"15% des morceaux qui existent ont été générés par l'IA": Un défi énorme pour la protection des droits des créateurs ?
La Sabam publie des résultats 2022 à l’équilibre, après une année 2021 particulièrement difficile. Entretien avec le CEO, Steven de Keyser.
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Publié le 15-05-2023 à 08h20 - Mis à jour le 15-05-2023 à 10h32
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Les artistes belges voient-ils le bout du tunnel ? Pendant la pandémie de Covid-19, le secteur culturel a plus que souffert. Du côté de la Sabam (Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs), qui publie ses résultats financiers ce lundi, on arrive enfin à des résultats financiers similaires à ceux de 2019. “Mais c’est sans prendre en compte l’inflation”, nous glisse son CEO, Steven de Keyser, arrivé à la tête de l’entreprise en décembre 2021.
En 2022, la Sabam a donc récolté 163,1 millions d’euros (+23 % par rapport à 2021) et en a réparti 115,1 millions à ses membres, après avoir retiré les coûts de fonctionnement. “On essaie d’arriver à 15 % de coûts”, nous précise le dirigeant.
Enfin, tous les auteurs ne sont pas logés à la même enseigne dans cette période “post-Covid”. Le “live” souffre encore, en particulier pour les artistes qui ne bénéficient pas d’une grosse notoriété.
Pour la Sabam, les défis restent donc nombreux. Et en particulier dans les négociations qu’elle tient avec les diffuseurs, comme la RTBF, et les plateformes de streaming, comme Spotify. Entretien.
Financièrement, vous retrouvez un bol d’air après des années difficiles ?
Nous atteignons l’équilibre au niveau financier, alors qu’on accusait une perte de plus de 5 millions d’euros en 2021, ce qui est énorme pour une PME comme la Sabam. Notre bilan affiche un résultat bien plus positif mais c’est grâce à la plus-value générée par la vente de notre ancien immeuble.
Qui sont vos membres ?
On a parmi nos membres des personnes comme Stromae, Angèle, mais aussi des auteurs de musique, de théâtre, des arts visuels et audiovisuels. On touche à tous les domaines. On travaille avec des gens qui font des documentaires, qui peuvent passer sur Arte, TF1, la RTBF ou même avec toute l’offre non-linéaire (contenus proposés à la carte, comme Netflix etc., NdlR) aussi. On frappe à la porte des streamers. Les auteurs touchent à plusieurs domaines aujourd’hui. Il y a aussi les podcasts et le gaming. Ce dernier est un secteur où les auteurs se voient souvent acheter leurs droits et ne touchent rien sur les jeux qui ont parfois du succès. Notre rôle est aussi de défendre ces artistes dans ces deals.
"15% des titres qui existent ont été créés par l'intelligence artificielle !"
Quels sont les défis pour la Sabam ?
On voit bien que la vente de CD a chuté, les vinyles sont une exception de niche… On pourrait se contenter de faire ce qui a toujours été fait. Mais non. Il faut le faire de manière plus efficace et aller frapper à toutes les portes. Et on travaille de manière organisée avec d’autres organisations à l’étranger pour y arriver. C’est là qu’on peut faire la différence pour nos auteurs.
Les technologies bouleversent votre activité ?
Le monde évolue très vite. Il y a l’intelligence artificielle qui crée également énormément de contenus. Sur les 100 millions de titres répertoriés dans le monde – c’est une estimation, mais ça correspond actuellement à environ 5 000 titres créés par jour – environ 15 % déjà ont été créés par Boomy ! C’est un outil qui utilise l’intelligence artificielle, mais qui s’inspire donc d’œuvres d’artistes humains, pour créer des contenus. C’est un défi énorme.
15 % de tous les morceaux qui existent et qui ont été créés depuis des décennies sont issus de l’IA ? C’est énorme… Est-ce que ça met en danger la création humaine ?
Je ne suis pas nécessaire pessimiste… Il y aura toujours une volonté d’œuvre “émotionnelle”, le live… Et ça peut être une source de revenus… Mais comme dans toute évolution, il y a des avantages et des risques. Il faut les anticiper.
