Pour un pilote d'avion, voler n'est pas toujours l'élément le plus stressant du boulot: "C’est le seul métier au monde où cela se passe comme ça"
Dans le cadre de son dossier “Dans le secret des lieux”, La Libre vous emmène le temps d’un vol Liège-Vienne à bord du cockpit d’un Boeing 737 de la compagnie ASL Airlines Belgium, à la découverte du métier bien particulier de pilote d’avion.
Publié le 26-03-2023 à 12h00
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Il est aux alentours de 3h du matin à Liege Airport quand Xavier Deschamps entre dans la crew room d’ASL Airlines Belgium (ASLB), pièce où se retrouvent les pilotes de la compagnie entre leurs vols. Âgé de 41 ans, il est pilote de ligne depuis 17 ans, dont une année en Afrique et 16 auprès d’ASLB. La compagnie aérienne, spécialisée dans le transport cargo, opère des vols européens et internationaux en partie depuis l’aéroport liégeois.
Cette nuit-là, Xavier s’apprête à partir vers Vienne. Il est revenu quelques heures plus tôt de Stansted, en Angleterre. D’où ses petits yeux. “Je viens d’aller dormir deux-trois heures dans les petites chambres à notre disposition dans le bâtiment d’ASL”, confie-t-il, avant de s’attabler avec son copilote du jour, Charlie Alexandre, arrivé en juillet chez ASLB. C’est la première fois que les deux hommes vont voler ensemble.
Penchés sur leur plan de vol, les deux pilotes – bien réveillés désormais – analysent sur leur tablette le trajet que le Centre de Contrôle des Opérations (OCC) de la compagnie leur a préparé. Immédiatement, Xavier prend son téléphone pour appeler l’OCC car un point essentiel du document ne lui convient pas : l’une des routes alternatives prévues en cas de déviation forcée. “Le dispatching a choisi Budapest et Brno comme autres lieux d’atterrissages, si on ne peut pas se poser à Vienne. Mais la météo de la capitale hongroise ne me plaît pas, donc je demande un autre ‘alternate’”, explique le commandant de bord. “On a Katowice et Brno finalement”. “Mais Bratislava aurait pu convenir aussi”, souligne Charlie. Ce changement implique d’emporter un peu plus de fuel dans l’avion, dont Xavier fait directement la commande, via l’OCC, à la station de Liege Airport.


La clé de leur boulot de pilote, c’est l’anticipation. Ils ne montent pas dans l’avion sans connaître les routes aériennes qu’ils vont emprunter, la météo à leur destination, la quantité de kérosène nécessaire pour effectuer le trajet, le type de terrain survolé, etc. Si un problème arrive en vol, l’équipage n’aura pas le temps de tergiverser, il faudra agir vite. Alors il anticipe. “En tant que pilotes, nous sommes tout et nous ne sommes rien”, lâche Xavier. “Nous devons avoir des connaissances dans tous les domaines : la mécanique, la météorologie, la juridiction, etc. Mais nous ne sommes ni mécano, ni météorologue, ni avocat.”
Leur plan de vol vérifié sous le bras et leur petite valise à la main, les deux pilotes se dirigent alors vers le Boeing 737 qui les attend sur le tarmac. Ils grimpent dans la cabine, pendant que plusieurs véhicules et personnes s’activent autour de l’appareil pour l’inspecter, le fournir en fuel et le charger. Les containers sont montés un à un dans la carlingue grâce à un élévateur, tandis que des employés du client d’ASLB les placent correctement dans l’avion. Cette nuit encore, le Boeing transportera des colis en tout genre.

