La présidente de bpost "n'est pas une marionnette du PS"
Audrey Hanard est auditionnée ce mardi en Commission parlementaire. Ce sera l’occasion de répondre aux critiques dont elle fait l’objet. Portrait.
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Publié le 16-05-2023 à 08h03 - Mis à jour le 16-05-2023 à 09h28
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Mercredi 10 mai, 10 heures. Audrey Hanard donne le coup d’envoi de l’assemblée annuelle de bpost devant quelques rares actionnaires dépités de suivre toutes ces “affaires” qui ont fait chuter le cours de bourse à un plancher historique. Cette jeune femme de 37 ans, mère d’une petite fille de cinq mois, a un visage serein et souriant. Comme si de rien n’était. Comme si les critiques dont elle fait l’objet la touchaient à peine. Une zénitude sans doute un peu feinte car il se dit qu’elle serait quand même secouée par ce qu’on raconte sur elle et serait quelque peu anxieuse avant l’audition ce mardi en Commission parlementaire, où elle devra notamment justifier qu’elle a toujours agi en toute indépendance du PS dont elle doit sa nomination à la présidence de bpost.
Quand elle prend ses fonctions le 5 mai 2021, les avis sont pourtant unanimes pour saluer le beau coup de Paul Magnette. Celle qu’il a sortie de son chapeau renforce l’image d’un parti socialiste moderne, qui ne bombarde plus des apparatchiks du parti. Audrey Hanard représente cette nouvelle génération dynamique au même titre que le secrétaire d’État PS Thomas Dermine qui, comme elle, a étudié à la Solvay Brussels School et a travaillé pour le consultant McKinsey.
Elle remplace François Cornelis, l’ex-patron de PetroFina, poussé vers la sortie pour n’avoir pas réussi à améliorer la gouvernance complexe de cette entreprise publique, qui emploie 27 000 personnes en Belgique. Quand elle est contactée par un des ténors du PS, elle est elle-même surprise. Elle ne s’attendait pas qu’on pense à elle. Mais elle accepte, décidant de réduire à 50 % son temps consacré à son job de partner du consultant Dalberg à Londres, spécialisé dans les projets d’économie durable et inclusive.
Appel d’offres taillé sur mesure
Vivant entre Bruxelles et Londres, où est basé son compagnon, elle assume ses nouvelles fonctions dans la plus grande discrétion jusqu’au jour où on apprend qu’il y a des soupçons de collusion entre bpost et les éditeurs flamands de journaux (DPG Media et Mediahuis) concernant la concession pour la distribution de journaux. Tout laisse penser que l’appel d’offres a été taillé sur mesure pour que l’entreprise publique la décroche. Cette concession, en plus d’être un enjeu financier majeur puisqu’elle bénéficie d’un subside de 175 millions d’euros par an (ramené à 125 millions), est aussi un vrai sujet politique. Au sein du gouvernement, l’Open VLD voudrait raboter voire supprimer ce qu’il considère comme une aide d’État. Comme la N-VA, le parti d’Alexander De Croo rêve même d’une privatisation totale de cette entreprise encore détenue à 51 % par l’État fédéral.
Mais l’aile gauche du gouvernement - en particulier les socialistes et les Verts - reste convaincue que l’État doit continuer à financer une activité de distribution de journaux qui apporte un service à une population n’ayant pas facilement accès aux outils numériques et souvent située dans les coins les plus reculés de Belgique. Et qui -last but not least - génère des milliers d’emplois. Des arguments clés pour l’électorat de gauche.
Réunion avec Paul Magnette
Jusqu’à maintenant, cet “examen de conformité” a fait tomber trois têtes, dont celle du CEO Dirk Tirez, dont certains mails laissent penser qu’il était au courant d’irrégularités. Fera-t-il tomber celle d’Audrey Hanard ? C’est la question que certains se posent à la suite de révélations de contacts suivis entre elle et le cabinet de Pierre-Yves Dermagne (PS), le ministre de l’Économie compétent pour la concession des journaux. Des contacts révélés par la presse flamande, qui s’interroge sur l’indépendance de la jeune consultante par rapport au parti socialiste. D’autant qu’on a aussi appris récemment qu’une réunion avait eu lieu dans les bureaux de bpost en présence de Paul Magnette et d’Audrey Hanard. Cette réunion qui portait sur la stratégie de l’entreprise, a d’ailleurs valu une petite pique la semaine dernière de la ministre des Entreprises publiques, Petra De Sutter (Groen), qui a estimé que ce n’était “pas normal”. Ces propos ont été lâchés sous le flot des questions des journalistes présents à la Chambre, avant la très attendue audition de la ministre. Ils ont été peu appréciés dans le camp socialiste. Ce qui a d’ailleurs valu à Petra De Sutter d’avoir un petit mot d’explication avec son collègue vice-Premier socialiste Pierre-Yves Dermagne. Histoire de calmer le jeu au sein de la Vivaldi.
Alors Audrey Hanard est-elle suffisamment impartiale dans ce dossier ? N’a-t-elle pas joué un rôle qui l’obligerait à faire un pas de côté ? Elle va certainement essayer de démontrer ce mardi devant les députés qu’elle n’a rien à se reprocher. Contrairement à ce que d’aucuns insinuent, elle ne manquera pas de rappeler, avec les autres dirigeants auditionnés, qu’elle veut sortir tous les cadavres cachés dans les placards depuis des années.
Jugée “très intelligente” par son entourage, elle a compris, au fil des mois, que chaque mot doit être pesé. Elle veille à rester très floue à propos de ses contacts avec des ténors du PS. Sans manquer de lâcher, au détour d’une conversation à l’issue de l’assemblée, qu’elle n’a pas de carte du parti… Même si, concède-t-elle c’est le PS qui l’a choisie, comme du reste pour son mandat d’administrateur chez Proximus.
Des sources gouvernementales, autres que socialistes, assurent qu’elle n’est “pas une marionnette du PS”. Elle a la capacité à faire changer les choses”.
Un nouveau CEO à trouver
Dans le nord du pays prévaut néanmoins le sentiment qu’elle a politisé un dossier qui l’est déjà très fort et qu’elle est arrivée à la présidence d’une société cotée sans l’expérience nécessaire. Ce qui n’enlève rien à ses compétences de consultante, capable, toujours sur un ton très “sweet”, de tenir tête à des patrons vingt ans plus âgés qu’elle. “Il faudrait quelqu’un de neutre et avec une grande expérience comme Johnny Thijs” (l’ex-patron de bpost, NdlR), entend-on dire. Car les défis à relever sont nombreux. Le conseil d’administration devra bien un jour tourner la page des audits en montrant que l’entreprise a un avenir devant elle. Ce qui pourrait nécessiter des réductions d’emplois en Belgique. Mais, pour cela, il faut d’abord trouver un nouveau CEO. À l’assemblée, Audrey Hanard n’a pas pu donner le moindre timing à propos de la nomination. Arrivera-t-elle à trouver la perle rare dans le bourbier actuel avant les élections ? Pas évident…