Droit à la déconnexion : "Il faut reprendre le contrôle des écrans pour se libérer de la pression sociale"
Les écrans sont omniprésents dans nos vies. Comment bien les utiliser ?
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Publié le 12-12-2021 à 08h02
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"La façon dont nous utilisons nos écrans altère notre travail et notre santé", note d'emblée Marie-Pierre Fourquet-Courbet, lors d'un web atelier organisé par HR Square sur le thème : Comment (ré-)apprendre à se (dé-)connecter pour garantir l'équilibre entre performance et bien-être. "Mais est-ce une fatalité. Peut-on être heureux et connecté ?", s'interroge ce professeur des Universités en sciences de la communication à Aix-Marseille et coauteur de Connectés et heureux. Du stress numérique au bien-être digital, paru en 2020.
La réponse dépendra notamment du temps passé devant les écrans, de ce qu’on regarde et de la prise de conscience de l’utilisation qu’on en fait.
Marie-Pierre Fourquet-Courbet met en avant l'inefficacité des travailleurs multitâches hyperconnectés. Cette inefficacité est d'abord liée au multitâche médiatique, soit l'usage d'un média pendant la réalisation d'une activité sans lien avec celui-ci (par exemple lire un sms quand on mange) ou l'usage de plusieurs médias simultanément. "Deux tâches se retrouvent en compétition. Aucune des deux n'est parfaitement réalisée, ce qui fait qu'on ressent du stress. C'est un mythe de croire que nous sommes capables d'effectuer plusieurs tâches à la fois." Une autre inefficacité est liée aux interruptions : appels, sms, médias sociaux, mails. "Il faut toujours un temps pour se reconcentrer sur son travail. Cela peut aller jusqu'à 25 minutes", indique la professeure qui conseille d'éloigner son smartphone quand on travaille ou de consulter sa boîte mails seulement trois fois par jour. "Ceux qui le font sont plus efficaces et moins stressés."
Hyperconnexion
Autre risque : la tendance à la disparition de la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle. "C'est particulièrement vrai en période de télétravail. Il faut délimiter des plages horaires."
"Les valeurs sociétales favorisent l'hyperconnexion", note, à l'occasion de ce web atelier, Catherine Choque, responsable des Services SenseCare (groupe Cesi). L'individualisme tout d'abord : l'individu est devenu le seul responsable de ses succès et échecs ; les valeurs de performance ensuite (productivité, rentabilité…) ; et enfin les valeurs de liberté et d'autonomie. Cette question de l'hyperconnexion se pose pendant les heures de travail mais aussi après. Elle a un impact sur l'organisation : perte d'infos (35 % des emails internes ne sont jamais lus), turnover, déshumanisation des relations, fracture numérique (85 % des travailleurs ne maîtrisent pas les outils collaboratifs), sans oublier le bilan carbone (5 % de la consommation mondiale d'énergie est due aux data centers).
"Il ne faut pas obligatoirement se séparer des écrans mais bien les utiliser à bon escient. Le changement technologique s'est fait rapidement. Or, notre adaptation est lente. C'est le signe d'un dysfonctionnement de l'intelligence humaine. Nous devons accroître notre intelligence numérique pour mieux nous adapter à cette évolution. C'est essentiel pour notre bien-être à court et long terme", analyse Marie-France Fourquet-Courbet qui estime également qu'il "est nécessaire de connaître les effets des médias sur le bien-être. Des vidéos divertissantes peuvent apporter du bien-être hédonique et permettre aussi de récupérer quand on est fatigué, mais uniquement à petites doses. Il faut aussi savoir ce qui nous motive à utiliser les technologies digitales : qu'est-ce que je recherche sur les réseaux sociaux ? Pourquoi est-il important pour moi de répondre vite à ce mail ? Si on accepte sa faible capacité à s'en séparer, c'est un premier pas. Il faut reprendre le contrôle pour se libérer de la pression sociale, apprendre à le faire aux enfants, qui reproduisent nos comportements, prendre de bonnes résolutions et s'y tenir."
(Dé-)connexion
Mais ce n'est pas toujours facile quand la pression vient de l'extérieur : de l'employeur, d'un client… En France, il existe depuis 2017 un droit à la déconnexion. "Mais même avec la loi, les pratiques sont longues à évoluer", déclare Marie-France Fourquet-Courbet.
Et en Belgique ? La loi de 1921 sur la durée du travail donne le droit au repos. "Mais depuis 20 ans, ce droit s'effiloche car on est de plus en plus connecté en dehors du temps de travail. De plus, il ne concerne pas le personnel dirigeant", remarque Catherine Choque. Adoptée en 2018, la loi Peeters invite l'employeur à organiser une concertation sur le sujet de la déconnexion du travail.
"Mais elle ne vise pas la déconnexion pendant le travail", souligne la responsable du Cesi, qui pointe aussi l'accord-cadre des partenaires sociaux européens sur la numérisation du 22 juin 2020, qui a pour but de soutenir la réussite de la transformation numérique de l'économie européenne et de gérer ses importantes implications pour les marchés du travail, le monde du travail et la société en général. "Une autre disposition intéressante est la loi du 4 août 1996 sur le bien-être au travail qui oblige l'employeur à prendre des mesures de prévention des risques psychosociaux. Le travailleur a aussi l'obligation de veiller à la santé des autres travailleurs. Il y a coresponsabilité", souligne Catherine Choque. Et de proposer des exemples de mesures prises dans le cadre de la politique de déconnexion dans les entreprises : diffusion en interne d'un guide de bon usage des outils, mise en place d'un plan B lors d'un congé, obligation de déconnexion pendant les réunions, fermeture des services de messagerie le soir, les week-ends… instauration d'une journée sans mail… "Il est important pour la mise en place d'une politique organisationnelle efficace, d'être dans la coconstruction, la coresponsabilisation", insiste Catherine Choque.