Dans le cockpit, Xavier et Charlie se sont installés selon les consignes : le premier, commandant de bord, prend la place de gauche, alors que le second, que l’on appelle “first officer”, s’assied à droite. “Pour la raison suivante : les instruments de bord sont doublés à gauche, et ce sont les derniers qui fonctionnent en cas de problème. C’est toujours le commandant qui prend les choses en main, ainsi que la responsabilité, en cas de soucis”, précise Xavier.
Les deux pilotes sont occupés à faire les réglages de leur immense tableau de bord, qui s’étend du sol au plafond de la cabine, et contient plus de 200 boutons. Charlie se lève ensuite pour effectuer un check-up extérieur de l’avion. Des ingénieurs le font aussi, mais “l’équipage est responsable de son avion, donc un de nous deux effectue impérativement le tour de l’appareil avant le décollage”, précise le jeune pilote de 26 ans. Muni de sa lampe de poche, il inspecte le Boeing, suivant un chemin bien précis. Il balaie les ailes de l’avion avec le faisceau de lumière, fait tourner les pales des réacteurs, vérifie les portes, s’attarde sur le train d’atterrissage et vérifie qu’il pourra se replier correctement après le décollage. Rien de particulier à signaler ce soir, et Charlie remonte donc dans la cabine pour un briefing avec son collègue.
ASL - Inspection de l'avion avant décollage
Ce dernier a entre-temps noté sur un bout de papier, fixé sur ses commandes de vol, les points clés du voyage : la quantité de fuel minimum nécessaire, les plans de diversion, le numéro de vol, les altitudes, etc. “J’écris aussi la procédure d’urgence au cas où un moteur lâche au décollage. Si cela arrive, je suis déjà prêt à agir. Ces infos sont contenues dans le plan de vol, mais ça m’évite d’aller le chercher à chaque fois”, détaille Xavier. À côté de lui, Charlie se munit d’une check-list et énonce une série de points à vérifier. Au total, en plus des différents check-up (relatifs à la météo, au kérosène, à l’avion en lui-même et à ses performances), le pilote et son “co-pi” parcourent au moins cinq check-lists ensemble avant le décollage, pour vérifier que tous les paramètres sont en ordre dans le cockpit.

”Le first officer vole autant que le commandant de bord”
“Voilà notre bureau”, lance le commandant de bord une vingtaine de minutes plus tard, alors que l’avion atteint son “altitude de croisière”. Le ciel encore noir s’étend devant le 737 – chargé de 20 tonnes de colis et de fuel – qui vole désormais à environ 800km/h. C’est Charlie qui s’occupe de la communication radio avec les contrôleurs aériens.
Xavier pointe le petit écran devant lui : “Comme on le voit sur l’ordinateur de bord, on va de point en point dans le ciel jusqu’à Vienne, selon la route qu’on nous a fournie. On va par exemple passer au-dessus de Francfort, qui pourrait être une option d’atterrissage en cas de problème technique. Je sais qu’actuellement, la météo y est correcte et surtout, que les pistes sont ouvertes. Je suis allé vérifier ces infos avant de décoller”.
Un vol dans le cockpit d'un Boeing 737 d'ASL Airlines Belgium
Un peu après 5h du matin, Xavier annonce qu’il va préparer son approche et évalue les performances de l’avion. “On commence la descente à +/- 250 km de la ville”, indique-t-il, “J’ai pour habitude de dire que pour atterrir à Liège, il faut commencer sa descente vers Paris”. Qui dit phase de vol importante, dit check-list : les deux pilotes en consultent une à la descente et une avant d’atterrir.
Après presque 1h30 de vol, le Boeing 737 d’ASL Airlines Belgium se pose à l’aéroport de Vienne-Schwechat sans encombre, alors qu’il fait encore sombre dehors. “J’ai effectué l’atterrissage car la météo n’était pas si bonne ici, mais il faut savoir que le first officer vole autant que le commandant”, tient à signaler Xavier en sortant de la cabine après une ultime check-list.
Les compétences des pilotes sont évaluées tous les six mois
“Lorsque je pilote, je ne suis pas stressé dans le sens anxieux. C’est plutôt une sorte d’excitation, qui me pousse à être attentif à tout. Mais je n’ai pas peur de monter dans l’avion, ça non”, confie Charlie, dont les quelques mois passés chez ASL constituent sa première expérience de pilote de ligne. “C’est du bon stress, car il en faut quand même aussi”, renchérit Xavier, alors que les deux hommes montent dans le taxi qui les mène à l’hôtel.
Ce qui préoccupe davantage les deux pilotes, ce sont les examens réguliers. Tous les six mois, leurs compétences sont remises en question et ils peuvent perdre leur licence de vol en cas d’échec. C’est une des spécificités du métier, souligne le quadragénaire : “C’est le seul métier au monde où cela se passe comme ça. Il faut aussi savoir qu’un pilote qui vole avec différents avions doit repasser les examens pour chaque type d’appareil qu’il utilise. Charlie et moi, nous sommes qualifiés pour voler sur un Boeing 737, et si on voulait par exemple piloter un Airbus A320, on devrait suivre les cours théoriques, la pratique au simulateur et passer les tests. On ne peut pas changer d’avion comme ça, du jour au lendemain” .
En Belgique, il n’existe aucune école publique d’aviation, depuis la disparition de la Sabena. Les études sont donc dispensées au sein d’écoles privées, et cela a évidemment un coût : environ 90 000 euros. “Durant tes premières années en tant que pilote, tu continues en fait à rembourser ton prêt, la plupart du temps. Il faut du temps avant que ce job soit rentable”, signale Xavier, alors que Charlie ajoute : “C’est aussi un peu un pari de vouloir exercer ce métier. Le marché de l’aviation recrute par vague, et une place de pilote se libère quand une compagnie acquiert un nouvel avion ou qu’un pilote prend sa retraite. Si le marché est bouché quand tu sors des études, c’est un peu la galère”. Les deux membres d’ASL Airlines Belgium s’estiment heureux d’avoir trouvé du boulot dans cette compagnie, réputée dans le milieu de l’aviation et qu’ils jugent être “l’une des meilleures du monde”, en ce qui concerne le respect du personnel et des lois sociales notamment.

