Wizz Air pourrait proposer des vols entre Charleroi et l’Arabie saoudite : "On a plus de cinq ans d’avance sur Ryanair"
Evelin Jeckel est la responsable réseau de Wizz Air, deuxième plus importante compagnie à l’aéroport de Charleroi. Pour "La Libre", elle fait le point sur les projets de la low cost hongroise, dont son développement très rapide au Moyen-Orient. La Hongroise répond aussi aux critiques : plusieurs enquêtes de passagers plaçant Wizz Air comme "la pire compagnie d’Europe".
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Publié le 21-05-2023 à 13h57
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A 34 ans seulement, Evelin Jeckel a déjà un solide parcours dans le secteur de l’aviation. L’actuelle responsable du réseau de la compagnie hongroise Wizz Air est née en Hongrie, à quelques kilomètres de la frontière autrichienne. “J’ai fait toute ma scolarité en Autriche. Puis j’ai commencé à travailler dans le secteur des télécoms à Vienne. Mais mon petit ami, qui est devenu mon mari aujourd’hui, voulait absolument aller vivre dans un pays anglophone. Je l’ai donc suivi à Dublin où il a trouvé un job dans le secteur informatique”. Rapidement, Evelin Jeckel est contactée par Ryanair qui cherchait des profils parlant parfaitement l’allemand. “Au début j’étais sceptique, mais je n’ai pas regretté une seconde mon choix. J’ai découvert le secteur de l’aviation qui est devenue une vraie passion”.
Après avoir exercé différentes fonctions commerciales chez Ryanair, la Hongroise reçoit une proposition de Wizz Air, une autre compagnie low cost qu’elle rejoint en 2019. “Je ne voulais pas vraiment quitter Ryanair, mais j’ai compris que Wizz Air était beaucoup plus ambitieuse et cela a fait la différence”. De quoi aussi concilier boulot et son amour pour le voyage.
“Je peux explorer de nouveaux endroits en travaillant, ce qui est génial. Je vais dans des pays où je n’aurais jamais été par moi-même, comme l’Arabie saoudite ou le Pakistan. J’adore aussi faire des randonnées et découvrir des nouveaux restaurants avec mon mari”. La jeune femme a fait son trou dans un secteur encore largement dominé par des hommes. “C’est vrai que quand vous négociez avec des aéroports, il n’y a pas beaucoup de femmes autour de la table. Mais les choses évoluent positivement. Je suis convaincue que quand il y a une bonne diversité dans le management d’une entreprise, vous prenez de meilleures décisions”.
Wizz Air est la compagnie européenne qui connaît la plus forte croissance en Europe. Quel est le secret de cette réussite ?
On l’a vu avec le Covid ou la guerre en Ukraine : il faut pouvoir s’adapter très rapidement dans ce secteur et nous sommes très flexibles. L’Ukraine représentait un énorme marché pour nous. Nous avons d’ailleurs trois avions qui n’ont pas pu être évacués au début de la guerre et sont toujours bloqués à Kiev. Mais on a pu redéployer cette capacité vers d’autres marchés que ce soit en Roumanie ou en Italie. Nous sommes l’une des rares compagnies en Europe à avoir dépassé notre niveau d’avant Covid, avec une croissance de 70 % par rapport à 2019. Durant les crises, les gens sont très sensibles aux prix et cela profite aux compagnies low cost comme Wizz Air. On fait évidemment aussi très attention à nos coûts.
Vous arrivez d’ailleurs à avoir des coûts par billet d’avion inférieurs à Ryanair. Comment faites-vous ? Est-ce que vous sous-payez votre personnel ?
Non, c’est impossible de sous-payer les pilotes ou le personnel de bord car autrement vous ne recrutez personne, vu la concurrence actuelle sur le marché de l’emploi. On respecte les standards du secteur en la matière. Vous savez, le coût du personnel ne représente que 10 % de nos coûts totaux. Il y a d’autres choses. On négocie d’abord beaucoup les tarifs avec les aéroports. Mais ce qui fait vraiment la différence, ce sont nos avions (une flotte unique d’Airbus de la famille des A320, NdlR) qui sont plus grands que les Boeing de Ryanair. Chez nous, on peut mettre 220 sièges en moyenne par avion, chez Ryanair ils n’en ont que 189. On peut ainsi répartir nos coûts sur davantage de sièges.
