Les salaires de misère du personnel de l’avion VIP des Diables rouges: "Même le personnel de Ryanair est mieux payé"

Durant tout ce périple, notre équipe nationale volera sur un avion affrété par la société anversoise Aviation Factory, avec qui la Fédération royale belge de football a déjà travaillé. "L’avion est un Boeing 737 qui est entièrement dédié aux Diables rouges et restera avec eux où ils seront tant qu’ils seront encore dans la compétition, explique Luc van de Logt, broker pour Aviation Factory. S’ils vont jusqu’en finale, ce sera donc un mois de contrat. L’avion ne nous appartient pas. Nous sommes une société de brokers et faisons appel à d’autres compagnies. Nous avons été sollicités par la Fédération belge de football et, en fonction de leurs critères, nous avons trouvé la meilleure option sur le marché."

D’après nos informations, la compagnie choisie par Aviation Factory est Klasjet. Ce transporteur lituanien est spécialisé dans les vols VIP, notamment pour les équipes sportives ou les délégations gouvernementales, et possèdent les avions, des Boeing 737 de 50 à 60 places avec tout le confort voulu par la Fédération belge pour ses joueurs et son staff. Le contrat est de type "wetleasing". La Fédération de football paie ainsi un forfait pour disposer de l’avion, ainsi que de son équipage et ne doit pas s’occuper des autres frais, comme le traitement des bagages, par exemple.

Des salaires allant de 540 à 1 300 euros bruts

Mais si le confort sera au rendez-vous pour notre équipe nationale, on ne peut pas dire qu’il en soit autant pour l’équipage qui les servira à bord. La compagnie lituanienne paie ainsi ses hôtesses et stewards entre 540 et 1300 bruts par mois- pour un temps plein et en fonction des heures de vol prestées - selon des offres d’emploi parues sur des sites spécialisés.

Contacté par La Libre, Klasjet réfute ces chiffres. Nous soumettons à la compagnie une offre parue sur un site enregistré en Roumanie et qui propose au postulant (e) de "se construire en explorant le monde avec Klasjet. Soyez un mannequin, un artiste, un sommelier et un globe-trotter en faisant partie d’une équipe expérimentée de personnel de cabine VIP qui voyage avec des célébrités de premier plan, des sportifs, des officiels gouvernementaux ou des dirigeants d’entreprises mondiales". Le tout pour un salaire débutant à 540 euros bruts mensuels. "Cette annonce n’a rien à voir avec nous", explique Vilma Vaitiekunaite, responsable communication de la compagnie lituanienne. Nos avocats sont en contact avec le site en question car Klasjet n’a jamais publié cette offre d’emploi". L’annonce a depuis disparu du site. La compagnie refuse par ailleurs de dévoiler le salaire de son personnel de bord qui est basé à Vilnius. "Nous avons signé un accord de non-divulgation et nous ne sommes pas autorisés à faire des commentaires à ce sujet", poursuit la responsable de Klasjet.

En faisant quelques recherches sur Internet, nous constatons toutefois que la compagnie lituanienne propose exactement les mêmes salaires sur d’autres sites de ce type. Ce qui n’aurait rien d’étonnant : le salaire minimum est de 600 euros bruts en Lituanie, tandis que le salaire moyen est proche des 1300 euros. Sans oublier qu’avec la crise du Covid, beaucoup de compagnies aériennes ont tiré significativement les conditions de travail de leurs employés vers le bas. On est donc très loin des 1800 euros minimum imposés dans le secteur aérien en Belgique.

"Refusez de voler avec cette compagnie"

"Même le personnel de Ryanair est mieux payé", s’indigne Eoin Coates, responsable aviation de la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF). "C’est du dumping social comme cela se passe dans le transport routier : on va chercher des équipages à très bas salaires pour réduire les coûts dans des marchés qui ont des standards supérieurs. On oublie que les syndicats belges et d’autres pays se sont battus pendant des années pour pouvoir obtenir ces meilleures conditions de travail."

Au nom de l’ETF, M. Coates demande aux Diables rouges de ne pas monter à bord du Boeing de la compagnie lituanienne. "Lors de ce championnat d’Europe, les travailleurs actifs dans le transport en Belgique vous encourageront lors de vos matchs. Nous vous demandons de prendre position en faveur des travailleurs des transports d’Europe et de refuser de voler avec cette compagnie Klasjet à travers toute l’Europe."

La déception de Brussels Airlines et son avion Trident

Beaucoup se demandent aussi pourquoi la Fédération belge a fait ce choix alors que l’un de ses partenaires commerciaux, Brussels Airlines, possède un Airbus A320, le Trident, entièrement peint aux couleurs de notre équipe nationale. "Nous aurions aimé pouvoir transporter les Diables tout au long de cet Euro comme nous l’avons déjà fait lors d’autres compétitions, explique Wencke Lemmes, porte-parole de la compagnie belge. Mais nous n’avons pas à juger le choix de la Fédération."

Du côté de cette même Fédération de football, on explique qu’il y avait un problème de "disponibilité" de l’avion de Brussels Airlines et on insiste sur le "confort" voulu pour les joueurs lors de ces voyages européens.

Le Trident est un avion conçu pour des vols commerciaux classiques, pas VIP, comme le sont les avions de Klasjet. "Les Diables rouges ont certaines demandes par rapport à ces voyages en avion, par exemple en termes de nourriture à bord ou à l’aéroport, qui seraient impossibles à contenter si vous prenez un vol classique", développe Luc van de Logt d’Aviation Factory.

"Une guéguerre ridicule et stérile entre aéroports"

C’est dans cette même optique de confort pour les joueurs que la Fédération a choisi l’aéroport de Charleroi plutôt que celui de Bruxelles. "Nous voulons éviter les embouteillages qu’il pourrait y avoir entre Zaventem et notre centre de Tubize", explique le porte-parole Pierre Cornez.

Le terminal VIP de Charleroi, d’où partiront les Diables rouges, permettrait ainsi d’éviter les contacts avec les autres passagers et de respecter au maximum cette bulle sanitaire que l’équipe nationale doit instaurer durant toute la compétition.

Mais ce choix d’aéroport fait aussi grincer des dents à Zaventem, lieu habituel de départ des Diables.

Permanent de la CNE, Didier Lebbe estime qu’il aurait été plus judicieux de choisir Brussels Airlines, compagnie "dans laquelle la Belgique a investi des millions d’euros".

Et cela peu importe d’où part l’avion. "Je trouve regrettable l’attitude des politiques dans cette guéguerre ridicule, stérile et contre-productive entre les aéroports belges. Imagine-t-on une seconde, l’équipe nationale française voler sur une compagnie étrangère VIP low cost plutôt qu’Air France pour un tournoi de cette envergure ?", conclut-il.