Comment Francis Bouygues est devenu l’Entrepreneur du siècle dans le domaine de la construction
Eco$tory | L’homme d’affaires a consacré sa vie à bâtir un empire de béton et de télécommunications dans le monde. Son secret ? La diversification.
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Publié le 15-05-2023 à 14h11
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”Je n’ai pas de collègues, rien que des concurrents”, disait de son vivant Francis Bouygues. Avec son entreprise, l’homme d’affaires au caractère fort et aux tendances mélomanes a bâti un empire de béton qui pèse aujourd’hui plus de 44 milliards d’euros de chiffre d'affaires. Initialement actif dans le secteur de la construction, le groupe Bouygues développe désormais des activités dans les énergies, les médias et les télécommunications. Il est présent dans plus de 80 pays et emploie plus de 196 000 personnes. L’entreprise, qui présente ses résultats du premier trimestre ce mardi, rencontre un succès qui semble infaillible depuis sa création il y a 70 ans.
C’est en région parisienne que l’ingénieur Francis Bouygues emprunte 12 000 francs à son beau-père pour créer une entreprise en 1952 : la firme est à son nom et est spécialisée dans les travaux industriels et le bâtiment. Quatre ans après, l’entrepreneur commence déjà à diversifier ses activités et se lance dans l’immobilier. Il inaugure alors la culture du business qui fera l’identité du groupe pour le reste de son histoire.
La super-machine de la diversification est donc lancée en 1956 et les succursales se multiplient au fil des années : création d’une filiale dans la préfabrication industrielle en 1959, lancement de l’Ordre des Compagnons du Minorange pour promouvoir l’élite des chantiers en 1963, développement des activités de génie civil et de travaux publics en 1965… En copiant la préfabrication automobile, Francis Bouygues met au point une méthode d’industrialisation qui permet de livrer rapidement des bâtiments à moindres coûts. Une stratégie grâce à laquelle le groupe s’impose dans le secteur des logements sociaux : il en construit près de 20 000 au cours des années 1960.
Les investisseurs sont épatés par la sulfureuse expansion de l’entreprise, dont l’introduction à la Bourse de Paris a lieu en 1970. Une étape qui permet à Francis Bouygues de toucher un chèque de 500 millions de francs alors que l’entreprise génère un chiffre d’affaires de 2 milliards de francs. L’entrepreneur est désormais millionnaire.
Ami de l’Étranger
Les années 1970 marquent l’internationalisation du groupe Bouygues. Insatiable, il traverse pour la première fois les frontières françaises, notamment au Moyen-Orient avec la construction du complexe Olympique de Téhéran (Iran) en 1972. Le groupe engendre rapidement un effet “tache d’huile” et crée ses premières filiales locales à l’étranger à partir de 1975.
Le groupe accomplit également plusieurs livraisons prestigieuses à partir des années 1970 qui alimentent sa popularité à Paris et ailleurs. Parmi elles figurent le Parc des Princes, le Palais des Congrès, le musée d’Orsay, la deuxième aérogare de Roissy… mais aussi un pont au Koweït, une université en Côte d'Ivoire, une autre en Arabie saoudite ou encore un terminal méthanier en Corée du Sud.
Le secret de la productivité de l’entreprise ? 80 % de son personnel sont des travailleurs immigrés. “Les étrangers sont des gens qui ont beaucoup de qualités”, affirme en 1969 Francis Bouygues lors d’une interview. “Et ils ont une qualité fondamentale qui pour moi, employeur, a toute ma sympathie, c’est que s’ils viennent chez nous, c’est pour travailler.”

Élu “Manager de l’année” par Le Nouvel Economiste en 1982, Francis Bouygues complète ses deux premières acquisitions deux ans plus tard : l’entreprise ETDE qui transporte et distribue des énergies et la société Saur spécialisée dans la distribution d’eau en France. Les années 1980 marquent également le lancement de la marque Bouygues Immobilier et l’acquisition du groupe Screg (Société chimique routière et d’entreprise générale).
La participation cruciale dans TF1
Avec ce dernier, Bouygues est désormais le numéro 1 mondial du bâtiment et des travaux publics. À la même période, un nouvel acteur entre à son tour dans le giron du groupe : la chaîne de télévision TF1. La diversification prend un autre tournant… qui se révélera déterminant pour la montée en puissance de Bouygues et sa popularité auprès du grand public.
En 1988, le groupe inaugure son nouveau siège social à Saint-Quentin-en-Yvelines. Avec son harmonie architecturale, ses cours intérieures, ses jardins et ses bassins, le bâtiment nommé “Challenger” a l’allure d’un château de Versailles du 20e siècle et symbolise la réussite de Francis Bouygues.