Ryanair vient d’annoncer une commande historique de 300 Boeing 737 Max. De quoi vous distancer définitivement ?
Pas du tout. Si vous regardez les avions commandés par Ryanair, ils auront toujours moins de sièges que les nôtres. On continuera donc encore longtemps à avoir des meilleurs coûts unitaires et des meilleurs avions qu’eux. De plus, les premiers avions de la commande de Ryanair, dont beaucoup sont des remplacements d 'avions actuellement en service, n’arriveront au mieux qu’en 2027, voire 2028 à un moment où nous aurons déjà reçu depuis longtemps les centaines d’avions commandés avant eux. En fait, on a plus de cinq ans d’avance sur Ryanair.
Comptez-vous devenir la première compagnie low cost d’Europe et dépasser les Irlandais ?
En 2030, on aura quasiment le même nombre d’avions que Ryanair, on aura presque la même taille qu’eux. Je suis certaine qu’il y a aura de la place pour les deux compagnies, mais ce sera beaucoup plus compliqué pour d’autres qui vont souffrir. Si vous regardez les commandes d’avions de certaines années, aucune autre compagnie, que ce soit Lufthansa, easyjet ou IAG (British Airways et Iberia) ne grandit : ils veulent juste garder leurs capacités actuelles. J’ai travaillé chez Ryanair. C’est une très bonne compagnie, mais ils sont beaucoup plus conservateurs dans le développement de leurs nouvelles destinations. Nous sommes plus audacieux, plus ouverts d’esprit et créatifs en allant chercher des nouveaux marchés. Quand Wizz Air a commencé en 2004, c’était l’heure de l’Europe de l’Est pour le développement du low cost. Aujourd’hui, c’est celle du Moyen-Orient, de l’Asie Centrale. On veut encourager les gens à découvrir des destinations qu’ils ne connaissent pas. On grandit très vite – et il faut être très intelligent pour placer nos avions au bon endroit -, tandis que Ryanair est dans la consolidation de ses positions, en ajoutant des fréquences à leurs routes traditionnelles.
En 2030, on aura quasiment le même nombre d’avions que Ryanair, on aura presque la même taille qu’eux.
Plusieurs enquêtes de passagers vous classent comme “la pire compagnie d’Europe”. On reproche notamment à Wizz Air le peu d’espace entre les sièges et ces nombreux retards et annulations de vols.
L’espace entre les sièges est de 28 pouces (71 cm) chez Wizz Air, c’est le même que la plupart des compagnies aériennes (c’est 30 pouces chez Ryanair et 30 à 32 chez Brussels Airlines, NdlR). Pour le reste, il faut être honnête : nous n’avons pas fait un bon boulot en ce qui concerne les retards et annulations de vols l’année dernière. Cela a été très compliqué pour toutes les compagnies. On est passé d’une situation où il n’y avait quasiment aucun vol à un moment où tout le monde voulait voler. On va faire mieux cette année, avec des horaires moins serrés. Mais il y a des facteurs qu’on ne maîtrise pas, comme les grèves ou le manque de personnel des contrôleurs aériens. Quand on voit déjà les problèmes qu’il y a en Allemagne et en France, je ne vois pas comment cela va se résoudre pour cet été.
Vous dites que vous êtes la compagnie aérienne qui pollue le moins par passager, vu votre flotte très neuve d’avions. Mais si on tient compte de toutes vos émissions de CO2, Wizz Air est la huitième compagnie la plus polluante d’Europe. N’est-ce pas trompeur ?
Évidemment, si vous grandissez, vous émettez davantage d’émissions de CO2. Mais si tout le monde utilise nos avions, les émissions baisseront d’un tiers. Lufthansa ne grandit plus vraiment mais a toujours ces vieux avions qui polluent énormément. Vu leurs vols long-courriers, ils ont aussi des crédits gratuits dans le système d’échange de droits d’émissions, ce que nous n’avons pas. Alors oui, on va grandir et on continuera de le faire, mais on veut le faire avec la bonne technologie. Le jour où il y aura un avion zéro carbone, on sera les premiers à l’acheter.
Beaucoup pensent que la “décarbonation” du secteur, avec notamment l’usage obligatoire du carburant durable en Europe, va faire exploser le prix des billets. Est-ce la fin du low cost ?
