Stefaan Decraene, le patron belge de Rabobank: "Les banques néerlandaises servent probablement d’exemples"
Depuis janvier dernier, le Belge Stefaan Decraene est devenu une figure incontournable du paysage bancaire néerlandais. Il est en effet le premier dirigeant étranger à accéder au sommet de la Rabobank, une puissante banque coopérative basée à Utrecht et Amsterdam et spécialisée dans les services financiers dédiés à l’agriculture et au secteur agroalimentaire. Entretien.
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Publié le 07-05-2023 à 13h53
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Rabobank en deux chiffres, c’est un total bilantaire de 600 milliards d’euros et un effectif de plus de 44 000 personnes. “Je ne suis pas quelqu’un qui a beaucoup changé d’employeur. Je suis restée 11 ans chez BNP Paribas après avoir quitté Dexia, où j’étais responsable de l’activité banque commerciale hors zone Europe. Près de 50 % de mon temps, je m’occupais de Bank of the West qui a été vendue. J’avais ainsi vendu… 50 % de mon job. J’avais déjà un numéro deux prêt à me succéder. À 58 ans, allais-je saisir d’autres opportunités chez BNP Paribas ou allais-je chercher à l’extérieur ? Et par hasard, le train Rabobank est passé”, nous explique-t-il.
Une vie de banquier passée en Belgique, en France et donc désormais aux Pays-Bas, qui permet à Stefaan Decraene de jeter un regard lucide sur les réalités bancaires de ces trois pays. “Aujourd’hui, j’ai deux jobs. J’essaie de diriger Rabobank avec mes collègues. Mais aussi de faire connaissance avec l’économie néerlandaise, avec les clients de la banque et les régions de ce pays”, précise-t-il.
Des journées menées au pas de charge, qui laissent peu de temps pour découvrir les charmes d’Amsterdam par exemple. “À l’exception de l’expo Vermeer, remarquable. Je travaille beaucoup mais je profite aussi de la vie, c’est possible.” Aux Pays-Bas, l’homme ne pouvait évidemment pas faire l’impasse sur le vélo. À son départ de BNP Paribas, ses collègues lui ont offert en septembre prochain une journée avec l’équipe Lotto Soudal en compagnie de deux coureurs professionnels. “Je vais devoir m’entraîner pour être capable de les suivre…”
Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter ce poste de CEO ?
Rabobank est focalisée sur l’agriculture. À n’importe quel âge, il faut s’intéresser à de nouveaux sujets. Le secteur agroalimentaire l’était pour moi. J’ai aussi été frappé par l’engagement des collaborateurs, le plus fort que je n’ai jamais vu dans ma carrière. C’est probablement lié au fait qu’ils travaillent pour une banque coopérative. Ce qui veut dire qu’à côté de la rentabilité, la banque doit aussi jouer un rôle sociétal. Elle a choisi quelques thèmes comme la transition énergétique mais aussi du monde agroalimentaire.
Enfin, je pense que je peux rendre Rabobank un peu plus efficace et ainsi terminer ma carrière comme CEO d’une très belle banque.
La victoire du BBB (BoerBurgerBeweging) aux dernières élections ne traduit-elle pas une résistance du monde agricole à cette transition ?
Tout le monde reconnaît l’objectif à atteindre d’une agriculture plus durable. La question est de savoir à quelle vitesse doit se faire la transformation. Pour des partis activistes, cela va trop lentement alors que pour un parti comme BBB, cela va trop vite. C’est au monde politique à trouver la bonne vitesse de transformation.
Aux Pays-Bas, il y a toujours beaucoup de personnes autour de la table. C’est un style de management très participatif qu’on appelle ici le polder model. Chez Rabobank, c’est encore plus le cas compte tenu de son statut de banque coopérative."
Au vu de la restructuration chez Delhaize, contrôlé par le groupe néerlandais Ahold, et chez ING dans le passé, on a parfois l’image d’un management plus direct, plus dur. Y a-t-il un style de management propre aux Néerlandais ?
Chez Rabobank, je ne constate pas ce management dur que vous évoquez. Les discussions avec les partenaires sociaux sont très constructives.
