Philippe Verdonck (Charleroi Airport): “Les grèves ? On a reçu une claque dans la figure et on ne la méritait pas”
Philippe Verdonck est l’Invité Eco. Grèves chez Ryanair, nouveaux vols vers d’autres continents, renouvellement du permis, salaires dans la fonction publique… Le patron de l’aéroport de Charleroi fait le point sur les dossiers chauds du moment.
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Publié le 04-02-2023 à 14h06 - Mis à jour le 06-02-2023 à 09h47
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À la tête de Brussels South Charleroi Airport depuis quatre ans, Philippe Verdonck est un vrai passionné du secteur aérien. “J’ai envisagé de rejoindre la Sabena pour faire l’école de pilotage”, glisse-t-il, lui qui plane depuis plus de trente ans dans ce milieu. Après des expériences chez American Airlines, Korean Air, ANA, Jet Airways ou encore WFS, il rentre en Belgique pour prendre les commandes de l’aéroport carolo.
Issu d’une famille bilingue anversoise, il garde une grande fierté envers sa ville natale, car “quand on est anversois, on le reste à vie”. À Charleroi, il a découvert une ville “où beaucoup de gens ont la main sur le cœur”, de quoi faire de lui “le plus flamand des Carolos”. Amateur de sports au sens large, vous le trouverez tantôt au water polo, tantôt au hockey sur gazon, parfois au bord des terrains de football (”mais du Beerschot, pas de l’Antwerp !”), même si sa passion principale reste ses trois enfants.
Quel bilan tirez-vous de l’année 2022 ?
Charleroi est l’un des seuls aéroports d’Europe à être revenu à ses chiffres d’avant Covid. On est presque à 8,3 millions de passagers, soit 1 % de plus qu’en 2019. On aurait pu faire mieux sans les 16 jours de grève cumulés en 2022 qui ont engendré 815 annulations de vols et ont fait rater leur avion à 100 000 passagers. Ces grèves ont eu de fortes répercussions, c’est malheureux pour l’image de l’aéroport de Charleroi. Les actions sont venues du personnel de Ryanair, de la sécurité, de la police. Il y a aussi eu les grèves nationales. Bref, aucune action n’a un lien direct avec un problème propre à BSCA (Brussels South Charleroi Airport, NdlR).
À combien s’élève la perte financière encourue à la suite de ces jours de grève ?
Cela se chiffre en millions. Mais le dommage le plus important est celui fait à notre image. Beaucoup de gens concernés par ces grèves se disent maintenant : “Je ne vais plus à l’aéroport de Charleroi”, alors que notre aéroport et notre personnel n’y peuvent rien. On a reçu une claque dans la figure et on ne la méritait pas.
On a aussi reçu des remarques des compagnies aériennes, qui se demandent ce qu’il se passe en Belgique : tous les jours, il y a un problème. Le manque de revenus est souvent important pour les transporteurs et cela ne nous aide pas dans les négociations pour le futur. Nous avons accueilli la délégation d’une compagnie non européenne qui voulait développer du long-courrier ici. Mais les représentants sont arrivés en pleine grève du personnel de la sécurité. Je peux vous dire qu’ils ont ouvert de grands yeux devant ce chaos.
Êtes-vous d’accord avec le patron de Ryanair qui a dit : “La grève est un sport national en Belgique” ?
Oui, je partage cet avis. La grève est un droit. Par contre, trop de grèves tuent les grèves. Cela crée beaucoup de frustration et de colère chez les gens, pris en otage, qui ne peuvent pas partir en vacances ou tout simplement pas aller travailler. Je ne dirais pas qu’il y a plus de grèves à Charleroi qu’ailleurs. Mais lors de la dernière grève nationale, c’est ici que le mouvement a été le plus suivi.
Comment expliquez-vous que l’aéroport de Charleroi se soit relevé aussi vite de la crise de Covid ?
On a décidé très vite d’aller de l’avant plutôt que de rester dans notre coin à nous plaindre. On a travaillé sur le fond. Quand les passagers viennent ici, ils n’ont plus l’impression d’arriver dans un aéroport low cost.
On va clôturer 2022 avec un bilan financier positif, ce qui n’était plus arrivé depuis cinq ou six ans. Les mois de janvier et février 2022 ont pourtant été catastrophiques, mais par la suite la machine s’est emballée. L’envie de repartir est là. Les perspectives pour 2023 sont plutôt bonnes. On espère attirer entre 8,5 et 8,7 millions de passagers cette année, en espérant ne pas devoir jongler avec une nouvelle crise. Depuis la reprise, les gens ont tendance à voyager moins loin et moins longtemps. Les compagnies présentes chez nous répondent parfaitement à cette demande.