Les pilotes ont toujours un minimum de 11h de repos entre leurs périodes ou journées de vol. Ici, Xavier et Charlie en auront un peu plus, étant donné que le retour vers Liege Airport est prévu à 22h30. Arrivés à l’hôtel qu’ASLB leur a réservé, ils vont déjeuner ensemble. Chacun gère ensuite son temps comme il l’entend : du repos, du sport ou encore une promenade dans la capitale autrichienne.
Un rythme de vie à part, pour vivre un rêve d’enfant
À 21h, le taxi est de retour devant l’hôtel. Direction l’aéroport, où l’avion qui doit repartir à Liège est en train d’être chargé de containers. “Si on travaille de nuit, c’est pour que les gens reçoivent leur colis presque au réveil”, lance Xavier, avant d’ajouter en souriant : “En décembre, c’est la période la plus chargée pour nous, chez ASLB. À ce moment-là, je suis un peu le Père Noël pour ma fille.”
Cette fois, c’est lui qui prend en charge l’inspection de l’avion avant le décollage. “Et dire qu’on arrive à faire voler de tels appareils… C’est un rêve de gosse devenu réalité pour moi”, glisse-t-il, les yeux levés vers le Boeing. Pour le retour vers Liège, c’est Charlie qui sera le “pilote flying”. C’est lui qui prendra en main le vol, même si Xavier, dans le rôle de “pilote monitoring” pendant ce trajet, reste le commandant de bord, de par son expérience.
Avant de quitter l’aéroport de Vienne, les deux pilotes d’ASLB répètent les gestes effectués au vol aller : briefing, encodage des données dans l’ordinateur de bord, check-lists, etc. Tout est prêt pour le décollage, le vol et l’atterrissage, réalisé sans problème par Charlie, presque 1h30 plus tard.

Pour le jeune pilote, la nuit ne fait que commencer. Il reprend les airs vers Vienne, à nouveau, quelques heures plus tard : “Je vais refaire la même journée que celle qu’on vient de passer, je pars à 4h30 et je reviens le soir même”. Xavier, lui, a droit à un peu plus de repos avant de redécoller : “Je pars à Stansted, mais la piste est en travaux et fermée la nuit. Je ne peux pas partir avant 6h du matin”.
S’ils repassent par la Belgique entre leurs différents vols, les deux pilotes ne rentrent finalement pas souvent chez eux. Un rythme de vie auquel ils se sont adaptés, tout comme leurs proches.