Une Palme d’Or et des médias
En 1989, Francis Bouygues, affaibli par la maladie, remet son mandat au Conseil d’administration du groupe et propose que son fils cadet Martin en devienne le directeur général. Outre l’implantation du groupe en Russie et en Thaïlande, l’arrivée du nouveau patron est caractérisée par la production de longs métrages avec la création de la société Ciby 2000, qui remporte en 1993 une Palme d’Or au festival de Cannes pour "La Leçon de Piano" de Jane Campion et le César du meilleur film étranger pour "Talons aiguilles" de Pedro Almodóvar. La même année, Francis Bouygues décède à l’âge de 71 ans. Ciby 2000 fermera ses portes cinq ans plus tard.
À cette période, l’entreprise Bouygues se fraie progressivement mais solidement une place dans le secteur de l’information et de la communication. Au niveau des activités médiatiques, “LCI”, filiale de TF1 qui en reprend l’identité visuelle, est lancée en juin 1994 et devient la première chaîne européenne d’information en continu. L’année d’après, le site Internet de TF1 est inauguré. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel renouvelle d’ailleurs en 1996 l’autorisation de diffusion de TF1 pour cinq ans.

Du côté des activités de télécommunications, Bouygues est désigné en 1994 opérateur mobile du troisième réseau de téléphonie. Sa filiale télécoms, lancée en 1996, accueille son deux millionième client en 1999. Trois ans plus tard, en novembre 2002, la filiale lance le premier internet de poche avec son service mobile “i-mode”. Une innovation remarquable pour l’époque : plus de 80 sites web y sont référencés. Le cap des 100 000 clients sera atteint en février 2003.
Toujours dans les années 1990, le groupe continue en parallèle à étendre ses activités dans le domaine de la construction, notamment de pipelines sous-marins avec la construction du tunnel sous la Manche en 1993. Il construit également en 30 mois le Stade de France en 1997, alors qualifié de “plus beau stade du monde”. Un an plus tard, les Bleus y remporteront la Coupe du Monde de Football. La filiale Bouygues Construction voit le jour en 1999 et est encore leader du secteur à ce jour.
Un empire dynastique
Bouygues Telecom devient un fournisseur d’accès internet pour les entreprises en 2007 et pour les particuliers en 2008. La filiale bouscule le marché l’année suivante avec son offre Ideo, premier service à offrir à la fois l’Internet, la téléphonie fixe, la téléphonie mobile et la télévision. Le groupe parle sur son site d’une “deuxième naissance” pour Bouygues Telecom “qui veut être un agitateur de marché”. Depuis, la filiale a expérimenté la télévision numérique hertzienne (2005), s’est lancée la même année dans le Haut Débit national sur son réseau Edge (couvrant ainsi 85 % de la population française) et a investi dans la 4G (depuis 2013).
Le tournant vers le 21e siècle se caractérise également par l’acquisition en 2000 de 96,5 % du capital de Colas pour le groupe. L’entreprise de travaux publics, filiale de Bouygues Construction, se lance dans le ferroviaire en 2007, s’implante en Australie et aux Antilles en 2008, acquiert la Société de la Raffinerie de Dunkerque en 2010. Elle devient également pour le groupe un puissant vecteur d’expansion extérieure en augmentant sa présence en Europe (Royaume-Uni, Hongrie, Islande) et surtout en Afrique (Algérie, Maroc, Togo ou encore Côte d'Ivoire). Aujourd'hui, Colas représente un chiffre d'affaires annuel de 15 529 millions d'euros pour Bouygues.
Plus récemment, le groupe Bouygues a acquis en 2022 Equans, leader mondial du secteur des énergies et services, pour un montant de 7,1 milliards d’euros. Combiné aux chiffres de Bouygues Energies&Services, l’entreprise représente un chiffre d’affaires annuel de plus de 17 milliards d’euros, devenant le deuxième poids lourd de Bouygues, devant Bouygues Telecom et TF1. Rajoutant cette corde à son arc, le groupe Bouygues peut encore mieux accomplir sa mission “d’apporter le progrès humain dans la vie quotidienne au bénéfice du plus grand nombre”.

Si la réussite de Bouygues semble irréfutable, le groupe s'est toutefois retrouvé au cœur d'une polémique en 2008. Alors qu'il est en charge du coulage du béton sur le chantier du réacteur EPR de Flamanville, l'Autorité de Sureté Nucléaire constate d'importantes anomalies et décide de suspendre les opérations. Si l'information est reprise par plusieurs médias, elle ne figure pas dans les titres d'actualité du journal télévisé le plus regardé de France, celui de TF1...
Élu à titre posthume “Entrepreneur du siècle dans le domaine de la construction” par L’Usine Nouvelle en 1999, Francis Bouygues laisse derrière lui un empire dynastique dirigé par deux de ses quatre enfants : Martin Bouygues en est le président et Olivier y est administrateur. Leur fortune est estimée à près de deux milliards d’euros selon le magazine Forbes.