Peut-on évaluer la "résilience" des entreprises et l'efficacité des aides ? "Il faudra avoir du courage politique et faire des choix"
Tester la “résilience” des entreprises, est-ce vraiment réalisable ? Et comment s’assurer de l’efficacité des aides d’État à long terme et éviter le saupoudrage ?
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/7df913ef-fb76-4fac-b638-75a3157520e3.png)
- Publié le 14-04-2022 à 08h29
- Mis à jour le 21-04-2022 à 16h42
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/DD3MDKUUOBDQTN2YOPVOGUC4SQ.jpg)
La "résilience". Le terme est utilisé dans tous les sens, quitte à l’user jusqu’à la moelle. Psychologie, économie, politique… la crise du Covid-19 l’a imposé presque partout.
Mais concrètement, comment la résilience peut-elle être évaluée, au niveau économique ? Et plus particulièrement au niveau des entreprises ?
"Il y a encore beaucoup de choses à faire pour mieux anticiper les mégatendances", entame à ce propos Marek Hudon, professeur à la Solvay Business School of Management and Economics (ULB) de Bruxelles, alors qu'il a réalisé, avec plusieurs de ses collègues, une étude de faisabilité d'un test de résilience pour les entreprises.
"La plupart des tests existants se focalisent sur une réaction à court terme. L'idée de ce test est d'associer les éléments de court terme à une vision de long terme. Que ce soit en matière de pandémies, de ressources naturelles et de leur raréfaction ou d'évolution des rapports de force, comme on le voit avec la guerre en Ukraine", poursuit-il.
Son étude propose donc plusieurs options de test de son entreprise, avec des budgets indicatifs, afin de pousser les dirigeants à investir dans des plans stratégiques pour répondre à certaines crises. Une sorte de filet de secours si les crises devaient continuer à s'enchaîner. "Ce n'est pas comme si rien n'était fait actuellement. Le Bureau du Plan fait des analyses. Mais ce qui nous manque, c'est la préparation concrète pour réagir lorsque ces crises nous touchent. On n'est pas assez outillés. On a vu les différences entre pays avec le Covid-19. Il faut développer ces plans d'anticipation en dehors des situations de crise", renchérit-il, alors que plusieurs organismes en Belgique ont déjà publié, au cours de ces dernières décennies, des rapports d'avertissement.
Rappelons par exemple qu'en 2008, la ministre fédérale de la Santé de l'époque avait demandé une analyse sur le plan opérationnel "pandémie influenza" en Belgique. Les déclarations qu'on pouvait y lire sur les masques sonnent comme une prémonition : "Le plan d'urgence fait état d'un stock de 32 millions de masques chirurgicaux, ce qui représente environ trois masques par personne. Étant donné qu'il faut jeter le masque après l'avoir porté, ce nombre semble être insuffisant", "avec 6 millions de masques respiratoires (FFP2) […] le stock semble dès lors également insuffisant". Pourtant, en 2019, le stock de FFP2 a été détruit sans être renouvelé. Pas de chance ?
Manque d’efficacité et saupoudrage
"On a beau jeu de dire que c'est la lasagne institutionnelle belge, mais l'opérationnalisation doit suivre. Car l'administration n'est pas l'unique raison dans nos manquements. Il faut savoir tirer les leçons", commente à ce sujet Marek Hudon, avant de repartir sur les aspects plus économiques.
"Ce qui est important, c'est de ne pas se limiter à des réponses individuelles. On voit bien que certaines entreprises s'en sortent mieux que d'autres dans un même secteur… Il faut préparer une réponse collective et c'est la responsabilité politique. Cela ne peut pas être qu'une somme de résiliences individuelles. Il faut améliorer les compétences, mieux former les travailleurs ." Concrètement ? "Les compétences des travailleurs permettent aux entreprises de mieux rebondir, on le voit avec la numérisation (amplifiée par le Covid, NdlR). Le gouvernement doit inciter à atteindre ces objectifs d'investissements en compétences. Il faut également créer des écosystèmes connectés, comme en Wallonie (dans le secteur pharma par exemple, NdlR). Des études prouvent que ces mises en réseau favorisent la résilience."
Mais une autre question se pose alors : comment éviter le saupoudrage de moyens financiers débloqués ? Éviter la multiplication de formations, sans retour sur investissement ? "C'est une des difficultés. Il faut pouvoir avoir des formations utiles, efficaces, adaptées. Il faut pouvoir miser sur les secteurs en pénurie, lance Marek Hudon. Il y a des besoins différents entre les PME et les grandes entreprises, qui sont souvent déjà impliquées dans ces analyses prospectives", ajoute-t-il.
