Béatrice Delfin Diaz, présidente des femmes chefs d’entreprises : "Les femmes doivent évacuer ce syndrome de l’imposture"
Béatrice Delfin Diaz, Présidente de FCE (femmes chefs d’entreprises) est l'invité éco.
- Publié le 05-06-2021 à 14h03
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La nouvelle présidente, depuis le mois de mars, de l’antenne belge de l’association internationale des femmes chefs d’entreprises l’annonce d’emblée : “J’ai un parcours atypique, éclectique et une âme de self made woman”, à l’image de la plupart des membres. Même si ce n’est qu’en 2013, “après un bébé et un break de 9 mois”, qu’elle se lance comme indépendante et crée, avec sa sœur jumelle, fondatrice d’OmniVAT Consulting, la Tax&Legal Academy, où elle travaille en tant que Compliance Director. “Un ‘big 4’ à taille familiale (6 personnes), versé dans la TVA, les douanes… avec des clients belges et internationaux, basés en Australie, à Dubaï, etc.”, résume-t-elle.
Si Béatrice Delfin Diaz évoque les “Big 4”, c’est qu’elle les a pratiqués avant 2013, à une époque d’ailleurs où ils étaient encore les “Big 5”. “Dans la consultance, la communication, les relations publiques ou humaines chez Andersen Consulting entre autres, dit-elle, avant de passer chez Siemens et dans le secteur public.”
Dans le duo “très complémentaire” qu’elle forme avec sa sœur, elle s’occupe davantage de business development, de communication et de compliance. C’est donc tout naturellement qu’elles se sont retrouvées, ensemble, il y a plus de trois ans, chez FCE, y montant chacune leurs propres échelons, l’une à Bruxelles, l’autre du côté de Namur. Aujourd’hui, Katia est trésorière et vice-présidente Bruxelles, Béatrice présidente nationale, 11e du nom. Bien décidée à “dynamiser davantage le réseau, le rapprocher du monde politique, des autres associations féminines et des acteurs économiques”.
Vous présidez l’association belge des Femmes Chefs d’Entreprises (FCE). Quelle est leur situation ? S’est-elle dégradée avec la crise sanitaire ?
Il y a très peu de statistiques genrées. Je dirais que jusqu’en mars 2020, elle s’améliorait. Même si les femmes sont toujours sous-représentées dans le top management : moins de 20 %, tous secteurs confondus. Et même si les salaires sont loin d’être égaux : un CEO homme gagne 17 % de plus qu’un CEO femme. La crise a creusé les inégalités entre hommes et femmes en matière de pertes d’emploi, de salaires, de pensions. Mais elle a aussi creusé les inégalités entre employés et indépendants. Les gouvernements fédéral et régionaux auraient pu faire plus pour les indépendants, qui n’ont pas bénéficié d’un chômage économique et de l’assurance d’avoir 60 à 70 % de leur salaire comme les employés.
Mais ils ont eu un droit passerelle…
Sauf que celui-ci n’est pas proportionnel au salaire mais est fixe, quelle que soit la taille de l’entreprise : petit épicier de campagne ou grand restaurant.
En matière d’égalité hommes/femmes, où se situe la Belgique sur la carte du monde ?
En milieu de peloton. On est un élève moyen. Meilleur que les pays d’Amérique du Sud, mais moins bon que les pays scandinaves où beaucoup plus de femmes atteignent des postes de top management et où les salaires sont plus égalitaires : vous ne pouvez pas y payer plus un homme qu’une femme. La France fait mieux aussi, ayant, il y a dix ans déjà, imposé un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administrations des sociétés de plus de 250 salariés. Avec toutefois l’aberration que dépasser ce quota est… illégal. La mairie de Paris en a fait le triste constat (en 2018, sur les 16 nominations de directeurs et sous-directeurs, 11 étaient des femmes, 5 des hommes, NdlR). Cela montre l’absurdité de la pensée : pourquoi ne pourrait-il pas y avoir plus de femmes au pouvoir ?
Quelles mesures préconisez-vous pour accélérer le rééquilibrage ? Les quotas sont-ils la solution ?
Ce n’est pas la seule solution, mais je suis pour les quotas. Au sein de toutes les entreprises, il y a suffisamment de ressources, tant en hommes qu’en femmes, pour y arriver. Mais ces quotas ne sont valables qu’à niveaux de compétence identiques. Je ne suis pas d’accord de mettre une femme incompétente à un poste, parce qu’elle est femme. Mais à compétence égale, je pense qu’il faut prendre une femme plutôt qu’un homme.
Pour l’exemple ?
Avant tout parce qu’il faut donner la chance aux femmes d’accéder à ces postes-là. Mais aussi pour que les mentalités changent, qui sont encore trop patriarcales. Même si l’on voit que les jeunes s’émancipent davantage. Il faut davantage communiquer sur le rôle des femmes dans l’entreprenariat. Les motiver. Les femmes ne doivent pas avoir peur. Elles doivent évacuer ce syndrome de l’imposture : elles ne pensent pas être légitimes et elles ne savent pas imposer leurs revendications salariales.
Faudrait-il légiférer ?
Absolument. La FCE va revenir à la charge pour faire avancer ces questions d’inégalités salariales et de pensions entre autres.
Quelles seraient les autres mesures à prendre ?
