"Les éditeurs engagés n’ont pas envie d’aller chez Bolloré"
Œuvrant dans un secteur largement dominé par quelques grands acteurs, les éditeurs indépendants savent qu'ils doivent batailler ferme et faire preuve de créativité pour générer un peu de rentabilité.
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Publié le 26-03-2023 à 10h57
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"Tous les éditeurs indépendants le sont par passion. Ils travaillent le soir et le week-end. Ils le font par amour de trouver des pépites nouvelles, de porter des auteurs. Ils ne se lancent pas dans cette aventure pour gagner des tonnes d'argent", nous explique avec enthousiasme Mélanie Godin, éditrice des Midis de la Poésie et de l'Arbre de Diane. Une des "grosses difficultés", poursuit-elle, est d'arriver à franchir le cap de la diffusion en France. Une solution est de céder les droits à un éditeur français. Mais cela se fait en général pour une somme modique. C'est ce qu'a fait Mélanie Godin pour le livre de l'auteur français Cédric Villani Les mathématiques sont la poésie des sciences dont les droits ont été cédés à Flammarion pour quelques centaines d'euros à partager avec l'auteur. C'est avant tout un moyen de faire rayonner un auteur.
"C'est un choix que j'ai vécu positivement. J'y vois une forme de reconnaissance de la part d'une grande maison dans la mesure où elle s'intéresse à notre catalogue même si dans le meilleur des mondes, ce serait merveilleux qu'on puisse porter nos livres à l'étranger", commente-t-elle. Cette démarche est toutefois assez rare chez les éditeurs francophones (il existe 140 sociétés d'édition). "Les auteurs flamands préfèrent s'adresser directement à des éditeurs néerlandais alors que du côté francophone, il y a un complexe avec Paris", ajoute Mélanie Godin.
Difficulté majeure
Œuvrant dans un secteur largement dominé par quelques grands acteurs, les éditeurs indépendants savent qu'ils doivent batailler ferme et faire preuve de créativité pour générer un peu de rentabilité. Une autre difficulté majeure pour eux est d'arriver à placer leurs livres sur les étalages des librairies. Car "leur force de frappe n'a rien à voir avec celle des groupes comme Hachette qui peuvent faire des propositions aux libraires nettement plus alléchantes, notamment en termes de remises, de délais de paiement ou d'opérations promotionnelles", explique Gaëlle Charon, directrice au syndicat des librairies francophones. Et quand on sait que la marge bénéficiaire des libraires ne cesse de diminuer (autour de 1 %), c'est un élément qui pèse lourd dans le choix des libraires francophones. Dont au moins 70 % des livres proviennent des éditeurs français.
Benoît Dubois, directeur de l'Association des éditeurs belges (ADEB), épingle, lui, une autre difficulté, celle provenant des filiales de distribution. Lesquelles exigent "des seuils indispensables" en termes de volumes. D'où l'initiative annoncée il y a deux semaines par l'ADEB de mutualiser la distribution. Un accord a été trouvé avec MDS Benelux qui fait partie du groupe Media Participations (Dupuis, Dargaud, etc.). Et qui a aussi pu être noué grâce à un subside de 80 000 euros de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les maisons d'édition pouvant prétendre à ce service doivent déclarer un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions.
Du côté des librairies
Il existe bien sûr un certain nombre des librairies qui se concentrent sur les éditeurs indépendants, comme Tulitu installée dans le centre de Bruxelles et spécialisée notamment dans la littérature québécoise ou le féminisme. Sa propriétaire, Ariane Herman, fait, elle aussi, le constat que "trouver un distributeur est super-compliqué pour les éditeurs indépendants". Lesquels, ne manque-t-elle pas de rappeler, travaillent dans une logique économique différente des grands groupes, à l'instar d'ailleurs des librairies indépendantes. "Les éditeurs engagés n'ont pas envie d'aller chez Interforum" le distributeur du groupe Bolloré, lâche-t-elle.
On l’aura compris, on est bien dans deux mondes du livre aux priorités différentes.