Aerospacelab: ”Durable, oui. On ne fait pas dans le green washing !”
Aerospacelab a reçu le prix de la Scale Up de l’année. Parmi les critères du jury : respecter les critères ESG. Mais le secteur de l’aérospatial peut-il être considéré comme durable ?
Publié le 11-12-2022 à 15h12 - Mis à jour le 12-12-2022 à 07h52
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Les applaudissements retentissent, les employés d'Aerospacelab lèvent et sifflent, le visage fendu par un large sourire. Benoît Deper, le CEO, monte les marches quatre à quatre pour aller récupérer leur trophée. La société belge, spécialisée dans l’intelligence géospatiale et la création de satellite, a été sacrée Scale-up de l’année 2022 lundi dernier, le 5 décembre.
La récompense est accordée chaque année aux entreprises les plus prometteuses. Sont éligibles les entreprises belges en pleine croissance, dirigées par un management local, qui proposent des produits innovants. Sur ce point, Aerospacelab remplit largement les conditions : “Nous sommes la seule entreprise européenne de New Space (entreprises privées actives dans l’aérospatial, NdlR). L’innovation, c’est notre ADN. 100 % de nos activités se concentrent sur le développement de nouvelles techniques”, affirme Benoît Deper.
Le secteur de l’aérospatial : durable ?
Les membres du jury demandent également aux participants de respecter les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). “Les lauréats de ce concours doivent servir de modèle et évoluer selon les challenges du XXIe siècle”, explique Marie-Laure Moreau, Partner au sein d’EY assurance, organisateurs de l’événement. “Il est clair que la croissance ne peut plus se faire au détriment de la planète et de l’humain.” Or, peut-on considérer Aerospacelab, et le secteur aérospatial, comme durable et responsable ?
La réponse est nuancée. “Durable, oui. La boîte a été créée pour apporter des réponses à des enjeux majeurs en termes de développement. Mais on ne fait pas dans le greenwashing comme certains qui nous bassinent avec ça toute la journée”, précise Benoît Deper.
"Les images satellitaires améliorent sensiblement la prise de décision”
Aerospacelab imagine, construit et assemble des satellites relativement légers, 150 kg pièce, à moindre coût. La plupart d’entre eux sont destinés à la vente. “On est bien d’accord, ce n’est pas la production des satellites que l’on peut considérer comme durable”, confirme Pierre Defourny, professeur en géomatique et télédétection à l’UCLouvain. “Surtout vu la durée de vie réduite des satellites”, cinq ans en moyenne. Pourtant, ce volet de leurs activités est en plein essor. Actuellement, la scale-up produit 24 satellites par an, mais l’exploitation de leur nouvelle mega-factory devrait, dès 2025, multiplier ce chiffre par 20 et passer à 500 satellites par an.
L'espace, c'est politique. D'une élection à l'autre, tout est susceptible de changer.
Par contre, les données récoltées par les satellites d'observation de la Terre sont nécessaires à la gestion des crises climatiques et environnementales. Comme le rappelle Aerospacelab : “Les choix importants sont trop souvent fondés sur des informations tardives, incomplètes ou biaisées. Les images satellitaires et l’intelligence géospatiale améliorent sensiblement la prise de décision.”
“Et il est stratégique que l’Europe dispose de ses propres images satellitaires !”, s’exclame le professeur Defourny, membre de l’Earth and Life Institute. “Pour le moment, les USA ont le lead dans ce domaine. Mais l’espace, c’est politique. On sait désormais qu’on ne peut totalement dépendre des Etats-Unis pour prendre soin de notre planète. D’une élection à l’autre, tout est susceptible de changer.”
Agriculture, changement climatique, traçabilité du commerce international, émissions de CO2, énergie… Les applications des données d'observation récoltées par les satellites sont multiples, comme en témoigne Pierre Defourny : “Sans images satellites, pas de rapport du GIEC. Elles permettent, par exemple, d’évaluer l’ampleur de la déforestation, des stock de carbone, de la fonte des glaces et de la montée des eaux. Elles nous informent sur les effets du dérèglement climatique sur toute la surface du globe. En suivant de près les zones agricoles, les scientifiques peuvent anticiper les risques de pénuries de nourriture dans le monde. De nouvelles images satellites ont récemment permis d'identifier précisément des super-émetteurs de méthane, un gaz à effet de serre très important, lié à certains secteurs d'activités et d'en alerter les représentants.”
Satellites en orbite, et après ?
La gestion des déchets spatiaux est un enjeu important dans le secteur aérospatial. Pas question de garder en orbite les satellites pensionnés, et donc inutiles. La solution privilégiée par Aerospacelab est de prévoir une réserve de carburant qui donne au satellite en fin de vie une dernière impulsion et le renvoie dans l’atmosphère. Il s’y désagrège automatiquement et n’émet, ce faisant, que 50 kg de gaz d’aluminium. “La pollution générée est infime”, rassure Pierre Wielhem, directeur commercial d’Aerospacelab.
Et que se passerait-il s’ils perdaient le contrôle d’un satellite ? Tout est prévu ! “Nos satellites sont envoyés en orbite basse, où quelques particules d’air circulent encore. Le frottement va ralentir le satellite. Une fois immobilisé, il sera attiré par la force gravitationnelle terrestre et se désagrégera, lui aussi, dans l’atmosphère”, indique Pierre Wielhem.
Cependant, le risque zéro n’existe pas. Deux objets en orbite sont susceptibles d’entrer en collision. Dans ce cas, les engins explosent en milliers de fragments qui polluent l’espace. En 2019, plus de 20.000 débris “repérables” de plus de 10 cm étaient en orbite autour de la Terre.