Crise de gouvernance, "wokisme", chute en bourse et streaming... Comment Disney va-t-il affronter l'avenir ?
Le royaume, qui fête ses 100 ans, est désenchanté : il affronte une grave crise de gouvernance. L’empire reste puissant mais son modèle économique est en crise.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dffc4ca2-824b-4571-b0d0-543ddfd99cb2.png)
Publié le 26-01-2023 à 08h00 - Mis à jour le 26-01-2023 à 09h56
:focal(1495x1005:1505x995)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/W37MKIRLQRFRFJKWVBBTWG7BUA.jpg)
Le 27 janvier, la Walt Disney Company lance à Disneyland les festivités de son centième anniversaire, qui s’étaleront tout au long de 2023. “Tout a commencé avec une souris”, comme le disait son fondateur Walt Disney, à propos de la création du Disney Brothers Cartoon Studio le 16 octobre 1923.
En un siècle d’existence, Disney a survécu à bien des crises et des mutations technologiques. Son fondateur était un visionnaire, parmi les premiers de ses pairs à adopter le cinéma sonore, puis le Technicolor. Il a produit le premier long métrage d’animation. Il s’est endetté pour bâtir le premier parc d’attractions moderne, prototype du genre. Il a osé pactiser avec la télévision, dès son émergence, quand tous les patrons hollywoodiens s’en méfiaient.
La souris est devenue un géant du divertissement qui pèse 180 milliards de dollars. Ses productions dominent encore le box-office mondial, avec quatre des dix films les plus rentables de 2022 (dont la suite d’Avatar). Mais comme tout empire, sa taille tentaculaire et ses appétits mondiaux font sa faiblesse.
Les salles de cinéma n’ont pas retrouvé leur fréquentation d’avant la crise de Covid-19. La télévision par câble meurt à petit feu aux États-Unis. Et le département streaming du groupe perd plus d’un milliard de dollars par exercice trimestriel.
À Wall Street, cela se paie comptant. Malgré ses 82 milliards de dollars de chiffre d’affaires, l’action du groupe a été divisée par deux en deux ans. Le cash-flow disponible a été divisé par près de neuf, passant de 9,8 milliards de dollars à 1,1 milliard entre 2018 et 2022.
En novembre, le conseil d’administration du groupe a sévi, en sacquant le PDG Bob Chapek, deux ans après son entrée en fonction. Son prédécesseur, Robert A. Iger, a été sorti de sa retraite pour un mandat de deux ans. Avec pour mission d’établir une stratégie pour “une croissance renouvelée”. Les défis qu’il doit résoudre sont sept, comme les nains de Blanche-Neige.
1. Le cinéma, royaume déserté
En 2019, Disney affichait un bénéfice opérationnel de 2,7 milliards de dollars grâce à ses productions cinématographiques. Malgré le succès de la suite d’Avatar et d’autres blockbusters, les recettes en 2022 plafonnent à 65 % de leur niveau prépandémie. Selon le cabinet Gower Street Analytics, cité par The Economist, les recettes seront encore inférieures de 25 % à la norme pré-covid en 2023.
Le spectateur américain moyen ne se rendait au cinéma que trois ou quatre fois par an en 2019. Une moyenne qui a sans doute baissé depuis. Aux États-Unis, quelque 1 600 salles ont éteint le projecteur définitivement. Et le streaming, où Disney a confiné des films familiaux comme Soul, Alerte rouge et Buzz l’Éclair, ne compense pas.
2. Le grand méchant loup de Wall Street
Les dettes nettes de l’entreprise de 37 milliards de dollars sont en partie le legs du dernier “coup” de Bob Iger, avant son départ à la retraite, en 2020 : le rachat de la 20th Century Fox pour 71 milliards de dollars. Intolérable aux yeux de Nelson Peltz, dont le fonds Trian a acquis pour 900 millions de dollars d’actions Disney.
