Le fleuron flamand Imec se rapproche de la Wallonie : "Nous sommes plus connus dans la Silicon Valley qu’en Wallonie et à Bruxelles"
Le centre flamand en nanoélectronique et technologies numériques, Imec, est une référence au plan international. Il a développé une stratégie de création et de financement de spin-off et de start-up deeptech. L’Imec aimerait en faire profiter des jeunes pousses du Sud du pays.
- Publié le 03-08-2022 à 08h09
- Mis à jour le 19-10-2022 à 08h13
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/2MM74QOUGZDAZGJHQ3KAWM42GE.jpg)
L’Imec, centre de recherche en nanoélectronique et technologies numériques, fait la fierté de la Flandre depuis bientôt quarante ans. Basé à Louvain et soutenu financièrement par les autorités flamandes depuis ses débuts en 1984, l’Imec regroupe aujourd’hui plus de 5 000 chercheurs à travers le monde. Son chiffre d’affaires s’élevait, l’an dernier, à 732 millions d’euros. Avec 12 000 m² de salles blanches et de laboratoires ultramodernes, l’Imec est devenu le centre de référence pour l’industrie mondiale des semi-conducteurs. Samsung, Intel, TSMC, ASML et d’autres géants de la tech figurent parmi ses clients.
Malgré cette impressionnante carte de visite, l'Imec demeure encore peu connu en Belgique francophone. "Aujourd'hui, la plupart de mes amis connaissent l'existence de l'Imec, confie Olivier Rousseaux, directeur des activités d'investissement à risque ("venturing") à l'Imec. Mais, il y a un peu plus de dix ans, quand je leur disais que je travaillais à l'Imec, ils pensaient que c'était une petite spin-off ou un laboratoire de recherche de la KUL. L'Imec est en fait plus connu dans la Silicon Valley qu'en Wallonie et à Bruxelles alors que, du haut de la tour, ici à Louvain, on peut pratiquement apercevoir Bruxelles !"
Les choses sont en train de changer. Le 8 juillet, Imec.xpand – fonds d'investissement associé à l'Imec – a annoncé que trois fonds publics wallons (SRIW, Sambrinvest et Noshaq) avaient injecté 10 millions d'euros dans son deuxième fonds (spécialisé dans les spin-off et les start-up actives dans les semi-conducteurs et le numérique). Quelques mois plus tôt, l'Imec avait conclu un partenariat stratégique avec la division "vaccins" du géant GSK, basée à Wavre, afin d'explorer le potentiel des nanotechnologies en biopharmacie.
La révolution deeptech
Comment expliquer qu'il ait fallu attendre 2021 pour que se noue ce type de partenariats entre l'Imec et la Wallonie ? "Je vais me contenter de le constater et, surtout, de me réjouir de la volonté désormais affichée de collaborer", répond, avec un large sourire, Olivier Rousseaux. Ce docteur en génie électrique, passé par l'UCLouvain et la KU Leuven, semble lui-même s'en étonner. "Je me rappelle que, lors de mon retour à l'Imec en 2018 pour diriger l'activité de venturing (il avait connu une première expérience à l'Imec, de 2004 à 2010, en tant que directeur d'un laboratoire de recherche et fondateur d'une spin-off, NdlR), tout le monde n'avait manifestement pas conscience que le leader mondial des vaccins se trouvait à Wavre, c'est-à-dire à 20 kilomètres de Louvain. Imec avait des partenariats avec la Corée du Sud, le Japon, les Etats-Unis, les Émirats arabes, l'Allemagne, etc., mais rien avec la Wallonie !"
Si Imec et le fonds Imec.xpand ont décidé de s'ouvrir à la Wallonie, c'est avant tout en raison du rapprochement entre le monde de la nanoélectronique et celui des sciences de la vie. "Pendant très longtemps, rappelle Olivier Rousseaux, les nanotechnologies se sont focalisées sur le monde numérique (informatique, télécoms…). Depuis une petite dizaine d'années, on vit une révolution 'deeptech' (1) qui touche de nombreux secteurs (automobile, sciences du vivant, énergie…). Ça veut dire que les semi-conducteurs et les nanomatériaux y sont aussi devenus des composants essentiels. Les compétences de l'Imec sont ainsi devenues très pertinentes pour les sciences de la vie et c'est d'ailleurs en grande partie ce qui explique notre rapprochement avec l'écosystème wallon biopharma et biotech."
