Plus de 2 300 jours de grève et 150 millions de chiffre d’affaires perdus pour Delhaize ?
Delhaize annonçait son plan de franchise le 7 mars. Retour sur ce mouvement social sans précédent.
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Publié le 06-05-2023 à 08h42
Delhaize est au cœur de l’actualité depuis le 7 mars dernier, lorsque la direction a annoncé sa décision de franchiser les 128 supermarchés gérés en propre, de quoi mettre le feu aux poudres en balayant toute concertation sociale préalable. Qu’en est-il en ce début mai ?
Plus aucun supermarché n’est fermé depuis cette semaine en raison de mouvements de grèves ou de ses conséquences. Le 7 mars, 115 des 128 supermarchés ont spontanément arrêté le travail. Ils étaient encore 75 dans le cas le 1er avril, mais 46 le 3 avril. Le mouvement s’est ensuite étiolé. La direction a fait appel à la justice, ce qui lui a permis de faire lever les derniers piquets de grève sur injonction d’huissiers, soutenus par des forces de police.
Désormais, tout piquet de grève devant un magasin ou un dépôt est interdit. “La grève est-elle terminée ? Elle a été rendue impossible ! Delhaize a fait briser les piquets en achetant des juges. La situation actuelle est digne du XIXe siècle et risque de faire jurisprudence. On a brisé le droit de grève. Nous devons réinventer notre action, c’est vrai”, constatait cette semaine Myriam Delmée, présidente du SETCa, dans la DH.
Plus de 150 millions d'euros perdus ?
Selon les données fournies par Delhaize, les supermarchés ont cumulé 2 348 jours de fermeture entre le 7 mars et le 29 avril, dont 1 794 durant le seul mois de mars. Si le mouvement a été plus suivi à Bruxelles et en Wallonie, c’est parce que le personnel craint plus dans ces deux Régions de ne pas retrouver du travail qu’en Flandre en cas de licenciement par le futur franchisé, estime Wilson Wellens, responsable sectoriel national du syndicat libéral (ACLVB).
L’enseigne ne donne aucune information sur les répercussions financières de ces grèves. Un chiffre “d’au moins 75 millions” avait été évoqué fin mars dans Sudpresse.
Le chiffre d’affaires moyen d’un supermarché est estimé, selon certaines sources, à environ 65 000 euros par jour. Cela ferait donc environ 110 millions de pertes de chiffre d’affaires en mars et d’environ 150 millions pour les deux mois.
À cela s’ajoutent les pertes liées aux biens périssables qui n’ont pu être vendus et la non-disponibilité de produits dans les magasins ouverts. De plus, Delhaize a payé le salaire du personnel non gréviste, mais qui était présent sur son lieu de travail et astiquait par exemple les rayons. Tous ces éléments combinés laissent penser que la facture totale dépasserait les 200 millions d’euros pour un chiffre d’affaires annuel estimé à environ 6 milliards d’euros, tous magasins confondus, en 2021.
Bien entendu, une partie des pertes de chiffre d’affaires des supermarchés a été récupérée par le groupe Delhaize via les franchisés. Le report serait toutefois bien inférieur à la moitié de la perte de chiffre d’affaires des supermarchés, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions toutefois, ce que semble bien attester les gains réalisés par Carrefour et Colruyt au premier trimestre et particulièrement en mars. Les franchisés ont aussi pâti de problèmes de livraison lors du blocage de dépôts.
Absentéisme élevé
Le personnel de Delhaize a donc repris le travail, contraint et forcé, notamment pour des raisons financières. “Le taux d’absentéisme est élevé” assure Myriam Djegham, secrétaire nationale de la CNE. “Le personnel reste déterminé face au mépris de la direction. Il n’y a pas non plus d’adhésion au projet.” De plus, certains gérants de magasins sont candidats à la reprise du supermarché en tant qu’indépendant. Ils n’hésitent pas, parfois, à faire comprendre au personnel qu’il se souviendra de qui a travaillé et de qui a été en grève. “Il y a beaucoup de pression.”
Les clients de Delhaize ont-ils pour autant retrouvé le chemin de leur supermarché ? “Cela dépend des magasins”, reconnaît Roel Dekelver, porte-parole. “Beaucoup de clients restent solidaires du personnel”, ajoute Myriam Djegham. “Une grande partie des consommateurs finira par revenir” estime en tout cas Silvie Vanhout, Managing Partner chez Gondola Academy. “Pour un client, la commodité est très importante et si un supermarché Delhaize est le magasin le plus facile d’accès, il retrouvera le chemin du magasin.”
Où en est le plan de franchise, deux mois plus tard ? “Nous rencontrons les 200 candidats repreneurs”, informe Roel Dekelver, tout en précisant “qu’aucun contrat a été signé”. La volonté de Delhaize est toujours bien de franchiser ses 128 supermarchés.
La lumière au bout du tunnel ?
Mardi, la direction assurait cependant que les magasins qui ne trouvaient pas de repreneur resteraient ouverts jusqu’en 2028, ce qui signifierait peut-être que certaines marques d’intérêt pourraient ne pas se concrétiser. Le front commun syndical table en tout cas sur “une réduction drastique de l’emploi”, estimée à environ 6 500 postes (sur un peu plus de 10 000) dans les supermarchés si le plan aboutit.
Winston Wellens (ACLVB) veut encore croire que Delhaize et les partenaires sociaux trouveront un accord, même s’il n’entrevoit pas encore la lumière au bout du tunnel. “La paix sociale est importante. Sans paix sociale, il n’y a plus d’avenir pour Delhaize. Si Delhaize passe son plan de franchise sans accord, cela fera des dégâts sur sa réputation. C’est aussi dans l’intérêt des futurs franchisés d’avoir un personnel motivé et pas contraire.”
Il y aura aussi des choses à corriger dans la loi, pour éviter que des étudiants puissent à l’avenir se substituer à des grévistes. “Je suis convaincu que nous nous battons pour les bonnes choses.”
Pour beaucoup, Delhaize est en effet un cas d’école pour la concertation sociale, le droit de grève et le respect des travailleurs et de leurs droits.