”Nelson Peltz ne comprend pas le business de Disney”, réplique la direction du groupe, ajoutant que M. Peltz “n’[avait] pas les compétences et l’expérience nécessaires pour aider le conseil d’administration à créer de la valeur pour les actionnaires dans un écosystème médiatique en évolution rapide”.

3. Picsou à Disney World
Le groupe sauve ses finances grâce aux revenus provenant de sa vache à lait, les parcs d’attractions de Floride et de Los Angeles, fermés pendant la crise sanitaire. Leur fréquentation mondiale a baissé de près de moitié pendant la pandémie (de 151 millions en 2019 à 78,5 en 2021).
Pour compenser, l’entrée et les hôtels sont désormais facturés une fortune au consommateur américain. Bob Chapek y a ajouté des surtaxes qui ont fait hurler le roi client : réservation de parking obligatoire (mais payante), coupe-file payant pour les attractions. Aux États-Unis, une visite d’un jour à Disneyland revient à 1 000 dollars (920 €) pour un couple avec deux enfants mineurs (1 015 € à Disneyland Paris avec une nuit d’hôtel hors week-end d’affluence). Pas de quoi relancer la fréquentation.
4. La fin de la fée télévision
En novembre, Disney a enregistré une baisse de 5 % de son chiffre d’affaires trimestriel sur un an pour ses activités télévisuelles. Les audiences prime time d’ABC, détenu par Disney, ont chuté d’un tiers au cours des quatre dernières années.
Désormais, les Américains consomment plus de streamings que de télévision, selon l’institut Nielsen, qui mesure les audiences. Le bureau d’études eMarketer prédit qu’en 2023, seule une minorité de ménages américains conservera des abonnements câblés. En conséquence, son homologue MoffettNathanson prévoit une baisse de 17 % des bénéfices opérationnels des réseaux de câble de Disney.
5. Disney + : alerte rouge
Les abonnements cumulés de Disney +, ESPN + et Hulu, surpassent ceux de tous les concurrents de Disney, même Netflix. Mais le streaming est un puits sans fond : Disney + cumule 11,3 milliards de dollars de pertes cumulées depuis son lancement. C’est le fruit amer de la course à l’échalote à laquelle se livrent les studios hollywoodiens. Afin de gagner des abonnés, ils ont injecté des millions dans la production de contenus – une hausse de 50 % depuis 2019.
Disney a bâti son imposant patrimoine avec ses “propriétés intellectuelles”, de Mickey Mouse aux superhéros Marvel. Certains s’inquiètent que le studio les dilapide à force de les décliner sur tous les écrans. Les dernières séries Star Wars (Andor) ou Marvel (Miss Marvel, She-Hulk) sont des échecs. Progressistes, elles sont la cible de campagnes de dénigrement dans une Amérique polarisée par les guerres culturelles.
6. La petite sirène woke
Longtemps considéré comme rétrograde sinon réactionnaire, Disney a mis de l’huile woke dans sa machine commerciale : profusion d’héroïnes dans ses films et séries, appels du pied vers les communautés LGBTQ +…
En 2019, un Bob Iger en fin de mandat a pris position quand la Géorgie a tenté de restreindre le droit à l’avortement, affirmant que le studio Marvel pourrait difficilement continuer à y tourner ses films. Devenu P-DG, Bob Chapek a voulu se tenir à l’écart des guerres culturelles. Mais en mars 2022, l’État de Floride a promulgué une loi interdisant d’enseigner des sujets en lien avec l’orientation sexuelle ou l’identité de genre à l’école primaire.
La pression des salariés du parc d’attractions Disney World, qui se trouve en Floride, a amené Chapek à prendre position contre la loi surnommée par ses opposants “Don’t Say Gay” (”Ne parlez pas des gays”). Le gouverneur républicain Ron DeSantis a réagi en supprimant les statuts favorables dont bénéficiait Disney World depuis sa création en 1967.
