La start-up wallonne Aerospacelab envoie son premier satellite dans l'espace depuis Cap Canaveral
Arthur, le premier micro-satellite d’Aerospacelab, doit être lancé ce vendredi. Benoît Deper, fondateur et CEO, explique l’objectif de cette mission inaugurale. La start-up brabançonne a de grandes ambitions.
- Publié le 25-06-2021 à 06h35
- Mis à jour le 13-07-2021 à 17h44
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Mercredi, 15 heures. Nous avons rendez-vous à l’Axis Parc de Mont-Saint-Guibert avec Benoît Deper, fondateur et CEO d’Aerospacelab. Dans un peu plus de 48 heures, cet ingénieur de 35 ans passé par la Nasa et l’ESA (l’Agence spatiale européenne), aura les yeux braqués sur Cap Canaveral, en Floride. La fenêtre de tir de la fusée Falcon 9 est fixée ce vendredi, entre 20 h 56 et 21 h 54 (heure belge). Sauf imprévu, le lanceur réutilisable de SpaceX décollera avec une cinquantaine de satellites à son bord dans le cadre de la mission Transporter-2. Parmi eux, il y aura Arthur, un satellite de 20 kg entièrement conçu, développé et fabriqué par Aerospacelab.
Comment vous sentez-vous à J-2 du lancement ?
Je ressens, d’abord, de la satisfaction. C’est le fruit d’un gros travail d’équipe depuis le démarrage de la start-up en mars 2018, avec les cinq premiers employés. La pression, on ne l’a pas vraiment lors du lancement de la fusée. Elle se situe surtout lorsque le satellite a quitté nos locaux de Mont-Saint-Guibert pour rejoindre SpaceX en Floride. Même s’il s’agit d’un CubSat U12 (un micro-satellite de 226 x 226 x 340 mm, NdlR), l’envoyer en Floride n’a pas été simple. En raison de la crise sanitaire, il a fallu tout organiser à distance. Ça a pris trois semaines pour qu’il arrive chez SpaceX. Cette période a été assez stressante. Le lancement reste un moment délicat, mais SpaceX a déjà organisé près de 130 missions avec le lanceur Falcon. Ils commencent à avoir l’habitude.
Il n'y aura aucun représentant de l'Aerospacelab à Cap Canaveral ?
Non. C’est un peu dommage. Une fois que le satellite sera mis en orbite basse, à 450 kilomètres d’altitude, ce sera à nous de prendre le contrôle. Tout se fera depuis Mont-Saint-Guibert. Ce sera un autre moment de gros stress. Dans la nuit de vendredi à samedi, on devrait entrer en contact avec notre satellite. Nous pourrons alors commencer à dialoguer avec lui. Mais, à ce moment-là, si c’est silence radio, alors on sera très mal parti…

Une fois que le contact est établi, Arthur sera immédiatement opérationnel ?
L’objectif de la mission est de vérifier, une par une, toutes les fonctionnalités du satellite. On attendra que ce check soit terminé pour allumer le moteur du satellite. Il nous faudra sans doute quelques semaines pour bien l’apprivoiser et s’assurer que tout fonctionne bien. C’est un vol de démonstration. Il est important de pouvoir dire à nos futurs clients qu’il fonctionne mais aussi de leur fournir des mesures précises de ses performances dans l’espace et non plus dans un laboratoire (rendement des panneaux solaires, vitesses de téléchargement, fonctionnement de la radio, etc.). On a aussi mis quelques capteurs pour vérifier le fonctionnement.
En quoi votre micro-satellite innove-t-il ?
Tout dépend avec qui on se compare. Mais on l’a vraiment pensé comme un prototype qui, demain, pourra déboucher sur la fabrication de masse d’un satellite “low cost” et à hautes performances. Dans notre modèle d’intégration verticale, on a très peu de fournisseurs. On a internalisé pratiquement toute la conception, le développement et la fabrication du satellite et de la plateforme. La plupart des satellites belges, et même européens, sont le résultat d’un consortium de plusieurs intervenants. Pour Arthur, on peut revendiquer 80 % de la paternité. On peut donc considérer qu’il s’agit du premier satellite belge destiné à une activité commerciale.
Quelles sont les prochaines étapes pour Aerospacelab ?
On est en train d’assembler un satellite de la même gamme qu’Arthur pour l’ESA. Il devrait être prêt pour la fin de l’année. Ensuite, on passera à une gamme de plus gros satellites, avec un poids compris entre 100 et 300 kg. On a déjà deux premiers clients privés et on espère pouvoir lancer le premier à la fin 2022. On ressent vraiment, depuis quelques mois, une forte attraction pour ce type de satellite. On reçoit au moins un appel par semaine de personnes qui veulent des infos sur nos satellites. Avec ce premier vol, on sort de l’ombre. On passe de la boîte PowerPoint à une boîte qui met un satellite en orbite. Dans le secteur, c’est perçu comme une grosse transition.
Vous n'avez pas trop d'inquiétudes par rapport à la demande pour vos satellites ?
On est bien positionné. Aujourd’hui, Aerospacelab est le seul acteur, en Europe, à être compétitif sur la gamme des satellites de 100 à 300 kg. On doit même plutôt anticiper un “scale-up” de notre activité. Au début, on partait sur la production de 4 ou 5 satellites par an. On a, ensuite, revu notre prévision à 24 unités par an. Désormais, on est au moins sur 100 satellites par an. Tout ça implique de redimensionner notre future ligne de production. C’est la raison pour laquelle on est en train de finaliser une levée de fonds de série B (lire ci-dessous). En Europe, on a franchement un boulevard devant nous. C’est maintenant qu’il faut accélérer.
“On part sur un projet d’usine de 15 000 m² avec 500 personnes”

Benoît Deper, fondateur et CEO d’Aerospacelab, voit grand. “On a lancé un premier chantier pour une usine de 1 500 m² à Louvain-la-Neuve. Elle devrait pouvoir démarrer à partir du 3e trimestre, avec une montée en puissance progressive. On est en train de renforcer notre effectif afin d’avoir les expertises qui nous manquent pour industrialiser le processus de fabrication de nos satellites. À l’horizon de 2025, on part sur un projet de 'Mega Factory' de 15 000 m² et un effectif de 500 personnes. On se donne jusqu’à la fin de l’année pour choisir un site.”
Afin d’accompagner les ambitions de sa start-up, Benoît Deper est en train de finaliser une levée de fonds de série B. Mais tant que rien n’est signé avec les investisseurs, il ne donnera aucun montant. On sait tout au plus que les investisseurs historiques (dont la SRIW et XAnge) y participeront et seront rejoints par de nouveaux investisseurs, belges et étrangers. Jusqu’à présent, Aerospacelab a levé un peu moins de 18 millions d’euros (en capital, dettes convertibles, avance récupérable, etc.).