IA et big data : "Avec l’impact que N-Side a aujourd’hui, je suis devenu l’inventeur que je voulais être"
En créant N-Side en 2000, Philippe Chevalier, professeur à Louvain School of Management, a donné naissance à une pépite dont on n'a pas fini de parler.
Publié le 15-04-2021 à 11h38 - Mis à jour le 16-04-2021 à 09h58
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Libre Eco week-end | Le face et profil
L’aventure N-Side a démarré dans un bureau situé Place de l’Université, à Louvain-la-Neuve. Ils étaient alors trois à bord de N-Side, spin-off créée avec le soutien de l’UCLouvain : Philippe Chevalier, Yves Pochet et une jeune chercheuse. Vingt ans plus tard, seul le premier est toujours là. Celui qui enseigne à la Louvain School of Management aurait pu jeter l’éponge à plusieurs entreprises, tant le parcours de N-Side a été chahuté. Mais l’homme, à l’évidence, est persévérant. La spin-off, spécialisée dans les techniques d’optimisation de processus industriels, s’est vite retrouvée en mauvaise posture. "En 2004, Yves Pochet est parti et je me suis retrouvé un peu seul. La société était en fonds propres négatifs, mais je ne voulais pas lâcher l’affaire. Je sentais que ça finirait par marcher." Parrainé à l’époque par François le Hodey (avec qui il avait fait connaissance au MIT de Boston), Philippe Chevalier va convaincre le patron du groupe de médias IPM de s’impliquer davantage et d’investir dans le projet. "Philippe est un vrai scientifique, un vrai entrepreneur et un vrai homme de bien. J’ai décidé de lui faire confiance", raconte M. le Hodey, admiratif d’un "fort en maths, qui a cette qualité rare de savoir faire le lien entre l’approche scientifique universitaire et le monde économique réel."
Visionnaire sur l’analyse des big data et l'IA
Philippe Chevalier, spécialisé en modélisation mathématique et recherche opérationnelle, confesse que son rêve de jeunesse était d’être inventeur. "Probablement que la combinaison entre professeur et entrepreneur est la version moderne de l’inventeur", dit-il avec le sourire. Il a aussi la caractéristique d’être précurseur. Lorsque N-Side fut créée en 2000, le monde des grandes entreprises ignorait encore, très largement, en quoi les modèles mathématiques, l’analyse des big data et les algorithmes d’intelligence artificielle allaient révolutionner leur business.
Il raconte volontiers qu’avant même de se lancer, il avait travaillé sur plusieurs projets de recherche pour des entreprises. "C’est là que j’ai pris conscience qu’il y avait un chaînon manquant entre la recherche et l’industrie. Alors qu’on leur donnait tout ce qu’il fallait pour faire tourner nos modèles d’optimisation, les entreprises revenaient assez vite en disant qu’elles ne s’en sortaient pas. C’est là qu’on a décidé de le faire nous-mêmes". Aujourd’hui, data analytics et IA sont devenues des composantes essentielles dans de très nombreux secteurs.
Entreprendre, mais avec impact
Philippe Chevalier aurait-il vu juste trop tôt ? Sans doute. En tout cas, il a dû être patient et déterminé. Les clients n’ont pas afflué du jour au lendemain, loin de là. N-Side a aussi usé plusieurs CEO avant de trouver celui qui allait permettre à la pépite néolouvaniste de décoller. Ce n’est qu’en 2014, avec l’arrivée de Jacques Parlongue aux manettes de l’entreprise et l’ouverture du capital à plusieurs pointures belges (Jean Stéphenne, Jacques van Rijckevorsel, Gaëtan Hannecart…), que N-Side va changer d’échelle.
Pas plus tard que le mois dernier, une augmentation de capital de 10 millions d’euros est venue donner un nouveau coup d’accélérateur. N-Side ne craint plus d’afficher des objectifs dignes des "boîtes" tech les plus ambitieuses (150 collaborateurs à la fin de cette année, +50 % de croissance par an, 100 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2025, etc.).
Excellence dans la santé et l'énergie
Mais ce qui caractérise peut-être le mieux Philippe Chevalier, c’est sa vision de l’entrepreneuriat. "Ce qui me motive avant tout, c’est la recherche qui peut avoir des applications dans la vie réelle, avec un impact économique et sociétal tangible." Ce n’est probablement pas un hasard si N-Side, dont il est aujourd’hui président et premier actionnaire, s’est construit une réputation d’excellence dans deux domaines bien précis : la santé et l’énergie. Plus de la moitié des entreprises composant le top 20 mondial de l’industrie pharmaceutique utilise aujourd’hui les algorithmes d’optimisation de N-Side pour leurs essais cliniques ! L’entreprise est par ailleurs devenue une référence sur le marché européen de l’électricité grâce à un algorithme (utilisé par un consortium de 19 bourses européennes) qui permet de calculer, chaque jour, les tarifs et les volumes d’électricité pour les prochaines 24 heures sur l’ensemble du réseau européen.
Dans les deux cas, on retrouve une même préoccupation, qui est de réduire les gaspillages et d’optimiser l’utilisation de ressources rares. Et si, par cette vision d’un développement plus durable, N-Side permet aussi à ses clients d’engendrer d’énormes économies financières, ce n’est que du bonus !
“Je ne sens pas assez de fierté en Wallonie”
La Wallonie a-t-elle changé entre 2000, année de la fondation de N-Side, et aujourd’hui ? Philippe Chevalier hésite quelques instants avant de répondre. “On va dans la bonne direction, avance-t-il prudemment. Il y a quelques success stories. Certains ont parlé de “Wallifornie” à propos du Brabant wallon. Mais a-t-on vraiment l’ambition de devenir la Californie de l’Europe ? Je ne sens pas assez de fierté régionale. Pourtant, il y a de quoi être fier. Les biotechs sont un bel exemple.”
CV de Philippe Chevalier
14 juin 1965 : naissance de Philippe Chevalier.
1983-88 : études d’ingénieur civil, mathématiques appliquées, UCLouvain.
1988-1992 : doctorat en recherche opérationnelle au MIT (États-Unis).
À partir de 1994 : professeur à Louvain School of Management (LSM).
Depuis 2000 : cofondateur et président de N-Side.