7. Game over
En 2021, une étude du bureau conseil Deloitte a révélé que les tranches d’âge des baby boomers aux Millenials citent encore la télévision comme leur divertissement favori, la génération Z (les moins de 25 ans) la classe dernière. Son passe-temps principal, de loin, sont les jeux vidéo.
Ce secteur est resté un point aveugle de la stratégie de Bob Iger, durant ses quinze années à la tête de Disney. Il a préféré céder des licences d’exploitation à des développeurs de jeux comme Electronic Arts. Fatale erreur qu’il a confessée au New York Times : “C’est comme avoir vendu des armes à un pays tiers qui s’en sert contre nous.”
Selon The Economist, Iger viserait à acquérir un des géants du secteur, Electronic Arts (leader dans les jeux sportifs comme FIFA Football ou NBA Live) ou Epic Games (Fortnite), Mais le premier est valorisé à 34 milliards de dollars et le second à 32 milliards. Difficile à débourser quand on affiche 37 milliards de dollars de dettes nettes… Ubisoft, qui rencontre des difficultés, pourrait aussi être une proie de choix.
Les acteurs d’une crise de gouvernance
Le retour de Bob Iger à la tête de Disney a révélé une crise de gouvernance. La firme n’a pas su préparer sa succession, alors que son mandat avait déjà été prolongé à cinq reprises lors de la dernière décennie. Le principal échec lors de son dernier mandat est de ne pas avoir préparé sa relève. Se trouver une relève durable est son défi majeur. La fonction a changé. Il ne suffit plus d’avoir des compétences managériales et de connaître une industrie du divertissement (en mutation). Il faut savoir composer avec les guerres culturelles ou des gouvernements sourcilleux (de la Floride à la Chine).
Susan Arnold. Présidente de la Walt Disney Company. Au directoire depuis 2007, elle est devenue présidente en 2021, devenant la première femme à occuper ce poste. Le 11 janvier, le groupe a annoncé que Mme Arnold sera remplacée le 8 février par Mark Parker, 67 ans, ancien président de Nike, dont le pedigree devrait rassurer Wall Street.
Robert A. Iger. P-DG de la Walt Disney Company. . Déjà PDG du groupe de 2005 à 2015, il a mené plusieurs acquisitions audacieuses : le studio d’animation Pixar en 2006 (Le Monde de Nemo, Toy Story), Marvel, en 2009 (la série des Avengers, Thor, Black Panther…), Lucasfilm en 2012 (Star Wars, Indiana Jones) et l’essentiel des actifs de 21st Century Fox en 2019, mais en plombant la dette du groupe. Il a raté le train du streaming et a trop négligé le poids du gaming au sein de la génération Z.
Alan Bergman. Président de Walt Disney Studios. En fonction depuis le 1er janvier 2021, Alan Bergman est, dans les faits, le numéro trois, voire le numéro deux d’un point de vue opérationnel. Il chapeaute tous les départements de production cinéma du groupe (Walt Disney Pictures, Walt Disney Animation Studios, Marvel Studios, Pixar, Lucasfilms et 21st Century Fox). Vétéran de Disney depuis vingt-quatre ans, il a accompagné les intégrations de Pixar Animation Studios, Marvel Studios, Lucasfilm et 20th Century Studios. Sous son mandat, pas moins de 25 films ont rapporté au moins 1 milliard de dollars au box-office mondial. Il est un dauphin potentiel de Bob Iger.
Nelson Peltz. À 80 ans, cet actionnaire activiste, dont la fortune est estimée à 1,4 milliard de dollars, a l’habitude de secouer les actionnaires et les conseils d’administration pour augmenter ses gains. Il réclame un siège au conseil d’administration de Disney et s’est lancé dans une campagne anti-Iger sous le slogan Restore the Magic (”Restaurer la magie”). Son allié est Isaac Perlmutter, ancien directeur général de Marvel Entertainment, écarté au profit du producteur Kevin Feige. Depuis, Marvel a introduit à l’écran des personnages comme Black Panther, Miss Marvel et quelques personnages secondaires représentant les communautés LGBTQ +.