Aux Pays-Bas, il y a toujours beaucoup de personnes autour de la table. C’est un style de management très participatif qu’on appelle ici le polder model. Chez Rabobank, c’est encore plus le cas compte tenu de son statut de banque coopérative. Chez BNP Paribas en France, il y avait moins de personnes autour de la table et toujours un patron pour diriger la réunion. Le côté participatif a des bons côtés mais il demande parfois plus de temps pour aboutir à des résultats. Il ne garantit pas une efficacité à 100 %.
Votre mission est donc d’apporter une meilleure efficacité ?
Rabobank est une très belle banque, comprenant trois pôles : la banque de détail, une société de leasing, la banque “de gros” pour le secteur agroalimentaire. J’ai reçu comme mission d’appliquer une stratégie de développement commercial et de rendre la banque un peu plus efficace. On a un ratio coûts/revenus qui dépasse les 65 %. C’est trop élevé.
Vous voulez surtout grandir à l’international ?
À l’international mais aussi aux Pays-Bas, même si nous y sommes déjà numéro un.
Et quelles sont vos ambitions en Belgique ? Pourquoi avoir arrêté la banque de détail en ligne ?
Cette banque en ligne avait été lancée pour attirer des dépôts à l’époque où la banque avait besoin de plus de liquidités. Aujourd’hui, elle en a en suffisance. On n’a donc pas l’intention de relancer ce créneau. Rabobank reste présente en Belgique au niveau de la banque de gros en agroalimentaire et du leasing. Au total, elle y compte environ 200 collaborateurs.
Y a-t-il des dossiers d’acquisitions que vous regardez de près ?
Au cours de ces dernières années, Rabobank a réduit sa présence à l’international, là où elle n’avait pas une taille ou une rentabilité suffisante. La croissance à venir sera donc plutôt organique. Je n’ai pas de dossier d’acquisitions en vue, et certainement pas en Belgique. Nous n’avons pas l’intention d’acheter des banques retail.
Sur le plan international, notre priorité vise le secteur de l’agroalimentaire.
La tarification des moyens de paiement, comme les cartes de débit et de crédit, est extrêmement basse en raison notamment des mesures imposées par le gouvernement. Par rapport à d’autres pays comme l’Espagne, c’est un multiple de 5-6."
Quelles différences voyez-vous entre les marchés bancaires néerlandais et belge ?
Aux Pays-Bas, il y a quatre grandes banques : ABN Amro, ING, Rabobank et Volksbank. Elles sont toutes dans des mains néerlandaises, ce qui est assez remarquable. En Belgique, deux des quatre grandes banques, BNP Paribas Fortis et ING, sont dans des mains étrangères.
Les banques néerlandaises sont très numérisées. La restructuration du réseau est déjà réalisée. Les Pays-Bas servent probablement d’exemple pour beaucoup d’autres pays où le secteur bancaire se demande comment rationaliser son réseau et pousser plus loin la numérisation. Nous avons aujourd’hui seulement 128 agences, pour tout le territoire néerlandais.
Comment expliquez-vous que le secteur bancaire néerlandais soit en avance sur ce point ?
La tarification des moyens de paiement, comme les cartes de débit et de crédit, est extrêmement basse en raison notamment des mesures imposées par le gouvernement. Par rapport à d’autres pays comme l’Espagne, c’est un multiple de 5-6. Sur nos 9 millions de clients, environ 5,5 millions sont totalement numérisés. Les banques étaient donc obligées de réduire leurs coûts. Chaque jour, il y a trois millions de visiteurs sur notre plateforme.
Qu’avez-vous appris chez BNP Paribas que vous pourriez mettre en application chez Rabobank ?
Quand j’ai quitté Dexia, je croyais que je savais tout du monde bancaire. Honnêtement, j’ai encore beaucoup appris chez BNP Paribas qui est une machine de guerre, en particulier concernant la gestion des risques crédits. J’ai beaucoup appris des missions d’implémentation de la compliance (NdlR : contentieux) chez BNP Paribas. Chez Rabobank, tout ce qui est KYC (NdlR : know your customer) est un point perfectible.
La compliance et le KYC sont des points faibles du secteur bancaire aux Pays-Bas ?
