Le patron de Codic International: “En Belgique, les prix de l'immobilier sont faibles car la fiscalité y est exorbitante"
Le 1er mai, Thierry Behiels, CEO de la société de développement Codic International, passera le cap symbolique du quart de siècle à cette fonction. Dans un entretien à La Libre, l'Invité Eco se penche sur les grands enjeux du secteur immobilier.
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Publié le 28-01-2023 à 14h33
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Le 1er mai, le CEO de la société de développement Codic International passera le cap symbolique du quart de siècle à cette fonction. Une longévité impressionnante pour quelqu’un qui confie n’avoir “jamais pensé faire [sa] carrière chez Codic”. D’autant que Thierry Behiels y était entré dix ans auparavant, en 1988, comme responsable de projet, avant d’accéder à la direction de l’antenne belge en 1992.
De quoi participer à la forte expansion du groupe, vers le Luxembourg en 1989, la France en 1990, la Hongrie en 2006, l’Espagne et la Roumanie en 2007. Et de voir s’ériger nombre de grandes réalisations tels le Louise Village (1990), le Waterloo Office Park (1992), Belle-Île (Liège, 1995), B-Park (Bruges, 2008), le 65 Croisette (Cannes, 2008), Atlantis (Bruxelles, 2009), Gateway et PassPort (Brussels Airport, 2016 et 2018), B’Est (Moselle française, 2018), Royal-Hamilius (Luxembourg, 2019), Green Court (Budapest, 2022), etc. “Mes valeurs, c’est que les gens soient heureux et vivent pleinement leur passion.”
L’occasion, aussi, de travailler avec les deux autres CEO que Codic a comptés : Jacques Lemal, le fondateur, et Bertrand Cappelle. “Mes pères spirituels”, confie ce matheux, ingénieur en construction et commercial qu’ils ont personnellement engagé.
Matheux, certes – la progression de sa participation dans l’actionnariat de Codic semble le dévoiler, faite tantôt d’additions, tantôt de soustractions, pour atteindre aujourd’hui les 11 % –, et passionné de développements. “J’essaye de nous positionner dans des lieux où les autres ne sont pas, de travailler à contre-courant, de réaliser des projets compliqués et emblématiques.” Mais également poète et amateur d’art. “J’achète beaucoup d’œuvres, raconte Thierry Behiels. Notamment pendant toute la période du Covid, sous forme de soutien à une série d’artistes que je continue à suivre.” Son bureau est rempli de dessins et de toiles, dont une de Jacques Lemal d’ailleurs. Entretien.
Quel bilan tirez-vous du marché immobilier en 2022 ? Et que prévoyez-vous pour 2023 ?
L’année 2022 a été très difficile et 2023 le sera aussi. En espérant qu’il n’y ait pas une crise financière concomitante. Beaucoup de sociétés d’investissement ont en effet contracté de gros emprunts. La valeur de leurs actifs ayant dégringolé de plus de 40%, le risque est grand de déplorer des défauts de paiement. Ce qui pourrait avoir un impact sur les banques. C’est le danger principal que j’entrevois pour 2023.
Les valeurs ont fortement baissé…
… et ce n’est peut-être pas terminé. Codic s’en est très bien sorti grâce à la vente d’opérations à Barcelone et à Budapest à de très beaux tarifs. Mais aujourd’hui, c’est la fin de la récréation. On voit bien que les investisseurs ne veulent plus investir parce qu’ils n’ont pas envie d’être les derniers de la classe. À Paris, les ventes se sont déjà complètement arrêtées.
Quelles sont les évolutions à attendre pour l’avenir ?
Les normes énergétiques ont pris énormément d’importance tout comme le caractère ESG (Environnement, Social et Gouvernance). Nous voulons investir dans des bâtiments neutres en émissions carbone, dotés de passeports de matériaux provenant de réutilisations et pouvant faire l’objet d’une reconversion. Pourquoi avons-nous été à Barcelone ? Parce que c’est une ville ESG où tous les jeunes veulent travailler. Les bâtiments qu’on y a développés sont un véritable succès : techniques apparentes, terrasses quasiment à chaque étage, rooftop dont l’auvent est recouvert par des panneaux solaires… On n’est plus dans une logique de fonctionnalité mais de multifonctionnalité. A Luxembourg, nous avons acheté le site Titanium de Nextensa situé dans le quartier de la Cloche d’Or. Le terrain s’étend sur 3,3 hectares, sur lequel on veut développer un véritable parc multifonctionnel : des bureaux, de l’hôtellerie, des restaurants aux rez… Le tout traversé par une grande artère verte, ponctuée de lacs constituant des îlots de fraîcheur.
Les bureaux les uns à côté des autres, c’est fini. Il y a des tiers-lieux avec fauteuils, des cafétérias à chaque étage et pas qu’au rez-de-chaussée…"
N’y a-t-il qu’à Bruxelles qu’on n’arrive pas à réaliser ce type de projets ?