Des incitants fiscaux ?
Pourrait-on dès lors imaginer des incitants fiscaux ? Car cette analyse prospective, cette anticipation, est utile en théorie. Mais comment passer en pratique alors que les coûts explosent déjà pour les entreprises, qui privilégient parfois la survie actuellement. " Ce travail est une sorte d'assurance que les entreprises peuvent prendre. C'est un investissement à faire pour être mieux préparé. Le monde actuel est incertain, ce n'est pas nouveau, mais les crises s'enchaînent et c'est compliqué pour les capitaines d'entreprises. Le premier intérêt est donc stratégique. Car ce que détestent le plus les entreprises, c'est l'incertitude. Le modèle économique sur l'interconnexion, le just in time, l'optimisation, montre ses faiblesses dès que quelque chose fait défaut. On l'a vu avec le canal de Suez. Un incitant fiscal ou des primes d'assurances adaptées aux entreprises qui font cet effort pourraient être pertinents", justifie Marek Hudon.
La question de la rigueur budgétaire est également de plus en plus présente, après les nombreuses aides déployées pendant la pandémie pour maintenir l’économie à flot.
"On a été assez agréablement surpris par le développement économique de ces derniers mois mais on enchaîne les crises et ça aura un effet délétère. Mais on n'a pas le choix, la leçon qu'on tire de la crise de 2008, c'est la nécessité de pouvoir accompagner ces investissements, comme cela a été le cas pendant la crise du Covid, ce qui a permis de relancer l'activité économique, commente-t-il à ce sujet. Le manque de plan stratégique concret montre qu'on est dans une vision court-termiste et qui ne permet pas d'être réellement équipés pour faire face aux futurs chocs", ajoute-t-il. Si cela reste très théorique, s'attaquer aux aspects négatifs de la financiarisation de nos sociétés peut être, selon lui, une des solutions concrètes à mettre en place. "Il y a un décalage entre l'intérêt actionnarial et l'intérêt sociétal. C'est pour cela que les entreprises familiales sont parfois plus résilientes et mieux préparées. Il y a une nécessité d'adapter la régulation pour favoriser les investissements à long terme", termine-t-il.
3 questions à Willy Borsus, ministre wallon de l’Économie (MR)
1. Un test pour évaluer la résilience des entreprises, est-ce faisable ?
C’est difficile d’établir un test en tant que tel. Mais faire le point sur la santé financière, les investissements dans l’innovation et le personnel est possible. Anticiper une crise est très difficile. Dès lors, au lieu d’un test, fixer des points de bonne gouvernance peut être pertinent. Il est vrai que c’est beaucoup plus compliqué pour les PME, elles sont moins bien outillées, tout comme les indépendants. Néanmoins, elles sont plus flexibles, plus souples. Ce sont des bateaux plus faciles à rediriger. On l’a vu pendant le Covid, avec les commerces qui se sont lancés dans la vente à emporter par exemple. Et il n’y a rien à faire, la politique en ressources humaines reste incontournable et les entreprises doivent en tenir compte.
2. A-t-on réussi à éviter le saupoudrage des aides ?
Il faut tirer les leçons de ce qui nous est arrivé, avec la pandémie, les inondations, etc. Mais n’oublions pas qu’il a fallu concilier l’urgence, du jour au lendemain. Mais désormais, on peut aller vers quelque chose de plus équilibré, adapté selon la taille des entreprises, leurs chiffres d’affaires effectifs. On arrivera donc à plus de sélectivité et à éviter le saupoudrage.
3. La rigueur budgétaire est-elle nécessaire ou peut-elle nuire à ces besoins d’anticipation des risques ?
On ne peut pas transiger avec la soutenabilité budgétaire. On ne peut pas préserver le présent en compromettant l’avenir. Si on ne pouvait pas rester les bras croisés, il faut évidemment trouver l’équilibre pour combiner les deux. Il faudra donc avoir du courage politique et faire des choix, donner des priorités dans les dépenses. Anticiper les imprévus passe par la relance socio-économique, le taux d’emploi, ce qui permet in fine de réduire les dépenses et augmenter les recettes. Le terme de rigueur budgétaire, fortement connoté, est mal choisi mais je pense que le sérieux budgétaire peut aller de pair avec la relance, qui reste la meilleure assurance pour l’avenir et pour faire face aux potentiels chocs à venir.