Les prix des billets d’avion augmentent. Est-ce la fin des billets à 10 euros et du low cost ?
Non, ce n’est pas la fin du low cost. Mais qu’est-ce que signifie encore le low cost, finalement ? Des billets à 10 euros, c’était déjà très difficile à trouver. Le consommateur peut toujours trouver des tarifs très avantageux s’il s’y prend des mois à l’avance. Mais il est vrai que le Belge est connu pour s’y prendre souvent à la dernière minute.
Si vous vouliez partir à Malaga cet été, c’était 250-300 euros, même avec Ryanair. C’est le même prix que chez Brussels Airlines, qu’on ne qualifie pourtant pas de low cost. En fait, tout le monde a copié le modèle Ryanair. Dans la plupart des compagnies, il faut désormais payer des suppléments pour ses boissons, ses bagages, le choix de son siège…
Ryanair quitte l’aéroport de Bruxelles-National, car la compagnie estime que les tarifs aéroportuaires y sont trop élevés. Une bonne nouvelle pour Charleroi ?
Ce sont simplement les deux avions basés à Zaventem qui partent : Ryanair garde 12 de ses 16 destinations à Bruxelles. On aura une destination qui viendra à Charleroi, et peut-être un avion basé en plus. Donc l’effet pour nous est minime. Zaventem n’est pas vraiment un concurrent, car nous sommes un peu chacun dans notre propre niche. Il y a eu des tensions dans le passé avec Bruxelles, mais c’est de l’histoire ancienne.
Que dit Michael O’Leary ? Que les tarifs sont 50 % plus cher à Bruxelles qu’ici (l’écart des tarifs officiels est bien plus grand, NdlR). C’est qu’il a obtenu des bons prix à Zaventem. Peut-être que la vraie raison du départ de Bruxelles est liée aux grèves et que la direction a voulu lancer un message aux syndicats. Le personnel basé à Bruxelles est venu enquiquiner nos passagers ici, pour un problème lié à Zaventem.
Ryanair a des tarifs spéciaux chez vous ? Ils essaient de négocier ?
Non, ils paient les tarifs qui sont publiés, comme toutes les autres compagnies. On a un nouveau contrat avec eux pour quelques années. La durée ? C’est un secret commercial.
N’est-ce pas néfaste pour l’image de Charleroi d’être associé à une compagnie comme Ryanair, qui connaît autant de conflits sociaux ?
Je ne connais pas les conditions de travail, ni les salaires du personnel de Ryanair. Mais s’il y a un problème, il faut le régler au niveau européen. Il n’y a pas que Ryanair qui embauche des équipages tchèques, polonais, etc. En Belgique, s’il existe un problème réel, cela peut se régler devant un tribunal. Pas en venant enquiquiner nos passagers.
Notre relation avec Ryanair est commerciale, et elle est très bonne. Il y a des millions de passagers qui volent chaque année avec Ryanair en Belgique, et je ne pense pas que la manière dont Ryanair traite son personnel leur pose problème. Ryanair, c’est 25 % du trafic en Europe. C’est aussi la compagnie qui a les avions les plus propres d’Europe. Mais de cela, on n’en parle jamais. On préfère se focaliser sur le social. Mais ce n’est pas à moi de jouer le médiateur : chacun son rôle.
Charleroi reste très dépendant de Ryanair. Ce manque de diversité dans les compagnies aériennes présentes à BSCA, n’est-ce pas une faiblesse pour l’aéroport ?
Ryanair représente encore 70 % de notre trafic. Ce chiffre est moindre qu’auparavant, car nous sommes allés chercher des nouvelles compagnies, comme Volotea qui arrive cet été. Si Ryanair n’est pas chez nous, elle ira ailleurs. Mais oui, il y a toujours un risque. On a déjà connu des aéroports qui vivaient grâce à un seul acteur. Et quand il partait, c’était fini. Toutefois, nous sommes la première base continentale ouverte par Ryanair et notre relation avec eux est solide. Au niveau commercial, la compagnie irlandaise a toujours été un partenaire fiable.
D’autres compagnies viennent frapper à votre porte ?
Elles viennent frapper à la nôtre, ou nous allons frapper à la leur. Mais oui, des compagnies nous approchent, nous sommes en discussion. Nous pourrions encore annoncer quelque chose dans le courant de l’année…
L’allongement de la piste en 2021 devait notamment permettre d’accueillir des long-courriers. Charleroi cherche-t-il à attirer des compagnies pour développer ce type de vols, avec des nouvelles destinations à la clé ?
Nous sommes en négociation avec des compagnies moyen- et long-courrier, même si ces dernières mettent plus de temps à sortir de la crise de Covid. On a ainsi dû décaler des projets de vols, notamment vers les États-Unis et un autre continent. L’allongement de la piste et le développement d’avions plus petits en capacité, mais à plus longue portée, font que les possibilités se multiplient. On peut aller plus loin, vers le Moyen-Orient, notamment.