Mais il faut reverser des droits dans ce cas…
Oui… La Commission européenne s’est réveillée à ce propos. Mais ça va vraisemblablement prendre du temps. Donc on doit agir maintenant, même si le contexte réglementaire n’est pas clair. Le monde change tellement vite, on ne peut pas attendre que la législation aille aussi vite.
Le “live” n’est pas rétabli en 2022. Pourquoi ?
Ce qu’on a vu, c’est que les gros événements sont revenus, avec les impacts positifs que ça a sur les revenus dans l’entièreté. Mais les auteurs belges, qui n’ont pas nécessairement une audience mondiale ou ne sont pas présents sur les gros événements, c’est autre chose. Les événements de taille plus modeste continuent à souffrir.
"C'est une économie qui va continuer à grandir. Notre risque, c'est de passer à côté de la valorisation"
Vous touchez combien sur des événements comme Tomorrowland et Dour ?
On a un pourcentage sur le chiffre d’affaires et on négocie. Mais il y a des barèmes, pour éviter toute discrimination. Et on a un outil de “fingerprinting” pour faire l’inventaire de ce qui a été joué et on le compare avec notre répertoire. Mais c’est un petit pourcentage.
En dessous de 1 % ?
Disons qu’on n’est pas en dessous de 1 % mais on n’est clairement pas à 10 %. C’est un petit pourcentage.
Vos revenus liés au streaming ont augmenté de 45 %. Vous avez réussi à vous faire entendre par les plateformes ?
Le marché belge reste difficile dans le streaming. On consomme moins que dans les pays du nord. Et on utilise beaucoup plus souvent des souscriptions gratuites. Ce qui fait que les revenus de l’online en Belgique sont plus modestes. Mais nous sommes entrés dans une alliance européenne – nommée Ice -, ce qui nous a permis d’avoir de meilleurs tarifs avec Spotify, etc.
Quelles sont vos relations avec l’Horeca ?
Les gens doivent comprendre qu’ils achètent un vrai service. On doit changer la façon d’interagir. La musique, dans l’Horeca, favorise la consommation. Des études le montrent. C’est un investissement. On est un peu le Netflix de l’utilisation publique de la musique. Mais tous ne se rendent pas compte que pour utiliser Spotify dans leur restaurant ou salon de coiffure, il faut rétribuer les auteurs. Alors que se brancher sur Spotify, c’est facile. Nous avons donc commencé les discussions avec Spotify. On voudrait qu’ils créent un abonnement pour les bars, restos etc. Ça serait plus simple et ça changerait notre relation avec l’Horeca également.
Quels sont vos autres défis à l’avenir ?
Il y a la relation avec les radiodiffuseurs, avec Auvio (RTBF), etc. Les radiodiffuseurs donnent l’impression qu’il n’y a pas de coûts, que c’est gratuit. Mais ça ne l’est pas. Il y a une forte hausse de la création de contenu mais ils ne reversent pas ce qu’il faut aux artistes.
Vous discutez avec la RTBF par exemple ?
Oui. On négocie. Mais eux aussi ont leurs revenus sous pression et avancent ne pas pouvoir payer les montants demandés…
Quelles sont vos discussions ?
La question est surtout sur le non-linéaire. Ils produisent et diffusent des contenus mais disent ne pas toucher plus de revenus. Mais c’est à eux de réfléchir. S’ils utilisent plus de contenus pour leurs productions, à un moment, il y a un prix à payer. Ce sont des débats de bonne guerre, pas toujours faciles mais on essaie de trouver des solutions et on s’écoute.
Ça pourrait changer complètement la donne… Une émission, un programme, qui n’a pas eu beaucoup de succès en linéaire mais qui pourrait exploser en non linéaire… Ça pourrait être complètement différent.
Oui. Et nous, on essaie d’obtenir une rémunération correcte pour nos auteurs. Malheureusement, la façon par laquelle nous devons capter cet argent nous met souvent dans un modèle conflictuel. Mais c’est là que l’on doit être créatif et désamorcer ce conflit. Mais on l’a vu avec le piratage et le téléchargement illégal dans les années 2000. Il y a eu un changement de mentalités. Il y a beaucoup d’évolutions. Et il faut défendre les intérêts des créateurs, face aux diffuseurs, à l’IA… c’est très important pour notre monde. Et c’est une économie qui va continuer à grandir. Notre risque, c’est de passer à côté de la valorisation.