’une autoroute à Zaventem. Le nomadisme permet d’aller à la rencontre d’autres cultures.”
Selon lui, les espaces de coliving ont changé la donne, permettant un confort pour les nomades qui n’existait pas auparavant. “J’ai fait un voyage boulot en van au Portugal. Disons que j’étais content de rentrer pour pouvoir prendre une douche.”
Aujourd’hui, le jeune homme, papa d’un fils de quatre mois, s’est sédentarisé à Bruxelles. Mais ce n’est que temporaire. “J’ai l’intention de repartir avec ma famille. J’y pense tous les jours. Je suis salarié dans une agence de communication, mais ce lien de subordination est contre-nature. Je développe une activité en indépendant me permettant d’être plus libre et de redevenir nomade à long terme. L’idéal serait d’avoir un système hybride.”
Selon Jimmy-John, le nomadisme pose la question du sens du travail en présentiel. “Comme le décrit très bien la philosophe Julia de Funès, travailler pour travailler n’a aucun sens. Travailler pour vivre a un sens. Le télétravail et le nomadisme modifient notre rapport au travail, lui redonnent sa juste place. Le travail se domestique et la vie prend le dessus sur le travail. Il devient un moyen au service de la vie.”
D’après le trentenaire, il existe une certaine “théâtralité du travail” en présentiel. “Cela fait bien de se promener dans les bureaux avec un classeur sous le bras. Ce qui occupe une part du carburant mental. Et quel est encore le sens des déplacements quotidiens pour aller et venir du bureau, surtout pour une activité qui ne nécessite pas d’être présent sur place ?”