Les dérives de l’industrie du cacao : “Aujourd’hui, c’est 1,56 million d’enfants qui travaillent illégalement”
Dans l’industrie du cacao, fabriquer du chocolat sans esclavage est un exploit, et non une norme…
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Publié le 30-03-2023 à 11h30 - Mis à jour le 02-04-2023 à 11h20
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Un Belge mange environ 6 kg de chocolat par an. Une petite douceur peut pourtant cacher de grandes atrocités. Travail des enfants, esclavage moderne, déforestation…
C’est à partir de ce constat que le journaliste néerlandais Teun van de Keuken crée en 2005 la marque de chocolat équitable Tony’s Chocolonely. Avec un chiffre d’affaires de 133 millions d’euros en 2022, l’objectif de l’entreprise est clair mais ambitieux : éradiquer l’esclavage de l’ensemble des entreprises de chocolat dans le monde. En plus de sensibiliser les chocolatiers aux inégalités au sein de l’industrie du cacao, la marque – qui emploie aujourd’hui 250 personnes dans le monde – montre que le chocolat peut être fabriqué autrement, tant au niveau du goût que de la coopération avec les cultivateurs. Ces derniers touchent un salaire décent pour leur cacao 100 % traçable.
Interview avec Joke Aerts, “inspire to actress” chez Tony’s Chocolonely, pour qui un chocolat non équitable “devrait être choquant”.
À l’heure actuelle, quelles dérives constatez-vous dans l’industrie du cacao ?
Il y a d’abord le travail illégal des enfants, ce qui est de l’esclavage moderne. Il s’agit d’enfants qui font du travail trop lourd et trop dangereux qui les empêche d’aller à l’école. Il y en a beaucoup : aujourd’hui, c’est 1,56 million d’enfants qui travaillent illégalement en Afrique de l’Ouest. Le taux moyen de travail des enfants dans l’industrie du chocolat est de 46,5 % et ce sont 30 000 personnes qui sont victimes d’esclavage moderne dans les plantations de cacao. Ce n’est pas que les cultivateurs veulent que leurs enfants travaillent… c’est à cause de la pauvreté : 60 % du cacao vient du Ghana et de la Côte d'Ivoire en Afrique de l’Ouest. Les agriculteurs ne gagnent pas assez pour leur petite entreprise. Et puis, il y a la déforestation. Le Ghana et la Côte d'Ivoire connaissent des taux de déforestation particulièrement alarmants. Au cours des 30 dernières années, on estime que le Ghana a perdu 65 % de ses forêts, tandis que la Côte d'Ivoire en a perdu environ 90 %.

Quelles évolutions observez-vous ces dernières années ?
Il y a beaucoup plus d’intérêt sur la question de traçabilité. Les consommateurs veulent de plus en plus savoir d’où vient leur cacao. La réalité est que la majorité du cacao n’est pas traçable. En Côte d'Ivoire, 55 % du cacao vient d’agriculteurs qu’on ne connaît pas du tout. Il y a aussi plus d’intérêt pour payer correctement les agriculteurs. Chez Tony’s Chocolonely, nous proposons à tout le monde le modèle que nous avons créé avec Fairtrade : le modèle de Living Income Reference Price, qui calcule le revenu vital pour les cultivateurs de cacao. Ce revenu vital est 80 % supérieur au prix payé par les grandes entreprises de chocolat.
"Nous voulons un monde sans travail d’enfants, sans déforestation et sans pauvreté causée par l’industrie du cacao."
Pourquoi est-ce si difficile de tracer le cacao ?
Beaucoup de cacao commercialisé n’est pas traçable car il est illégal. Il s’agit de cacao issu de parcelles agricoles dans les forêts, qui sont normalement préservées. Ce manque de transparence est aussi lié au fait que peu de petits producteurs font partie d’une coopérative. Et puis, en tant que produit transformé, le cacao engage beaucoup d’acteurs. On perd très vite la traçabilité au fil du processus. Ce n’est pas comme une banane qu’on mange telle quelle.
À qui la faute ?
C’est un peu facile à dire mais c’est la responsabilité de tout le monde. Le travail des enfants est une violation des droits humains. C’est la responsabilité des gouvernements locaux et de tous les acteurs de la chaîne. Il y a des millions d’agriculteurs de cacao mais il y a des milliards de consommateurs de cacao. Au niveau des agriculteurs, nous encourageons une meilleure connexion entre les coopératives qui les représentent et au niveau des consommateurs, c’est aux marques de chocolat de prendre leur responsabilité. Nous voulons un monde sans travail d’enfants, sans déforestation et sans pauvreté causée par l’industrie du cacao.

Peut-on faire confiance à toutes les marques de “chocolat équitable” ? N’y a-t-il pas un risque de “fairwashing” ?
Le commerce équitable est une bonne idée… mais en tant que première étape. Des programmes sont mis en place avec les meilleures intentions, surtout chez les petits acteurs, mais ils ignorent la chose la plus importante de toutes : payer à un prix plus élevé les producteurs de cacao. Et c’est ça que Tony’s Chocolonely veut changer. Avec Tony’s Open Chain, les entreprises peuvent copier notre façon de travailler et rendre leur chaîne transparente, équitable et durable. En rejoignant le mouvement, ces entreprises – comme Ben&Jerry’s ou Aldi avec Choco Changer – s’engagent sur le long terme à mieux payer les producteurs de cacao.
La Belgique représente un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros pour Tony’s Chocolonely, soit environ 1,5 % de son chiffre d’affaires total. Pour mieux faire connaître sa mission à Bruxelles, l’entreprise y ouvre du 31 mars au 1er avril un pop-up consacré à ses missions, le “Free Chocolate Pop Up”. Les visiteurs y trouveront une multitude d’informations relatives aux abus réalisés dans l’industrie du cacao et… beaucoup de chocolats à déguster en connaissance de cause.