Il y a quelques années, Rabobank avait 106 licences bancaires. L’ancien CEO en a gardé une seule. Pour une banque qui a 9 millions de clients, cela prend du temps d’implémenter tous les systèmes de compliance, probablement un peu trop. Sous la houlette du régulateur AFM, on est en train de préparer un plan de remédiation qui doit être terminé fin de l’année prochaine. On a recruté un ancien de Deutsche Bank et Danske pour faire ce travail. Et le nouveau patron du risque vient d’ING. Il y a toute une nouvelle équipe qui se met en place.
“Il ne faut pas toucher à la garantie bancaire des 100 000 euros”
L’accident Credit Suisse et les difficultés de certaines banques américaines ont ravivé le spectre d’une nouvelle crise bancaire. Êtes-vous inquiet ?
Le Credit Suisse, c’est un contexte spécifique et une combinaison de beaucoup de mauvaises nouvelles depuis un certain temps déjà… En Belgique, aux Pays-Bas et en France, nous avons des banques de détail qui s’appuient sur un très grand nombre de dépôts de montants relativement limités. C’est cela qui confère de la stabilité à une institution. C’est beaucoup moins le cas aux États-Unis où les récentes faillites ont rappelé qu’un certain nombre de banques n’ont pas énormément de dépôts.
Quand je regarde les ratios de solvabilité et de liquidité de Rabobank, je suis rassuré. Les épargnants savent qu’une garantie de dépôts existe, en tout cas en deçà des 100 000 euros, ce qui concerne quand même beaucoup de gens. Il ne faut surtout pas toucher à cette garantie. Nous voyons d’ailleurs nos dépôts augmenter et une enquête a démontré que la confiance de la population dans le secteur bancaire était assez élevée.
La gestion des risques crédits reste sous contrôle. Notre portefeuille de crédits aux agriculteurs pourrait, lui, légèrement diminuer : il y a plusieurs dossiers agricoles sur la table du gouvernement, qui n’avancent pas beaucoup. Et cela crée une certaine incertitude chez les agriculteurs qui se demandent s’ils auront encore la possibilité d’élargir leurs activités. Avec la digitalisation croissante, nous verrons à l’avenir si des réglementations supplémentaires sont nécessaires. C’est le travail des régulateurs et il est normal qu’ils nous posent des questions.
Ici aux Pays-Bas, et cela dépasse le cadre bancaire, on adore la réglementation… Si l’Europe sort quelque chose, on aime bien ici rajouter une couche de régulation : les Pays-Bas veulent être les premiers de la classe en la matière."
Les banquiers belges se plaignent souvent d’une inflation de régulations. Est-ce aussi votre cas ?
Ici aux Pays-Bas, et cela dépasse le cadre bancaire, on adore la réglementation… Si l’Europe sort quelque chose, on aime bien ici rajouter une couche de régulation : les Pays-Bas veulent être les premiers de la classe en la matière. Et chez Rabobank, on rajoute encore une couche supplémentaire… Chaque activité bancaire est décrite au travers de processus très détaillés. Cela me frappe quand je compare avec d’autres marchés. Regardez la réglementation sur les crédits hypothécaires : elle est beaucoup plus stricte aux Pays-Bas qu’en Belgique.
Comment le contexte de hausse de taux affecte-t-il une banque comme Rabobank ?
Nous avons été confrontés pendant plusieurs années à un contexte de taux très bas. Maintenant les taux remontent, ce qui va améliorer les marges d’intérêt sur les dépôts et aura un effet positif sur les résultats des banques. Aux États-Unis, il semble que nous arrivons à la fin du cycle de hausse des taux. En Europe, il y aura encore probablement quelques hausses de taux dans les mois qui viennent. Nous verrons…
Rabobank est-elle toujours présente dans le capital de Triodos ?
Oui avec une participation de l’ordre de 4 %. Aujourd’hui, nous gérons ce dossier en bon père de famille.
Un commentaire sur la possible prochaine vente de la banque Degroof Petercam ?
Chaque année, la question se pose de la restructuration du capital de la banque Degroof Petercam. C’est une banque de niche et ce n’est pas un dossier qui est sur mon bureau. Vous savez, chaque banque doit avoir un focus. Celui de la Rabobank, c’est d’être actif dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire. C’est dans notre ADN et nous n’avons pas vocation à nous diversifier dans les métiers de la banque d’affaires.