Bertrand Piccard : "Je rejette le solutionnisme technophile qui consiste à dire qu’on trouvera, dans le futur, des solutions pour réparer les erreurs d'aujourd’hui"
Bertrand Piccard, médecin, explorateur et ambassadeur des technologies propres, nous a expliqué en quoi les start-up jouaient un rôle clé dans la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique.
- Publié le 29-01-2022 à 10h21
- Mis à jour le 29-01-2022 à 10h22
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C’est depuis Lausanne où il vit et où se trouve le siège de la Fondation Solar Impulse que Bertrand Piccard, médecin, explorateur et ambassadeur des technologies propres, nous a expliqué en quoi les start-up jouaient un rôle clé dans la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique.
Votre fondation a labellisé, à ce jour, plus de 1 300 solutions "économiquement rentables et protégeant l’environnement" (1). Vous aviez atteint le cap des 1 000 en avril 2021. Elles continuent donc à affluer à un bon rythme ?
Oui. On continue car il est important d'intégrer toutes ces nouvelles solutions. L'objectif n'est pas quantitatif. Aujourd'hui, il s'agit surtout d'encourager la mise en œuvre de ces solutions. Pour ça, il faut créer les conditions afin que les législations et les réglementations favorisent la mise sur le marché de toutes ces solutions. Aujourd'hui, les start-up sont soutenues par des incubateurs et des accélérateurs, elles reçoivent des aides publiques, elles participent à des sessions de pitch . C'est très bien. Mais une fois qu'elles ont un produit ou un service prêt à être lancé sur le marché, il n'y a plus personne pour les aider.
Le principal obstacle que ces start-up rencontrent est d’ordre réglementaire ?
En tout cas, les réglementations actuelles sont beaucoup trop laxistes car elles favorisent les vieilles solutions, les technologies dépassées, qui sont inefficientes et polluantes. Dans un tel contexte, c’est difficile pour les start-up d’amener leurs solutions sur le marché. Aujourd’hui, il reste légalement autorisé de polluer. Ça ne va pas.
La responsabilité est entre les mains des autorités politiques ?
Si on veut favoriser l’innovation technologique pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut absolument créer un cadre légal, réglementaire et administratif qui évolue au même rythme que les innovations. C’est de cette façon qu’on sera tous incité à recourir aux nouvelles solutions et non plus aux vieilles. En plus, nous démontrons que ces nouvelles solutions (produits, matériaux, appareils…) sont plus efficientes, moins énergivores et plus rentables, ce qui doit être un incitant pour investir. Il faudrait aussi que les marchés publics s’ouvrent aux start-up qui proposent ces solutions technologiques innovantes, ce qui est loin d’être le cas actuellement.
Faut-il voir, à travers la vague de start-up climate techs ou greentechs , l’émergence d’une nouvelle génération qui, après la phase d’indignation contre l’immobilisme des États et des entreprises traditionnelles, a compris que la solution au réchauffement climatique passait aussi par un entrepreneuriat plus innovant ?
Oui, même si ce ne sont pas forcément les mêmes jeunes. La génération Greta a eu le mérite d’attirer l’attention sur les problèmes à résoudre d’urgence. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi attirer l’attention sur les solutions qui sont inventées et développées par les entrepreneurs. Je suis fasciné par la créativité et l’intelligence de tous les innovateurs qui, notamment au sein de start-up, développent des solutions technologiques. Ce sont des personnes qui prennent en considération les vrais problèmes auxquels notre monde est confronté et qui en font de vraies solutions. Il ne s’agit pas de solutions pour demain. Non, elles sont là, disponibles dès à présent. De surcroît, elles sont rentables pour les entreprises et les utilisateurs, tout en permettant de protéger l’environnement. Il existe aujourd’hui un incroyable vivier de start-up composées de gens brillants. La semaine dernière, j’ai rencontré l’une des start-up labellisées par notre fondation. Elle récupère des déchets non recyclables dans les poubelles et elle les compacte pour en faire des briques de construction. Vous imaginez l’impact que ça peut avoir sur la réduction des décharges publiques ?
Qu’est-ce qui vous rend si optimiste dans les vertus de l’innovation technologique pour lutter contre le réchauffement technologique ?
Le titre de mon dernier livre est Réaliste et non pas Optimiste (2). Ce qui me tient à cœur est d'arriver à des résultats quelle que soit l'idéologie, de gauche ou de droite, de décroissance ou de croissance industrielle. Je suis à la recherche de résultats très concrets. Et ça, je vois que c'est possible et réaliste grâce à toutes les start-up et aux solutions qu'elles proposent. Ce que je rejette, c'est le "solutionnisme technophile" qui consiste à dire qu'on trouvera, dans le futur, des solutions pour réparer les erreurs que l'on commet aujourd'hui. Cette vision-là est dangereuse car elle nous empêche d'agir aujourd'hui. C'est un alibi pour ne rien changer. Les technologies existantes, disponibles maintenant, sont les seules qui m'intéressent.
Vous investissez aussi dans ces start-up ?
Nous avons soutenu en 2021 la création de deux fonds d'investissement : l'un avec BNP Paribas (capital-risque) et l'autre avec Rothschild&Co et Air Liquide (capital-expansion). Ces fonds prévoient d'investir jusqu'à 350 millions d'euros dans des solutions labellisées par la Fondation. On met aussi en relation les start-up avec de grands groupes en organisant des e-pitch . Ça ouvre des portes aux start-up qui, grâce à ces contacts, peuvent commercialiser leurs solutions.
(1) https://solarimpulse.com/solutions/
(2) "Réaliste. Soyons logiques autant qu’écologiques", Éditions Stock, 200 pages, octobre 2021.