Je n’entre pas dans ce débat-là. Et puis, c’est quoi Bruxelles ? Le grand Bruxelles ou celui des 19 communes ? Je préfère envisager le marché à l’échelle des métropoles. Pour moi, tout ce qui est réalisé aux alentours de l’aéroport, c’est Bruxelles. Quand je parle du marché parisien, par exemple, je pense à l’Île-de-France. Pour revenir à Bruxelles, en matière de projets vertueux, nous développons l’immeuble Chancelier, soit la réhabilitation de l’ancien bâtiment de Petercam en face de la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule. Il est situé à côté de la gare centrale, dans un site historique extraordinaire. L’immeuble répondra à la norme de basse consommation, comprendra un rooftop et son rez-de-chaussée commercial offrira différents services. Le loyer annoncé dépasse largement les 300 euros/m². Et déjà de beaux noms nous contactent.
Est-ce à dire que les loyers vont augmenter à Bruxelles alors qu’ils stagnent depuis longtemps ?
Ils vont remonter, j’en suis convaincu. C’est logique et c’est la seule manière de résoudre la quadrature du cercle entre remontée des taux d’intérêt, hausse des coûts de construction, exigences en matière de normes énergétiques et… baisse de la demande (-20 % en moyenne) avec l’effet télétravail. Compte tenu de l’actuel coût de l’énergie, à l’avenir, les charges dans les immeubles seront vraiment déterminantes. Avec, à la clé, un immobilier à deux vitesses : les immeubles qui n’auront pas les labels suffisants vont le payer très cher ; en revanche, les bâtiments “bas carbone”, qui consommeront moins de 40 kWh au m², vont voir leur loyer augmenter.
Le télétravail modifie-t-il votre offre de bureaux ?
Les sociétés locataires valorisent la qualité. Les espaces redeviennent plus confortables, plus acceptables. Elles veulent faire revenir les jeunes au bureau, dans un environnement motivant. On est désormais à un poste de travail par 10 m² contre 7-8 m² avant le Covid. Les bureaux les uns à côté des autres, c’est fini. Il y a des tiers-lieux avec fauteuils, des cafétérias à chaque étage et pas qu’au rez-de-chaussée…
Quelle est votre vision du résidentiel ?
Nous essayons de développer ce que les autres ne font pas, c’est-à-dire du résidentiel présentant un caractère unique ainsi que du cousu-main. Comme le projet Jade à Auderghem. Ou comme le Royal-Hamilius à Luxembourg-Ville. En combinant plusieurs critères : un architecte de renom accompagné d’un architecte d’intérieur pour analyser chacune des pièces, des hauteurs sous plafond respectables, de belles orientations, des terrasses, une qualité de matériaux, une précision dans leur mise en œuvre (portes sans chambranles, plinthes dans l’épaisseur des murs…).
Bruxelles a-t-elle un avenir pour le luxe ?
Cela dépend où vous construisez, mais oui, cela ne fait pas de tort à Bruxelles d’accueillir des habitants qui ont un certain revenu.
Par comparaison, le Grand-Duché semble impayable (plus de 15 000 euros/m² pour du haut de gamme).
Il y a effectivement à Luxembourg-Ville une course à l’échalote entre développeurs qui ne rime pas à grand-chose. Même si le prix est lié à la rareté et à la capacité financière des ménages, il l’est aussi à la fiscalité. En Belgique, nous constatons que les prix sont faibles car la fiscalité y est exorbitante. D’où l’impératif d’y faire des logements pas trop chers.
Que pensez-vous de l’avenir de Bruxelles face aux embarras de circulation ?
Bruxelles est confrontée à de gros problèmes au niveau des transports en commun, qui ne se règlent pas assez vite. Allez à Barcelone : le métro dessert toute la ville. Les habitants circulent en métro, à vélo, en trottinette ou en taxi. En Belgique, on attend toujours le RER… C’est symptomatique des lenteurs administratives qui caractérisent notre beau pays. Pour se développer, la ville a besoin d’une vision. La vision du Grand Paris est de relier les aéroports afin de pouvoir contourner la ville. La vision de Luxembourg consiste, outre la gratuité des transports publics, à notamment encourager la mobilité transfrontalière. Les trains venant de France sont subsidiés. Donnez-moi la vision de Bruxelles ?
En 52 ans d’existence, Codic n’a eu que trois CEO. Par contre, le groupe a connu moult actionnaires : Dixons, Sofina, Bois Sauvage, Agridec… Et, depuis 2014, les hommes d’affaires français Gérard Mulliez (Auchan, Decathlon, Kiabi…) et Christopher Descours (J.M Weston, Piper-Heidsieck…). Ont-ils impacté l’évolution de Codic ?
