"Quand elles entreprennent, les femmes ne bénéficient pas de la même valorisation"
Coup de projecteur sur l'entrepreneuriat féminin, ses avantages, mais aussi sur les difficultés qui jalonnent le parcours des femmes qui décident d'entreprendre.
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Publié le 04-03-2022 à 13h58 - Mis à jour le 04-03-2022 à 16h50
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"Notre société ne valorise qu'une façon de faire qui est normée masculine. Or, les femmes entreprennent différemment (elles créent plus petit et davantage leur emploi que l'emploi des autres) et dans d'autres secteurs (santé, bien-être…) alors que les hommes seront plus dans la technologie ou la production", constate Isabella Lenarduzzi, fondatrice de Jump, une organisation qui œuvre en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes au travail. Des femmes qui sont mises à l'honneur ce mardi 8 mars à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes.
"Le fait que les femmes créent des structures plus petites les rend plus fragiles en matière de trésorerie disponible face à une crise", note Audrey Kamali, coordinatrice de Women in Business, plateforme de la sensibilisation à l'entrepreneuriat féminin au sein de hub.brussels. "Elles sont aussi dans des secteurs qui ne sont pas vus comme à haut potentiel économique, comme les nouvelles technologies. Tout cela les rend plus vulnérables."
Les entrepreneuses ont été fortement touchées par la crise sanitaire car actives dans les secteurs les plus touchés (horeca, commerce, soins…). Selon une enquête sur l’effet du Covid réalisée par hub.brussels, 62 % des entrepreneuses bruxelloises interrogées ont perdu plus de 50 % de leur chiffre d’affaires. Elles ont aussi été plus concernées par la problématique de la garde des enfants.
Lutter contre certains biais
"Le fait que la société soit normée masculine implique que les femmes ne bénéficient pas de la même valorisation. C'est très grave car elles restent des outsiders, manquent de visibilité, de crédibilité et donc de financement", estime Isabella Lenarduzzi. "Les projets portés par les femmes gardent une image de quelque chose de superficiel."
"Elles doivent prouver que leur idée est aussi valable que celle portée par trois jeunes hommes qui sortent d'une école d'ingénieur", ajoute Audrey Kamali. "Elles sont également dans des secteurs qui sont peut-être jugés moins 'bancables' par les investisseurs", ajoute Elodie Housiaux, du Réseau Diane.
"Mais essayer d'amener les femmes à être des hommes est ridicule. Non seulement parce que c'est un manque de respect mais aussi parce que c'est passer à côté d'une richesse pour l'économie, avec notamment d'autres idées", poursuit encore la fondatrice de Jump.

Pour toutes, il est important de lutter contre certains biais. "On dit que les femmes ont peur de prendre des risques. C'est vrai", reconnaît Isabella Lenarduzzi. "Mais c'est dû au fait que nous sommes parmi les personnes les plus pauvres dans la société, notamment à cause d'un écart salarial qui persiste et de notre place dans la famille. Il est dès lors beaucoup plus difficile pour une femme de prendre des risques. Or, créer une entreprise en comporte toujours. Cela revient à ajouter un risque au risque existant. Cela explique sans doute que c'est dans les communes où la population est la plus riche que les femmes entreprennent le plus, selon les statistiques. Elles peuvent plus facilement se le permettre. Mais à mon avis, c'est dans les quartiers les plus pauvres qu'elles entreprennent le plus mais souvent en noir. Elles le font pour pouvoir améliorer les fins de mois. On dit aussi que les femmes sont moins assertives. Mais c'est le symptôme, pas la maladie."
"Les femmes prennent plus de précautions. Leurs revenus et leur capacité d'épargne sont moins importants", commente de son côté Audrey Kamali.
"La peur de se lancer se retrouve aussi chez les hommes, même si elle est plus présente chez les femmes. C'est dû au fait que l'entrepreneuriat n'est pas connu. Quand on sort des études, on nous demande toujours 'où as-tu postulé ?'. Entreprendre comporte toujours un risque : on n'a pas de revenu assuré et il faut parfois injecter du capital", remarque Clémence Braun, fondatrice du réseau Hors Norme, qui met en avant le rôle des coopératives d'activités qui permettent de démarrer sereinement une activité et de la tester. "J'ai commencé via Jobyourself, ce qui m'a permis notamment de continuer à bénéficier du chômage pendant les premiers mois de mon activité."
Comment les entrepreneuses ressentent-elles les choses ? Le réseau Diane (UCM) a réalisé en septembre 2020 une étude sur les enjeux de l'entrepreneuriat féminin. Parmi les 287 femmes qui ont répondu à la question "En tant que femme entrepreneure, pensez-vous rencontrer plus de difficultés qu'un homme dans l'exercice de votre activité professionnelle ?", 113 ont dit "oui", 109 "non" et 65 ont déclaré ne s'être jamais posé la question. Parmi les difficultés principales évoquées : la prospection de nouveaux clients (23 %), la relation à l'argent (22 %), la gestion de la charge mentale (18 %), la conciliation vie privée et professionnelle (18 %) et les croyances limitantes (17 %).
Pistes pour demain
Comment faire évoluer les choses ? "Une femme qui entreprend a les mêmes compétences qu'un homme et fait face aux mêmes difficultés mais aussi à celles liées à des stéréotypes et discriminations de genre. Il faut donc lutter contre les stéréotypes dès le plus jeune âge, que ce soit à l'école ou à la maison", estime Audrey Kamali.
Les réseaux de femmes sont aussi essentiels. "Je suis convaincue de la plus-value des réseaux car les femmes se sentent souvent seules", note Elodie Housiaux. "Il faut donc en développer plus."

Une solution passe également par un renforcement des structures qui accompagnent les femmes. "Il faut aller plus loin que des espaces de coworking ou des réseaux et travailler, par exemple, avec des coaches, des business developers, des responsables de programmes d'accompagnement qui comprennent les enjeux de l'entrepreneuriat féminin. Toutes les femmes ne sont pas identiques et n'entreprennent pas au même moment de leur vie", souligne Audrey Kamali.
"Il faut reconnaître les inégalités dont les femmes peuvent être victimes. Et pour cela, il faut absolument mesurer", ajoute Isabella Lenarduzzi. Avec des chiffres justes, pour voir ce que l'on compare. Certaines données se basent sur toutes les indépendantes, d'autres sur celles qui sont en société. "Dans certains cas, les chiffres reprennent les femmes actionnaires or, dans de nombreuses entreprises, c'est un homme qui crée l'entreprise et va demander, parce que la structure l'exige, à son épouse, sa fille ou sa sœur d'être actionnaire. Mais ce n'est pas une femme qui porte l'entreprise", insiste Isabella Lenarduzzi.
"On dit aussi que les femmes ont autant de chance d'obtenir un financement quand elles remettent un dossier. Mais c'est souvent parce qu'elles accordent beaucoup plus d'attention à la préparation. Elles savent qu'il y a cette présomption d'incompétence et préparent dès lors de meilleurs dossiers. Mais il n'y a pas de chiffres sur la part accordée aux entreprises portées par des femmes, des hommes ou les deux. Il manque aussi des chiffres sur les montants octroyés. Or, les hommes obtiennent en général un montant moyen plus élevé. À partir du moment où l'on mesure efficacement, tout peut se passer. Sinon on reste dans de grandes déclarations qui ne servent à rien…"