Le challenge des femmes, c’est de concilier vie professionnelle et vie privée. Il faut donc que les services suivent : ouverture tardive des crèches et des garderies d’école, par exemple. Il faut aussi qu’il y ait davantage de partage des tâches entre hommes et femmes. Cela implique que l’éducation soit moins genrée dès le berceau. Il faut casser les stéréotypes : layettes rose et bleu, poupées et petites voitures… Car c’est davantage dans l’éducation qu’à l’école qu’ils émergent.
Pensez-vous qu’il soit possible d’imposer des quotas dans les PME ?
Cela dépend des secteurs, mais je dois reconnaître que non. Très certainement pas dans les entreprises familiales. La solution, c’est de faire l’apologie du bénéfice des équipes multiculturelles et mixtes hommes/femmes. Leurs performances sont meilleures. C’est le constat de l’étude McKinsey réalisée en 2018 aux États-Unis : 21 % de performances en plus pour la diversité de genre, et 33 % pour la diversité ethnique.
Les politiques belges ont-ils une oreille attentive, une bonne perception de l’entreprenariat au féminin ?
Une oreille attentive, oui, et une réelle intention de le soutenir, tant dans le chef de Denis Ducarme, avec qui j’ai collaboré dans le passé, que de David Clarinval, que j’ai rencontré virtuellement. Cela débouche sur des actions concrètes. Mais ils n’ont pas de baguettes magiques…
De quelles actions parlez-vous ?
Par exemple, le projet Fer de Lance qui s’est terminé en 2020 soutenu par le SPF Economie ou l’appel à projets de Hub. Brussels pour une internationalisation des sociétés de services. La FCE y a participé et vient de lancer “shexport”. Avec des capsules vidéo témoignant de succès ou, au contraire, d’échecs, des ateliers de formation pour accompagner nos membres dans leur stratégie digitale et pour les motiver à l’export : management agile, digitalisation, actualités fiscales…
Les femmes manquent de visibilité ?
Oui, dans les médias, les cercles d’affaires, etc., la présence féminine est sous-dimensionnée. Or, il est important qu’elles aient un rôle et le montrent. Car quand une femme se lève, elle se lève pour toutes les femmes et pas seulement pour elle-même.
À qui pensez-vous en particulier ?
À Ilham Kadri, la CEO de Solvay, qui défend l’inclusion dans la diversité (des genres, des modes de pensées, des personnalités…). À Kamala Harris dont l’accession à la vice-présidence des États-Unis peut, comme elle l’a dit, faire rêver les petites filles. À Christine Lagarde. À Sophie Wilmès. Toutes, elles se montrent beaucoup, sont médiatisées.
“En Belgique, 80 % des congés Corona étaient pris par des femmes”
Qui sont les membres de l’association FCE et quel est leur nombre ?
Crise oblige, il y a eu énormément de pertes de membres l’an dernier. Nous sommes aujourd’hui plus de 100, mais nous comptons bien redynamiser le réseau avec un vaste plan de communication et d’actions bien ciblées. Pour faire partie du réseau, la future membre doit envoyer sa candidature au CA pour validation. Nous ne voulons pas d’un réseau où l’on ne retrouve qu’un ou deux types de profils. La mixité et la diversité sont une richesse. Nous devons être sélectives. En termes de secteurs, il y a de tout : droit, fiscalité, communication, coaching, douane, Horeca, bijoux… C’est que l’objet de l’association FCE est de promouvoir l’entreprenariat au féminin, de le pérenniser, de défendre le droit des femmes au travail, de faire remonter les préoccupations et les difficultés de nos membres sur le terrain… C’est un réel honneur de porter les valeurs de cette association. Davantage encore aujourd’hui qu’hier. Comme le citait Simone de Beauvoir, “il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis”.
La crise du Covid a-t-elle davantage touché les chefs d’entreprises féminins que masculins ?
Oui, tous statuts confondus, elle a davantage touché les femmes que les hommes : 2,2 millions de femmes ont perdu leur travail lors du premier confinement et à peine 50 % ont repris le travail contre plus de 70 % des hommes. En Belgique, 80 % des congés Corona étaient pris par des femmes. Difficile pour une maman d’être performantes en télétravail avec des enfants. Soit dit en passant, je n’ai pas compris pourquoi les primes “Enfants à la maison” et “Droit passerelle” ne pouvaient pas être combinées.
Y a-t-il, selon vous, un style de management féminin ?
Non, l’entrepreneuriat tout comme le leadership ne sont pas genrés en soi. Tout au plus peut-on dire que, peut-être, il y a plus d’empathie chez une femme, qu’elle a davantage la capacité de se mettre à la place des autres, d’être à l’écoute.
Les femmes chef d’entreprise engagent-elles plutôt des femmes ?
Pas spécialement. C’est la compétence qui prime. Les femmes ne sont pas pistonnées par d’autres femmes. Mais sans doute y a-t-il parfois des affinités qui jouent.
Avez-vous des “startuppeuses” parmi vos membres ?
Oui, sans que ce soit un raz-de-marée. C’est un signal encourageant. L’une est active dans l’Horeca et l’autre dans le secteur des datas et la digitalisation. Elles ont toutes les deux souffert de la crise mais ont tenu bon et se réjouissent de cette reprise, certes lente, mais bien présente. Les jeunes sont plus indépendants, plus autonomes, plus francs que nous l’étions à leur âge.
Il y aurait moins de barrières pour eux ?
Non, c’est tout simplement plus naturel pour eux de vouloir créer leur boîte. C’est même une tendance, je pense. Cependant, ils et elles feront face aux mêmes questions que tout entrepreneur.e a en créant sa société.