Non, les prix bas seront toujours là. Si les gens ne veulent pas abandonner quelque chose, c’est bien leur liberté de voyager. Le problème n’est pas le prix du carburant durable, mais sa disponibilité. Dès que le monde industriel se mettra vraiment à produire ce carburant durable, les prix vont diminuer rapidement. Je ne suis pas inquiète, mais il faut que certains pays bougent. Le carburant durable ne doit pas être quelque chose qu’on retrouve uniquement en Suède ou en Norvège.
Les prix bas seront toujours là. Si les gens ne veulent pas abandonner quelque chose, c’est bien leur liberté de voyager.
Bientôt des vols entre Charleroi et l'Arabie Saoudite ?
Wizz Air est présente depuis sa création, soit en 2004, à Charleroi. Avez-vous négocié des prix spéciaux avec la direction de l’aéroport ?
Je ne peux pas faire de commentaire sur les détails, mais, oui, on a un accord avec l’aéroport. On représente 10 % de parts de marché à Charleroi. C’est loin du trafic de Ryanair, mais on grandit et on veut continuer à investir en Wallonie. On propose désormais 14 destinations depuis Charleroi, avec deux nouvelles routes, Kutaisi en Géorgie dès le 3 juin et Catania en Italie à partir de fin décembre. L’année dernière, on a transporté 450 000 passagers depuis l’aéroport wallon.
Pourtant, vous n’avez aucun avion qui est basé à Charleroi. Est-ce que le coût du personnel en Belgique est trop cher ?
Non, cela n’a rien à voir avec le coût du personnel. c’est simplement qu’il y a des pays où les besoins sont plus urgents, comme les Émirats arabes unis, l’Italie, ou l’Albanie,… On a créé énormément de bases ces deux dernières années et il est temps de les densifier. Mais il ne faut jamais dire jamais et peut-être qu’un jour on basera un avion à Charleroi ou dans un autre aéroport belge, s’il y a des opportunités.
Wizz Air s’est fortement développé en Arabie saoudite et à Abou Dhabi. Ambitionnez-vous de proposer des vols vers le Moyen-Orient depuis Charleroi ?
Pourquoi pas ? Avec nos avions actuels, c’est impossible de parcourir une telle distance, mais d’ici la fin de l’année, on recevra nos premiers Airbus A321 XLR. Avec ces avions, on pourra couvrir des distances de 8 heures de vol, contre 6 pour nos avions actuels. Relier Charleroi à l’Arabie saoudite, ce serait une belle opportunité. Nous examinerons cette piste quand nous aurons ces avions. L’Arabie saoudite a des plans énormes pour faire croître le tourisme sur son territoire, avec l’ambition d’arriver à 100 millions de passagers en 2030. Nous proposons déjà un million de sièges sur ce marché cette année et cela fonctionne très bien. Le Royaume a une population jeune qui adore voyager et les technologies. On est largement les moins chers sur ce marché, avec des coûts de 20 à 30 % moindres que notre meilleur compétiteur.
Relier Charleroi à l’Arabie saoudite, ce serait une belle opportunité
Ces nouveaux avions permettent aussi des traversées transatlantiques avec des aéronefs de plus petits formats. Cela vous tente ?
Non. Le marché vers l’Amérique du Nord est déjà beaucoup trop dense. Avec nos nouveaux avions, on vise plutôt à aller davantage vers l’Est. Par exemple, avec des connexions depuis l’Europe Centrale vers l’Inde et le Pakistan. Les opportunités sont énormes aussi là-bas, même si la réglementation y est plus compliquée.
A l'Est, On sent cette grosse envie d’atteindre les standards de vie de l’Europe de l’Ouest.
Est-ce que le dynamisme économique de l’Europe vient surtout des pays de l’Est ?
Les gens sont sans doute plus motivés à l’Est. On sent cette grosse envie d’atteindre les standards de vie de l’Europe de l’Ouest, même si dans des grandes villes comme Budapest vous ne voyez pas la différence avec l’Ouest. La Pologne est un bon exemple de ce changement. C’est devenu une grosse économie. Avant les Polonais voyageaient surtout vers des pays comme la Suède ou le Royaume-Uni pour aller y travailler ou rendre visite à des amis ou de la famille qui travaillaient dans ces pays. Maintenant, il y a une énorme demande pour voyager en Espagne ou vers des destinations de vacances du sud de l’Europe. Les gens ont désormais des bons salaires et peuvent se permettre de partir en vacances.