Mais que se passe-t-il dans la grande distribution? "Le marché est saturé, les marges diminuent et Delhaize n’est pas un cas isolé"
La grève se poursuit chez Delhaize, mais aussi chez Intermarché. Le secteur est sous haute pression.
Publié le 27-03-2023 à 07h18
Ce mardi, un nouveau conseil d’entreprise se tiendra chez Delhaize. Avec une nouvelle prolongation du mouvement qui touche l’enseigne depuis plusieurs semaines à la clé ? Cela semble en tout cas être le scénario le plus probable, tant les syndicats ont la volonté d’aller au finish et le fossé semble géant entre les demandes des travailleurs des 128 magasins intégrés destinés à être franchisé, et la direction.
Depuis le départ de cette grève, beaucoup de choses ont été dites. Les versions des syndicats et de la direction de Delhaize sont évidemment différentes. Mais surtout, la population ne semble pas comprendre comment une entreprise qui a réalisé un chiffre d’affaires record durant les années Covid (et déjà avant) parle aujourd’hui de situation difficile.
Nous avons posé la question à Claude Boffa, professeur émérite professeur de marketing à la Solvay Brussels School. Fin février, il alertait déjà sur l’avenir du modèle sur lequel repose la grande distribution en Belgique et son avis n’a pas changé depuis lors. “Le marché est complètement saturé en Belgique, avance-t-il d’entrée. Si on fait le compte du nombre d’acteurs et du nombre de points de vente disponibles en Belgique et qu’on se rend compte que tous vendent la même chose avec une politique de prix les plus bas, on comprend directement que les marges sont de plus en plus réduites.”
"Les franchises? On ne peut pas imaginer de baisser de 10 % les salaires ou virer 10 % du personnel. Il faut donc trouver d’autres moyens, tout en gardant sa part de marché."
Et si les politiques de vente ne changent pas, il faut donc trouver de l’argent ailleurs. “Les négociations sont de plus en plus dures avec les fournisseurs. Les plus gros font des profits énormes et gardent la main dans les discussions, et les plus petits sont déjà “à l’os” et ne peuvent diminuer encore leurs marges, analyse Claude Boffa. Il faut donc diminuer les frais de fonctionnement pour rester dans le coup. Et quel est le poste le plus important pour une entreprise ? Le personnel. On ne peut pas imaginer de baisser de 10 % les salaires ou virer 10 % du personnel. Il faut donc trouver d’autres moyens, tout en gardant sa part de marché.”
C’est là que la franchisation entre en ligne de compte. “C’est une solution pour transférer le problème à un indépendant qui va devoir gérer son personnel lui-même. Mais, attention, tous les franchisés ne sont pas rentables pour autant. Mais ce n’est plus la responsabilité directe d’une grande entreprise et de son conseil d’administration…”
Tout le modèle est à revoir
Mais, franchisé ou pas, un magasin fait partie d’un modèle général qui court à sa perte, selon le spécialiste. “Il y a une mauvaise politique de vente en général, soutient-il. À force de faire du 1+3 gratuits, on ne fait plus de marge. Il faut aujourd’hui travailler sur la valeur qu’on apporte à ses clients.”
Cela semble logique, mais quels clients accepteraient aujourd’hui de voir les prix augmenter encore ? “C’est très difficile de convaincre des clients quand on augmente les prix, d’autant plus avec ce contexte très difficile. Mais cela fait des années que le problème existe, il y avait déjà des choses à faire avant la crise économique…”
Il pointe ainsi du doigt la politique menée par Delhaize depuis le rachat par les Hollandais Heijn. “Ce sont les Hollandais qui mettent la pression sur Delhaize pour accroître la rentabilité. Delhaize reste un gros acteur belge et a les armes pour se battre avec ses concurrents, mais doit aujourd’hui composer avec un propriétaire étranger qui demande des comptes, et une culture d’entreprise assez paternaliste. Les employés sont mieux payés qu’ailleurs, et les conditions de travail y sont meilleures également, mais les Hollandais veulent des résultats chiffrés.”
Et les autres magasins ne sont pas épargnés non plus. Les magasins du groupe Mestdagh repris par Intermarché sont secoués par un mouvement, notamment. “Carrefour, Colruyt et les autres sont aussi concernés par tous ces problèmes et risquent de devoir prendre des décisions dans les mois et années à venir.”