"Le statut de lanceur d’alerte aurait pu me protéger des attaques venant de l’agence des médicaments"
Libre Eco week-end | Le dossier. Le témoignage d'Irène Frachon, la lanceuse d'alerte à la base de l'éclatement du scandale du Mediator en France, montre à quel point les lanceurs d’alerte ont besoin de protection.
Publié le 01-04-2023 à 14h05
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Irène Frachon est la lanceuse d'alerte à la base de l'éclatement du scandale du Mediator, en France. Son livre, Mediator 150 mg : combien de morts ?, finalisé en juin 2010, a dénoncé les dégâts provoqués par le Mediator, un coupe-faim produit par les laboratoires Servier.
Son témoignage montre à quel point les lanceurs d’alerte ont besoin de protection surtout quand ils s’attaquent à des firmes puissantes, comme le groupe français Servier.
Mais la directive européenne de protection des lanceurs d'alerte, transposée dans le droit belge, sera-t-elle suffisante ? "Je trouve intéressant de protéger les lanceurs d'alertes, répond Irène Frachon. Mais sera-ce efficace dans les faits ? Je ne sais pas. L'idéal serait d'évaluer l'efficacité de la législation d'ici deux-trois ans."
Rappelons qu’Irène Frachon n’était pas employée par Servier, mais un médecin en contact avec des patients victimes du Mediator. Dans ce cas de figure, une protection contre le licenciement de la part de l’employeur "dénoncé" ne changerait donc rien.
Utile contre certaines attaques
Mais cela ne veut pas dire que l'octroi du statut de lanceur d'alerte n'aurait pas été utile dans le cas du Mediator. "À la sortie de mon livre, j'ai fait face à des attaques violentes de la part de Servier mais aussi de l'agence française des médicaments, argumente Irène Frachon. Le fait de bénéficier du statut de lanceur d'alerte aurait peut-être pu me protéger des attaques venant de l'agence des médicaments."
Par ailleurs, Irène Frachon rappelle que les représailles vis-à-vis des lanceurs d'alerte peuvent être insidieuses. Or, il semble plus compliqué de protéger quelqu'un contre ce type d'agissements sournois. "Je ne vois pas en quoi le statut de lanceur d'alerte pourrait empêcher la mort sociale de quelqu'un", lâche-t-elle.
Et de donner quelques exemples de cette "mort sociale". "Alors que mon alerte a été reconnue comme légitime et que Servier a été condamné en première instance, j'ai globalement été rejetée par le milieu de la cardiologie française dont le sponsor majeur est Servier, explique-t-elle. J'ai découvert un médicament responsable d'une toxicité fréquente et totalement ignorée mais j'ai subi un rejet total et violent de la part du monde de la cardiologie. Les équipes de cardiologues qui se sont saisies de l'affaire du Mediator sont minoritaires."
Elle dénonce également le rôle joué par certains médecins, qui "ont refusé de prendre en charge les victimes du Mediator". "L'académie de médecine et l'institut Curie, très proches de Servier, continuent d'avoir des partenariats avec lui, ajoute-t-elle. Globalement, la communauté médicale française protège davantage Servier que ses victimes."
"Je ne vois pas en quoi le statut de lanceur d'alerte pourrait empêcher la mort sociale de quelqu'un"
Inverser la logique
Par ailleurs, la Française fait remarquer qu’il pourrait être utile d’inverser la logique.
"La loi dit : 'C'est bien qu'il y ait des lanceurs d'alertes, on va les protéger', développe-t-elle. Mais la loi ne semble pas considérer que l'alerte va de soi. Lancer l'alerte devrait être un devoir, plutôt qu'un sacrifice. Les médecins, par exemple, ont l'obligation de déclarer les cas de pharmacovigilance."
Enfin, Irène Frachon rappelle que le statut de lanceur d'alerte n'aurait pas pu empêcher l'attaque en justice lancée par Servier, au moment de la publication de son livre. "Mon livre a été censuré de juin à novembre 2010, suite à une action en référé lancée par Servier, rappelle-t-elle. En effet, j'ai été condamnée à payer 50 euros par livre, ce qui a empêché sa publication."
Elle salue le courage des plusieurs médias dont Le Figaro qui ont finalement débloqué la situation en enquêtant sur l'affaire.