Transition énergétique et dépendance aux métaux: "C’est très bien de vouloir faire propre chez soi mais les répercussions sont lourdes ailleurs"
Libre Eco Week-end | La demande en métaux va exploser, en lien avec la transition énergétique et les objectifs climatiques. Mais avec quelles répercussions ? Et quelles sont les différentes ressources disponibles en matière de terres rares ?
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Publié le 05-05-2023 à 13h07
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"Mines urbaines". L'expression est à la mode. Les mines urbaines sont les ressources que représente l'accumulation d'objets contenant des métaux et que l'on pourrait récupérer grâce au recyclage. Un recyclage indispensable. Mais peut-il être suffisant ?
"On est actifs sur le recyclage de terres rares, mais seulement quelques-unes, dont le néodyme et le dysprosium", lance à ce propos Pierre-François Bareel, ingénieur et CEO de Comet Traitements, basé à Obourg (Mons) et spécialisé dans le recyclage. Le groupe a développé un projet de recherche avec Toyota pour le recyclage des Prius, qui contiendraient environ 1,5 kilogramme d'aimants (avec néodyme et dysprosium donc).
"Nous avons mis le processus en place. Avec l'ULiège, nous avons un procédé qui permet de traiter 5 kg par jour. Mais le seuil de rentabilité est de 100 tonnes par an", alerte-t-il.
"Il faudra mobiliser autant de métaux en 25 ans que ce qui a été extrait depuis les débuts de l'humanité."
Donc les terres rares sont là, mais leur récupération reste trop peu rentable. Rappelons que ce sont quelques grammes qui sont présents dans les petits appareils électroniques ou les leds, et ce n'est pas beaucoup plus dans les écrans. Seuls les véhicules pourraient représenter un "intérêt" au niveau de la rentabilité, à condition d'avoir suffisamment de "retours". Doit-on consommer encore plus alors ? Ça semble paradoxal. "Je ne me positionne pas sur les aspects philosophiques. Mais d'un point de vue purement 'métallurgiste', la situation actuelle ne peut pas être rentable", lâche-t-il. Et si les trottinettes électriques ont un coût environnemental indéniable, "elles permettraient aussi, d'un autre côté, d'améliorer potentiellement la rentabilité de la filière du recyclage, avec les voitures et les vélos électriques", souligne-t-il. "Nous avons des projets logés dans le plan de relance. Nous allons voir si le marché peut être prometteur". Néanmoins, il souligne que la qualité moindre des matériaux utilisés dans les trottinettes réduit tout de même l'intérêt. "De plus, il n'y a qu'environ 200 grammes d'aimants à traiter. Donc il faut des milliers de trottinettes pour rentabiliser cette filière", lâche-t-il.
La mine urbaine ne suffira pas
"Il est essentiel de remettre dans la boucle les matières déjà achetées. Mais ça restera insignifiant pour le moment. Il y a tous ces impacts qu'on ne veut pas voir. C'est très bien de vouloir faire propre chez soi mais les répercussions sont lourdes ailleurs. La mine urbaine ne parviendra pas à alimenter l'ambition énergétique européenne. Il faudra mobiliser autant de métaux en 25 ans que ce qui a été extrait depuis les débuts de l'humanité. Certains le dénoncent depuis un moment, comme Aurore Stephant (ingénieure géologue spécialisée dans les mines et conférencière, NdlR) et bien d'autres", ajoute-t-il. Enfin, il avance que les réglementations européennes ne sont pas forcément appliquées de manière réellement contraignantes dans les différents pays.
Néanmoins, le fait que les entreprises soient de plus en plus soumises aux critères ESG (environnement, social et gouvernance) fait que les activités "responsables" pourraient devenir plus rentables et donc doper les activités de recyclage. "Ce qui permet à Comet de s'adresser directement aux constructeurs par exemple". Tout n'est pas noir. "Il n'y a pas encore de business plan rentable, mais les changements sont en cours", lance-t-il.
D’autres ressources identifiées ?
Depuis quelques années, les puissances, dont la Chine et les États-Unis, s’intéressent de près au Groenland, qui serait une réserve très importante en terres rares. Néanmoins, bien qu’autonome, le territoire n’est pas totalement indépendant du Danemark, qui a encore son mot à dire par rapport aux extractions et l’exploitation des sous-sols. Les enjeux sont donc importants, en termes d’autonomie, d’économie, de géopolitique et de respect de l’environnement pour ce territoire gigantesque qui ne compte que 56 000 habitants.
En Europe, ce sont la Norvège et la Suède qui disposent des plus grandes réserves du continent, bien qu’assez limitées. La France dispose de quelques gisements mais à la densité assez faible. Elle pourrait exploiter des ressources sous-marines au large de ses îles dans le Pacifique grâce à l’exploitation de nodules riches en métaux, mais la rentabilité d’un tel procédé reste loin d’être garantie.
Quel rôle pour la Russie ?
Le plus grand pays du monde dispose également d’importantes réserves en terres rares. Mais elle ne s’y est pas positionnée de manière aussi importante que la Chine, puisqu’elle en produit dix fois moins. Néanmoins, la Russie a annoncé récemment vouloir renforcer sa production.
Reste à voir quels pays voudront bien lui en acheter, étant donné la situation géopolitique actuelle et la probable différence en termes de prix et potentiellement de qualité, vu leur positionnement tardif dans cette industrie qui nécessite des années avant de se développer pleinement.

Notre dossier spécial sur les terres rares:
- Terres rares : une dépendance encore trop forte au "dealer" chinois ?
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