La société a été organisée de manière très structurée. Le comité de direction – le CEO et les directeurs généraux des filiales – définit la stratégie au travers d’un plan à cinq ans. Le conseil d’administration valide la stratégie définie par le comité de direction. On a toujours eu les mains libres pour atteindre les objectifs définis. Codic n’a pas changé de vision, il s’est adapté aux mouvements sociétaux. Bien que l’entreprise soit non cotée, elle est gérée comme si elle l’était, avec un comité de nomination et de rémunération, un comité d’audit, un comité d’investissement… Dans le secteur de la promotion, on est resté un artisan. Un artisan à la Hermès, qui s’entoure des meilleurs architectes et célèbre l’art dans ses promotions. J’en suis très fier. Bien sûr, on ne fait pas abstraction de la rentabilité des actionnaires, c’est évident, mais on ne distribue en général jamais plus de 30 % du bénéfice de la société.
J’ai toujours eu plus de la moitié des parts du management pour garder un droit de veto. Je sais que quand les affaires sont plus difficiles et qu’il faut mettre de l’argent, c’est toujours un peu plus compliqué."
Ce qui a changé, c’est que le management soit devenu actionnaire et que vous-même fassiez partie du conseil d’administration. n’est-ce pas stressant ?
Disons un peu schizophrénique. Car l’actionnaire demande beaucoup de dividendes et le dirigeant veut, lui, avoir plus de moyens pour développer la société et donc plus de fonds propres. C’est dans l’histoire que les choses se racontent. En 1998, quand Dixons m’a proposé de devenir CEO, j’ai demandé à être aussi actionnaire de la société. Plutôt que d’acheter seul les premiers 2 % de la société, j’ai préféré proposer la moitié à trois autres managers. Et ainsi de suite au fur et à mesure de la croissance de Codic, jusqu’à monter à 25 %. Je crois en une société participative. C’est un peu mon côté socialiste même si je suis un profond libéral. Le partage devait se réaliser ensemble. Mais j’ai toujours eu plus de la moitié des parts du management pour garder un droit de veto. Je sais que quand les affaires sont plus difficiles et qu’il faut mettre de l’argent, c’est toujours un peu plus compliqué.
Aujourd’hui, quelles sont les parts des uns et des autres ?
Jusqu’à il y a peu, on peut dire qu’il y avait trois propriétaires privés de Codic : Christopher Descours, Gérard Mulliez (quelque 83 % ensemble) et moi-même (environ 17 %). Depuis, on a fait monter la nouvelle génération de managers – des quadras – qui détient 5,2 % et une option pour pouvoir encore monter. L’avenir de Codic, c’est de faire progresser les jeunes dans la boîte.
Vous avez un successeur, un numéro 2 ?
Je suis convaincu que les valeurs et la culture de Codic se poursuivront. Un changement de CEO se fera un jour et le groupe dispose de talents internes pour me succéder.
Codic est gérée comme une société cotée, dites-vous, mais sans en subir les désagréments. ni des baisses de cours comme celles qu’ont subies les SIR l’an dernier…
On est du bon côté (sourire).
Une entrée en Bourse pourrait-elle être envisagée ?
Ce n’est vraiment pas à l’ordre du jour. Même si c’est plus compliqué pour nous de réaliser des levées de fonds obligataires. Immobel et Atenor peuvent viser des taux de 2,5 % sur les dernières années, quand nous, on rémunère nos obligations à du 4 %. On est moins connu qu’eux, mais on a d’autres avantages. On peut moins jouer la transparence absolue. On n’est, par exemple, pas obligé de déclarer chaque acquisition. Sachant que la pire des choses, quand on a acheté un terrain et qu’on veut bien négocier, c’est de le dire…
Comment vous différenciez-vous d’eux ?
Immobel et Atenor ont une approche plus industrielle alors que nous avons une approche plus artisanale. Mais sur la durée, peu de promoteurs peuvent revendiquer une longévité de 52 ans, sans accident, sans faillite.
Le principe de “club deal” que vous venez de créer est une manière de lever des fonds. combien avez-vous récolté et auprès de qui ?
Ce nouveau métier chez Codic, à savoir Codic Invest, participe à la vision stratégique du groupe d’accélérer sa croissance en alignant nos intérêts avec ceux des investisseurs. Avec l’appui de la Banque Degroof Petercam et dans un contexte économique défavorable, nous avons pu, fin de l’année dernière, lever un montant de 100 millions d’euros auprès de family offices, de particuliers belges, luxembourgeois, français, mais aussi auprès de quelques institutionnels. Avec l’apport de 25 millions de Codic, nous atteignons un montant d’equity de 125 millions d’euros. Ce montant sera destiné au développement du site Verona situé dans le quartier à la Cloche d’Or le long de la route d’Esch. Les investisseurs ont été enthousiastes et ont adhéré à notre projet qui développera une philosophie ESG.