Wizz Air, présente à Charleroi, vole notamment jusque-là…
Avec les avions dont dispose Wizz Air, il serait possible de faire Charleroi-Dubaï.
Un nouveau marché qui pourrait être intéressant pour vous ?
Tout à fait.
De nouveaux marchés, avec à la clé un agrandissement de l’aéroport ?
On ne pourra pas, comme à Zaventem, accueillir plusieurs long-courriers au même moment et ce n’est pas le but. Mais l’aéroport peut, dans sa forme actuelle, accueillir du long-courrier. Il faudrait aussi renforcer les services de police et de douanes, pour éviter les longues files à l’aéroport car on manque cruellement d’effectifs. Concernant l’agrandissement, il y a eu des discussions sur le sujet par le passé, mais avec l’arrivée de la crise sanitaire en 2020-2021, on a mis des projets au frigo. Aujourd’hui, on regarde d’abord ce qui peut être amélioré, avant de parler d’agrandissement.
En matière de mobilité, par exemple ? Zaventem dispose d’un pôle important à ce niveau.
Zaventem à la chance de disposer d’un système très performant à ce niveau : il permet à tout le monde de venir comme il le veut. Malheureusement, nous n’aurons jamais de train ici. C’est dommage, mais le projet est beaucoup trop cher. La toute première analyse de coûts de la SNCB estimait le chantier à 600 millions d’euros. Pour la dernière en date, on avait dépassé le milliard. Je pense donc que le dossier a dû disparaître dans un tiroir de la SNCB… Il y avait aussi le métro de Charleroi qui aurait pu être allongé jusqu’à l’aéroport, mais là aussi le projet était très coûteux.
En parlant de train, les discussions autour du remplacement l’aviation par le rail pour les trajets courts se multiplient, qu’en pensez-vous ?
Il y a certaines destinations pour lesquelles le train est envisageable, mais pas toutes. D’abord, parce qu’il n’y a pas les infrastructures nécessaires, ensuite il faudrait ajouter des trains. Et là encore, cela va coûter très cher et le bilan carbone serait énorme.
Bruit, pollution… Les aéroports sont-ils toujours les bienvenus en Wallonie, au niveau de la population ?
L’image des aéroports est peut-être moins sexy qu’avant, mais prenez la pollution : le secteur aérien, c’est 3 % des émissions mondiales. On tape beaucoup sur le secteur, mais pas sur d’autres qui polluent beaucoup plus, comme les paquebots, le transport de marchandises par camions par exemple. Nous travaillons aussi à notre échelle pour faire mieux. Nous avons discuté avec toutes les compagnies présentes à Charleroi, et elles ont accepté d’atteindre les 5 % de SAF (carburant moins polluant, NdlR) d’ici 2025. Et Ryanair est l’une des compagnies qui a le plus poussé pour y parvenir. Pourtant, le SAF est actuellement cinq fois plus cher que le carburant classique.
L’aéroport de Charleroi reste une entreprise majoritairement publique (51 %, NdlR). Quel est votre avis sur le plafonnement des rémunérations des patrons des entreprises publiques, et sur les questions que les gens se posent à ce sujet ?
Est-ce que cela regarde les gens ce que gagnent les autres : non, je ne pense pas. Concernant le plafonnement, on gagne beaucoup plus dans le privé, c’est certain. Mais demandez une fois à quelqu’un du secteur privé de vous donner son salaire : il ne le dira jamais… Dans le public, il y a une transparence absolue. Que le salaire soit communiqué ou pas par l’entreprise, les revenus doivent être déclarés, ils sont de toute façon connus.
L’aéroport de Liège vient d’obtenir le renouvellement de son permis. Qu’en est-il à Charleroi ?
Liège vient de clôturer son permis, puis ce sera au tour de Zaventem, et à Charleroi nous commençons les travaux de réflexion pour le permis : ce sera pour février 2025.
Vous vous attendez à des négociations compliquées ?
Les discussions pour un permis ne sont jamais faciles. Toutefois, le permis pour l’extension de la piste est récent et il comprenait une étude d’incidences charpentée. En outre, Charleroi est un aéroport avec des horaires d’ouverture restrictifs, une flotte d’avions récente, un contrôle permanent du niveau de bruit et de la qualité de l’air. Nous sommes aussi soumis à un quota de points pour le bruit après 23 h et à un arrêté sanction infligeant des pénalités en cas de dépassement des niveaux de bruit. Je vous mets au défi de trouver un autre aéroport en Europe aussi en avance sur son temps. Nous sommes donc confiants.