Créer des synergies “tech” Nord-Sud
Pour le fonds Imec.xpand, dans lequel Imec a investi au même titre que d'autres (fonds publics et privés, belges et étrangers), l'entrée au capital de la SRIW, Noshaq et Sambrinvest devrait faciliter la mise en contact avec tout l'écosystème créé autour d'Imec. "On a aujourd'hui la conviction que des opportunités d'investissement dans des start-up deeptech et life sciences wallonnes se présenteront à l'avenir pour Imec et Imec.xpand, expose Olivier Rousseaux. Du côté de l'Imec, mon équipe de venturing a prévu de faire un exercice de scouting auprès de start-up wallonnes pour savoir ce qu'elles font et ce qu'Imec peut leur apporter sur le plan technologique. L'idée est vraiment de créer des synergies entre nos écosystèmes."
Dans cette révolution en train de s'installer entre deeptech et life sciences, Olivier Rousseaux se dit convaincu que la Belgique jouit d'une "place tout à fait unique" au plan mondial pour combiner le savoir-faire de l'Imec dans les nanotechnologies et celui du secteur belge des sciences du vivant (GSK, UCB, Univercells, etc.).
Concernant la stratégie de "venturing" mise sur pied depuis 2017 en faveur des spin-off de l'Imec et de start-up deeptech, Olivier Rousseaux explique que, jusque-là, Imec créait des spin-off à un rythme d'une par an. "Il n'y avait pas de réelle ambition stratégique de faire du 'venturing' actif. Tout était focalisé sur la recherche et les partenariats avec l'industrie des semi-conducteurs."
La réflexion a été de se dire que les innovations émanant des recherches d'Imec avaient un effet considérable. "Aujourd'hui, il est pratiquement impossible de trouver un produit électronique ne contenant pas une technologie Imec. Mais les résultats de nos travaux ont presque toujours été commercialisés par des géants américains ou asiatiques de la tech. La question s'est alors posée de savoir ce qui se passerait si des pépites technologiques de l'Imec étaient valorisées au départ de la Belgique." La décision fut donc prise, en 2017, de créer un pilier stratégique de l'Imec autour du "venturing".
(1) La deeptech est une expression que l'on utilise pour définir des start-up qui utilisent des innovations de rupture, basées sur la recherche scientifique et une forte intensité technologique, pour changer l'offre sur un marché.
“On a lancé 22 sociétés en quatre ans”
Olivier Rousseaux, responsable du pilier "venturing" à l'Imec, est à la tête d'une équipe de sept personnes dont le job est de sortir les meilleures idées des travaux de recherche d'Imec et d'en faire des boîtes deeptech bien financées."Nous sommes très impliqués, aux côtés des chercheurs, dans la création, la validation, l'incubation et le financement des spin-off et des start-up. Généralement, on assure même le rôle de CEO ad interim jusqu'à ce qu'elles volent de leurs propres ailes. L'ambition est forte. Pour chaque projet mis sur les rails, on vise à être dans les trois meilleurs mondiaux (du domaine), ce qui passe par la constitution d'équipes de très haut niveau sur le plan technique et managérial".
Jusqu'ici, le focus de l'équipe "Venture Development" a été de construire le moteur et de le faire démarrer. Aujourd'hui, il tourne bien puisque, sur la période 2018-2021, pas moins de 22 spin-off et start-up deeptech ont été créées au départ d'Imec. Leur valorisation, au 1er janvier, était de l'ordre de 230 millions d'euros. "Pour arriver à lancer ces 22 sociétés, on a examiné 250 projets en détail, précise Olivier Rousseaux. L'outil de sélection fonctionne bien. Un projet sur deux qui entre en incubation devient une société, ce qui est bien.Et sur les 22 sociétés créées en quatre ans, qui ont toutes réalisé un premier tour de financement (seed), une seule a dû arrêter ses activités". Parmi les projets les plus récents, on peut épingler la spin-off Solithor.
Solithor a développé une technologie novatrice de batteries solides au lithium. "C'est un cas d'école, souligne Olivier Rousseaux. On a passé une dizaine d'années, avec une équipe de materials scientists, à développer une nouvelle chimie et une nouvelle anode. Le projet a été sélectionné pour être mis en développement, on a engagé une personne comme CTO (directeur technique) et, ensuite, un CEO (directeur général). Enfin, une première levée de fonds de 10 millions d'euros a été réalisée. Aujourd'hui, Solithor est passée à la phase de production, tout en continuant à collaborer avec Imec pour faire maturer la technologie."